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réduit à leur montrer les instructions secrètes du ministre de la marine, qui ordonnait que le débarquement eût lieu au môle Saint-Nicolas ; les soldats députés promirent alors obéissance. Le moment était favorable, de Blanchelande pouvait retrouver et ressaisir son autorité perdue. Il ne fallait plus que de la fermeté; il eut la faiblesse d'accorder un délai de trois jours; ce retard ne fut pas perdu pour le parti ennemi.

En effet, à peine les troupes furent-elles débarquées, qu'elles entrèrent en révolte ouverte par un refus formel de faire le service conjointement avec le régiment du Port-au-Prince dévoué au gouver

nement.

Les soldats de ce corps, séduits eux-mêmes par l'émission du prétendu décret du 17 décembre, se persuadèrent que leur colonel agissait secrètement en faveur de la contre-révolution : ils se joignirent aux révoltés. Forte de ces événements, l'assemblée provinciale de l'Ouest reprit le cours de ses séances, et se reconstitua sous le nom de Nouvelle Municipalité.

Rigaud des Cayes, mis en liberté après la première révolte en faveur d'Ogé, avait été depuis replongé dans les cachots par l'ordre de Mauduit; on brisa les portes des prisons, ce chef et d'autres détenus furent rendus libres. La garde nationale se réorganisa. Dès lors, Mauduit n'osant plus répondre de rien, engagea Blanchelande à aban

donner la ville, où il resta seul chargé de faire face à l'orage.

Le prétendu décret du 17 décembre avait bouleversé toutes les têtes : les grenadiers de Mauduit eux-mêmes réunis à la populace se portèrent à sa demeure; pour les apaiser, le colonel offrit de rendre les drapeaux enlevés à la garde nationale. Au moment où il venait de se diriger sur la place d'armes pour remettre ce trophée, une voix demanda qu'il fit ses excuses à genoux; lui, sans parler, déboutonna son habit et présenta sa poitrine à la multitude. Il tomba à l'instant même percé de mille coups. D'honorables citoyens, même entre ceux qui avaient eu à se plaindre de lui, tentèrent en vain de le défendre des fureurs d'une soldatesque ingrate. Son corps fut indignement mutilé et sa tête accrochée au gibet, aux acclamations féroces de la populace et des soldats.

Mais la révolte ne devait pas s'arrêter là : les meneurs déposèrent Blanchelande et les autorités; des gens dévoués furent appelés à remplir toutes les places vacantes.

Il ne fallait plus que justifier aux yeux de l'Assemblée nationale l'assassinat commis sur la personne de Mauduit; on envoya en France quelques papiers trouvés chez le colonel, un surtout où il s'exprimait avec irrévérence contre les mesures de l'Assemblée et contre le serment du Roi.

Cependant le régiment qu'il avait commandé,

ce docile instrument des fureurs d'un parti qu'il avait autrefois vaincu, fatiguait de ce souvenir même les chefs de cette faction alors triomphante. Surpris à l'improviste, et forcé de mettre bas les armes, il fut embarqué et déporté sans coup-férir.

Une ambiguité renfermée dans la lettre des instructions qui accompagnaient le décret du 8 mars 1789, avait privé jusqu'alors les hommes de couleur du droit de siéger dans les assemblées provinciales; même, dans la convocation qui suivit le décret du 12 octobre, ils n'avaient pu être appelés qu'aux assemblées primaires. Enfin, l'Assemblée nationale décida, le 15 de mai 1791, que les sangs mêlés de toutes couleurs, nés de père et de mère libres, pourraient siéger désormais dans les assemblées provinciales. Quand ce décret fut connu à Saint-Domingue, tous les esprits s'exaltèrent en sens divers.

Les mulâtres ne mirent plus de bornes à leurs espérances; les blancs indignés, se déclarèrent en révolte ouverte contre la mère-patrie, en rejettant le serment civique, en méconnaissant les droits de la France. La paroisse du Gros-Morne alla jusqu'à rendre le décret suivant :

L'Assemblée paroissiale du Gros-Morne, etc., etc.

« Considérant que les décrets des 13 et 15 mai étant une infraction aux décrets des 8 mars et 13 octobre de l'année dernière, c'est un parjure na

tional et un nouveau crime à ajouter à tant d'autres;

« Considérant que la colonie, indignement abusée, ne peut plus accorder de confiance aux actes d'une assemblée qui se dégrade au point de devenir elle-même la violatrice des lois décrétées par elle;

« Considérant qu'un tel excès ne permet pas de présumer qu'aucun frein politique, aucune pudeur, puissent arrêter sa marche criminelle, et que les colonies ont tout à craindre des délibérations ultérieures d'une assemblée qui est le complément de toutes les destructions possibles;

« Considérant que la colonie s'est donnée à la France d'autrefois, et non pas d'aujourd'hui ou actuelle; que les conditions du traité ayant changé, le pacte est anéanti ;

« Considérant que tous les principes constitutionnels du gouvernement de la France sont destructifs de tous ceux qui conviennent à la constitution des colonies, laquelle est violée d'avance par la déclaration des droits de l'homme ;

« Considérant enfin que la constitution de la colonie dépend de l'union de tous les colons, et de leur résistance par la force contre les ennemis de leur repos,

« Les habitants ici assemblés déclarent de rechef adhérer et adhèrent à leur arrêté du 30 janvier, protestent contre tout ce qui a été fait et décrété par l'Assemblée nationale, pour ou contre les colonies, et notamment celle de Saint-Domingue,

et contre tout ce qu'elle fera et décrétera

suite;

1

par la

« Protestent contre les décrets des 13 et 15 mai dernier, et contre l'admission, dans la colonie, des commissaires que l'Assemblée nationale prétend y envoyer;

« Jurent tous sur l'honneur, en présence du Dieu des armées, qu'ils invoquent au pied de son sanctuaire, vers lequel ils sont prosternés, de repousser la force par la force, et de périr sous les ruines amoncelées de leurs propriétés, plutôt que souffrir qu'il soit porté une telle atteinte à leurs droits, d'où dépend le maintien politique de la colonie ;

«< Ordonnent à ceux qui se prétendent leurs députés dans l'Assemblée nationale de se retirer; invitent tous les colons résidant en France de se rendre dans la colonie, pour y soutenir et défendre leurs droits, et coopérer au grand œuvre des lois qui doivent la régir dorénavant dans l'indépendance de celles de France. >>

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Au milieu de cette complication d'événements la position de Blanchelande, qui s'était retiré au Cap, devenait de plus en plus critique. Il se rendit à l'assemblée provinciale du Nord, et lut une lettre adressée au ministre de la marine, dans laquelle il annonçait qu'il ne mettrait le décret du 12 octobre 1790 à exécution, que s'il recevait de nouveaux ordres, après que le gouvernement aurait eu con

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