Page images
PDF
EPUB

second décret d'accusation contre Noirot de Pontarlier et contre Tardy.

L'Assemblée, surprise elle-même de la légèreté avec laquelle on venait de mettre trois citoyens en état d'accusation, exigea quelques renseignemens sur la manière dont Bazire s'était procuré la lettre qui avait servi de base à cette accusation. Bazire répondit qu'un nommé Volon, serrurier de Dijon, avait pris cette lettre sur la table même de Noirot de Pontarlier à qui elle était adressée; que c'était ce Volon qui la lui avait envoyée. Il arriva malheureusement que Volon, instruit du rôle odieux qu'on lui faisait jouer dans cette affaire, déclara, par un acte authentique, non-seulement qu'il n'avait point envoyé la lettre de Varnier, mais qu'il n'avait jamais entretenu de correspondance avec Bazire. L'infamie de Bazire devint publique; il n'était pas homme à en rougir, et les girondins, qui n'avaient calculé en tout ceci qu'un moyen de former leur Haute-Cour nationale, forcèrent l'Assemblée de fermer les yeux sur cette atrocité. On livra bientôt une nouvelle victime à la Haute-Cour (1); on accusa Delastre, vieillard de quatre-vingts ans, d'avoir envoyé son fils à Coblentz. Une lettre de recommandation à monsieur de Calonne (2), sur

(1) Cette accusation fut portée par Merlin de Thionville. Séance du 24 novembre au soir. (Note des édit.) (2) Selon le Moniteur, M. de Calonne prenait alors le titre de conseiller d'État à Coblentz. (Note des édit.)

prise par les voies ordinaires de trahison qu'employaient les girondins, servit de preuve; et, quoique Delastre fils n'eût pas quitté le royaume, on n'en décréta pas moins Delastre le père d'accusation. Les prisons d'Orléans ne tardèrent pas à se remplir. Les nommés Gauthier, Marc et Malvoisin (1), vinrent y joindre Delastre et Varnier. Ce n'étaient que des victimes communes; les girondins en préparaient de plus relevées en attendant, ils décrétèrent d'accusation Monsieur, frère du roi, Monsieur le comte d'Artois, le prince de Condé, les ducs de Bourbon, d'Enghien, MM. de Calonne, de Laqueille, de Mirabeau (2); mais leur principal objet était de paralyser le ministère et de le mettre entièrement dans leur dépendance. Les ministres

(1) M. Gauthier, ci-devant garde-du-corps du roi; M. Malvoisin, lieutenant-colonel de dragons; M. Marc fils, chantre à Toul, étaient accusés d'embauchage pour l'armée royale des princes. (Note des édit.)

(2) Ce décret d'accusation fut rendu sur le rapport de Grangeneuve, au nom du comité de surveillance. Combattu par un grand nombre d'orateurs, il était conçu en ces termes, dictés par la violence des opinions du moment :

« L'Assemblée nationale décrète qu'il y a lieu à accusation contre Louis-Stanislas-Xavier, Charles-Philippe et Louis-Joseph, princes français; M. Calonne, ci-devant contrôleur-général; M. Laqueille l'aîné, et Grégoire Riquetti, tous les deux ci-devant députés à l'Assemblée constituante, comme prévenus d'attentats et de conspiration contre la sûreté générale de l'État, et la Constitution. » Séance du 1er janvier 1792. (Note des édit.)

en général, et chaque ministre en particulier, devinrent donc le sujet des dénonciations des girondins et des insultes des sociétés populaires. On voulait tellement faire tirailler toutes les parties' du gouvernement, que le perpétuel combat qui résulterait de ce choc continuel entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, montrant au peuple leur incompatibilité, le forçât à renverser une division qui mettait un terme à l'ambition et à la cupidité des chefs.

