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guerre. Le roi renvoya Narbonne, que l'on croyait très-constitutionnel parce qu'il avait le bon esprit de ménager les girondins; et bientôt après, il fut obligé de sacrifier Bertrand aux murmures qu'avait occasionés le renvoi de Narbonne. Les girondins ne prirent point le change ils attribuaient avec raison la disgrace de Narbonne à Delessart, créature de Necker et leur ennemi personnel. Delessart avait eu l'imprudence de se charger du ministère des affaires étrangères; ministère dans tous les temps fort au-dessus de sa capacité, et que les circonstances rendaient plus difficile. On continuait à négocier à la cour de Vienne, mais avec une lenteur, une insouciance, qui semblaient annoncer peu de bonne volonté et encore moins de bonne foi. Les girondins se plaignaient avec raison du peu de dignité que Delessart mettait dans cette négociation, lui reprochant d'avilir la majesté nationale, et de se laisser ballotter par le conseil de l'empereur. Delessart, entièrement occupé de ses démêlés avec Brissot, et de sa haine contre les jacobins, ne parlait, dans toutes ses dépêches, que de leurs intrigues, ne cessant de les représenter comme la principale cause des maux de la France, et paraissant bien plus implorer le secours de l'empereur contre cette faction, que soutenir les intérêts de la France, et demander satisfaction des justes plaintes que la protection ouverte que l'empereur accordait aux émigrés, et sa position hostile envers la France, le mettaient

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en droit d'exiger. Cette façon petite et mesquine de traiter, n'était pas propre à donner au cabinet de Vienne une idée avantageuse de la situation où se trouvait la France. Aussi le conseil de l'empereur ne se prêtait-il que par un reste d'égards à des négociations soutenues de si faibles moyens. Brissot profita du mécontentement général qu'excitait la conduite pusillanime de Delessart: il demanda que le ministre des affaires étrangères vint rendre compte de l'état des négociations avec l'empereur. Delessart parut à la barre il lut les pièces officielles de sa correspondance avec le marquis de Noailles, notre ambassadeur (1). Ses réponses étaient si plates, qu'il n'y eut qu'un cri contre lui. Les girondins le couvrirent de huées, les constitutionnels l'abandonnèrent. Brissot prononça un long discours, rempli de déclamations vagues et de faits non prouvés, et conclut au décret d'accusation (2). On était si prévenu contre Delessart, qu'Aubert du Bayet crut devoir se justifier d'entreprendre sa défense. La plus grande partialité régna dans la discussion. Quelques députés s'écrièrent qu'il n'était pas besoin d'examen; qu'il fallait décréter Delessart d'arrestation, et poser le scellé sur ses papiers. Cet avis fut suivi Delessart alla rejoindre à Orléans Varnier, Delastre, et les autres prisonniers que girondins y avaient envoyés.

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(1) Séance du 30 février 1792.

(2) Séance du 10 mars.

les

Le maire Pétion vint le lendemain à la tête de la municipalité féliciter l'Assemblée de ce grand acte de justice. Lorsque l'atmosphère qui nous environne, dit-il en renforçant sa voix, est chargée de vapeurs malfaisantes, la nature ne se dégage que par les éclats de la foudre : de même la société ne purge l'excès des maux qui l'accablent, que par des explosions salutaires. L'éponge des siècles, ajouta le nommé Gauchon, orateur banal du faubourg Saint-Antoine, peut effacer du livre de la loi le chapitre de la royauté; mais le titre de l'Assemblée nationale et de l'unité du Corps législatif sera toujours intact.... Oui, Messieurs, les courtisans, les ministres, les rois, leurs listes civiles passeront; les droits de l'homme, la souveraineté du peuple et les piques ne passeront jamais (1).

Les ministres de la justice et des finances, avertis par l'exemple de Delessart, donnèrent leur démission. Les girondins qui les haïssaient ne se contentèrent pas de cet acte de complaisance. Ils firent décréter qu'aucun ministre ne pourrait quitter

(1) Il y a ici une erreur singulière. Le discours de Pétion fut bien prononcé le lendemain du décret d'arrestation de Delessart; mais l'adresse de l'orateur du faubourg Saint-Antoine, Gauchon ou plutôt Gonchon, suivant le Moniteur, fut présentée dans la séance du mardi 6 mars, c'est-à-dire quatre jours avant le décret d'accusation. Cette adresse ne concernait aucun ministre en particulier. Elle invitait l'Assemblée à surveiller le pouvoir exécutif, et à s'occuper de subsistances. (Note des édit. )

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Paris, même après avoir donné sa démission avant d'avoir rendu ses comptes; et comme c'était devant l'Assemblée que se rendaient les comptes des ministres, les girondins se trouvaient les maîtres d'en retarder l'épuration à leur gré, et de retenir les ministres qui leur déplaisaient à portée d'être attaqués sur leur gestion et traduits à la haute-cour.

Les girondins profitèrent de la terreur qu'avait répandue le décret d'accusation contre Delessart, pour composer un ministère entièrement dans leurs principes. On persuada à Louis XVI que c'était l'unique moyen de regagner la confiance publique (1). La certitude où il était que l'on ne lui souffrirait aucun ministre qui fût dans des sentimens contraires, l'engagea à prendre ceux que les girondins voulurent lui donner. Dumouriez eut les affaires étrangères, Roland l'intérieur, Duranton la justice, Clavière les finances (2). Ce nouveau

(1) Prudhomme prétend que ce furent Vergniaux et Gensonné qui traitèrent avec la cour pour lui faire adopter des ministres de leur choix. Cette opinion se rapproche de celle de M. de Ferrières. (Note des édit.)

(2) Nous ne dirons rien du général Dumouriez, ni de Roland; les Mémoires de madame Roland, déjà publiés, et ceux de Dumouriez, que nous publierons incessamment, les font suffisamment connaître. Duranton était un ancien avocat de Bordeaux. On l'a peint généralement, dit un biographe, comme un homme lourd, paresseux, vain, parleur timide et borné. Clavière était né à Genève en 1735; il avait, en 1782, pris un parti actif dans les révolutions de sa patrie, et en avait

ministère, formé d'hommes inconnus, parut trèsridicule aux courtisans. On l'appela, par dérision, le ministère sans-culotte.

Roland ressemblait à un quaker endimanché : des cheveux plats et blancs, très-peu de poudre, un habit noir, des souliers avec des cordons. La première fois que Roland parut au conseil avec cet accoutrement, le maître des cérémonies, effrayé de ce renversement de l'étiquette, s'approcha de Dumouriez d'un air inquiet, le sourcil froncé, la voix basse, contrainte, et lui montrant Roland du coin de l'œil :- Eh! Monsieur, point de boucles à ses souliers!-Oh! Monsieur, répondit Dumouriez avec un grand sang-froid, tout est perdu (1).

Dumouriez alla rendre hommage de sa nomination au club des jacobins. Il y parut, à la tribune, coiffé d'un bonnet rouge, signe alors du parti girondiste et républicain. Le roi s'efforçait de dissimuler le dégoût que lui inspiraient les nouveaux ministres. Il les traitait avec bonté, leur témoignait même cet intérêt flatteur dont les grands savent se faire un mérite auprès de leurs infé

été déporté après s'être emparé quelque temps du gouvernement. Necker l'attira en France, en 1789; et, s'il en faut croire le Moniteur du 29 mars 1790, il fit partie de dix-neuf Génevois, accueillis en France, qui furent les premiers fondateurs de la société des jacobins. Ce fut en mars 1792 que Louis XVI nomma Clavière ministre.. (Note des édit.) (1) Vie de Dumouriez.

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