La manière de dénoncer un ministre était simple. Arrivait une adresse, ou même une simple lettre des administrateurs d'un département, d'un district, d'une municipalité : on se plaignait du ministre; on lui reprochait sa négligence, sa connivence avec les ennemis de l'État. Aussitôt un membre de l'Assemblée montait à la tribune, dé– nonçait le ministre. Les tribunes, remplies d'une foule d'hommes soudoyés, applaudissaient le dénonciateur, huaient les députés qui tentaient de défendre le ministre. La dénonciation était-elle éludée par un renvoi à l'ordre du jour, arrivait une seconde adresse ou une seconde lettre qui enchérissait sur les premières plaintes : suivait à l'instant même une seconde dénonciation plus chargée de faits; et ainsi, en se succédant sans interruption, jusqu'à ce que le ministre fatigué donnât sa démission, ou que, si plus tenace il s'obstinait maladroitement à garder sa place, un bon acte d'accusation en débarrassât l'Assemblée. Son successeur par

courait la même carrière. Le ministère, à l'aide de ces manœuvres, sans cesse renouvelé, se composant et se décomposant chaque mois, il en résultait une non-action qu'on attribuait à des intentions perfides de la cour.

Les ministres essayèrent de se défendre, et dans cette vue affectèrent de rechercher les anciens membres de l'Assemblée constituante, fondateurs du club des feuillans, et les membres de l'Assemblée législative qui étaient dans les mêmes principes, espérant les opposer aux girondins, diviser l'Assemblée, et ramener l'opinion publique en leur faveur. Mais cela était impossible. Le peuple, disposé à regarder les girondins comme les vrais soutiens de ses droits, ne balançait pas un instant lorsqu'il les voyait en contradiction avec le roi ou avec les ministres. D'ailleurs les membres les plus probes de l'Assemblée, les mieux disposés en faveur du gouvernement, étaient persuadés que ce n'était pas seulement aux girondins qu'en voulait la cour, qu'elle en voulait encore davantage à la constitution. Et puis les ministres ne mirent aucune bonne foi dans cette réunion; leurs journaux continuaient à déchirer les constitutionnels, à déclamer contre la constitution, à effrayer le peuple des préparatifs des puissances étrangères. Cependant les girondins s'alarmèrent d'un accord qui, malgré son peu de sincérité, quant au but auquel tendait séparément chaque parti, n'en avait pas moins pour base le dessein formel de les perdre.

[ocr errors]

Ils résolurent de dissoudre le club des feuillans avant qu'il eût acquis plus de consistance. Merlin de Thionville se chargea de l'exécution. Les jacobins commencèrent l'attaque; Merlin se mêla parmi insulta la sentinelle, et courut dénoncer à l'Assemblée le trouble dont il était l'auteur (1). Les girondins s'emportèrent contre l'indécence de voir sous les yeux du Corps législatif, et jusque dans son enceinte, un club qui devenait une cause de division entre les citoyens. Un décret ordonna qu'il serait fermé.

Les girondins, débarrassés de cet obstacle, suivirent avec activité leurs projets contre les ministres. Ceux-ci, par leurs indiscrètes querelles, leur fournirent les armes dont ils avaient besoin. Les ministres intriguaient pour se supplanter comme dans les temps les plus tranquilles de la monarchie. Bertrand de Molleville, ministre de la marine, était l'ennemi déclaré de Narbonne, ministre de la

(1) Voici comment Merlin de Thionville raconte ce fait ; « Je sortais avec M. de Grangeneuve pour me rendre au comité de surveillance, lorsqu'au passage que l'on appelle le Chœur des Feuillans, j'ai trouvé, je ne sais si ce sont des sbires ou des janissaires...; ils m'ont arrêté, ont déchiré mon habit. C'est la garde nationale qui m'a sauvé des mauvais traitemens dont j'aurais peut-être été victime... J'ai demandé si j'étais dans le sanctuaire des droits de l'homme et du citoyen; et, tandis qu'on m'assurait que oui, une multitude effrénée tombait sur moi, et m'arrachait du Choeur des Feuillans... » Séance du 26 décembre 1791. (Notę des édit.)

« PreviousContinue »