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leur seraient assignées; qu'il engageait l'empereur d'interposer ses bons offices auprès des électeurs de Trèves, de Cologne et de Mayence, afin d'assurer le respect dû au droit des gens, et aux traités qui garantissaient la paix; qu'il emploîrait tous les moyens d'autorité et de confiance en son pouvoir, pour conserver l'union qui régnait entre la France et les puissances étrangères, et qu'il espérait que le succès répondrait au désir qu'il avait de procurer efficacement la sûreté et la tranquillité de l'État.

Ces détails furent écoutés froidement. Le peuple même ne parut pas y donner une grande confiance. Les dénonciations recommencèrent contre les prêtres et contre les émigrés. Il est certain que ni les uns ni les autres ne déguisaient point leurs intentions hostiles. Tout se faisait à Coblentz avec unè ostentation qui ne pouvait admettre aucun palliatif. On y formait ouvertement une maison du roi, on y enrégimentait les Français en état de porter les armes, on obligeait tous ceux qui s'y rendaient de prendre une attestation de quatre gentilshommes qui répondaient de leurs principes et de leur attachement à la bonne cause. On exigeait que les officiers qui avaient obtenu la croix de Saint-Louis, depuis la révolution, la renvoyassent aux princes, et leur remissent les brevets des différens grades auxquels ils avaient été promus. Les prêtres retirés à Trèves se livraient aux plus violentes déclamations contre la constitution. C'était un enthousiasme réel ou factice

de zèle pour la religion, de dévouement au roi. — J'ai fait de mon roi mon ame, disaient quelques émigrés; un corps sans ame peut-il exister? Je perdrai plutôt la vie que de voir avilir mon pays.

Louis XVI ne pouvait se dissimuler le mauvais effet que produisaient dans le peuple les propos imprudens et les folles jactances des émigrés. Ils affectaient de répandre qu'ils agissaient de concert avec lui. Louis XVI se crut obligé de faire quelque démarche officielle, qui démentît en quelque sorte des bruits qui pouvaient entraîner les plus fatales conséquences il envoya M. de Sainte-Croix à l'électeur de Trèves, pour le prier de dissiper les rassemblemens qui se formaient dans son électorat. L'électeur assura M. de Sainte-Croix que son intention était de vivre en bonne intelligence avec la France; qu'il ferait sortir de l'électorat tous les rassemblemens portant la dénomination de corps militaires; qu'il défendrait toute espèce d'exercice; qu'on arrêterait les recruteurs étrangers, et qu'on les condamnerait aux travaux publics. Ces marotes diplomatiques n'en imposèrent point aux girondins mais ils étaient occupés d'un objet plus important; ils soupçonnaient les ministres de les trahir. En effet, les ministres ne mettaient aucune bonne foi dans leur conduite avec l'Assemblée. Tous cherchaient à rejeter sur elle l'embarras des chocs et des frottemens qu'éprouvait la constitution; espérant rebuter l'Assemblée par les détails, s'imaginant qu'elle négligerait cette surveillance

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minutieuse qui, dans une forme de gouvernement nouvelle et sujette à une foule de contradictions, est le seul moyen de prévenir les résistances. Ainsi, par une politique adroite au premier aperçu, mais qui devint funeste à ses auteurs, les ministres laissaient tout désorganiser, et accusaient ensuite de cette désorganisation la constitution elle-même, assurant qu'elle ne fournissait aucun moyen d'exécution de ses propres lois.

Le point essentiel était de tenir les forces de terre et de mer dans un état de délabrement, en paraissant néanmoins s'occuper avec beaucoup d'activité de les mettre sur un pied respectable, afin que si, d'après les mouvemens de l'intérieur, l'oc-' casion se présentait d'entrer en France, les puis'sances étrangères s'offrissent tout-à-coup sous l'appareil le plus formidable, et inspirassent une telle terreur, que le peuple épouvanté se remit volontairement entre les mains du roi, et le conjurât de dissiper l'orage prêt à fondre sur lui. C'était à quoi travaillait le ministre de la guerre et le ministre de la marine. Ainsi, tandis que le ministre Tarbé exagérait le désordre des finances, et se plaignait à l'Assemblée de la non-perception des impôts, le ministre Duportail rendait le compte le plus satisfaisant des armées, des approvisionnemens, de l'état de défense où étaient les places frontières.

Les constitutionnels et les girondins démêlèrent aisément ces manoeuvres coupables, et se réunirent un moment pour les déjouer. Les constitutionnels,

parce qu'ils voulaient la constitution, toute la constitution, rien que la constitution; les girondins, portant plus loin leurs vues, s'aperçurent que ces intrigues de la cour et des ministres retomberaient sur la constitution elle-même; qu'il leur serait facile de montrer au peuple qu'une constitution qui fournissait, au pouvoir qu'elle avait créé pour la protéger, tant d'armes pour la détruire, était vicieuse dans ses bases.

Une guerre ouverte éclata bientôt entre les ministres et l'Assemblée. On reprocha au ministre de la guerre que les soixante-sept mille fusils qu'avait décrétés l'Assemblée constituante, n'étaient pas encore fabriqués; que les régimens de ligne étaient incomplets et réduits à moitié; que tous les officiers étaient absens de leurs corps; qu'ils n'en recevaient pas moins leurs appointemens. Montmorin, prévoyant les suites de cette mésintelligence et les nombreux désagrémens qui allaient environner la place de ministre, avait donné sa démission. Il n'ignorait point la haine que lui portaient Brissot et Condorcet. Il n'était pas plus aimé des purs royalistes; ils ne lui pardonnaient point ses liaisons avec Necker, et son opiniâtreté à garder le ministère dans un temps où, selon eux, les véritables amis du monarque et de la monarchie ne devaient prendre aucune part à une constitution qui avait renversé le trône et l'autel. Montmorin était cependant réellement attaché au roi. Ce motif, bien plus que le désir de posséder une

place qui l'exposait chaque jour à de nouvelles dénonciations, l'avait engagé de conserver le ministère des affaires étrangères : il espérait, à l'aide d'une politique temporisante, et de la bienveillance que les puissances étrangères portaient au roi, amener les choses à un accommodement, où le monarque et la nation trouveraient également leur avantage.

Il semblait que, d'après l'entière organisation du pouvoir exécutif, l'Assemblée n'eût pas dû établir des comités relatifs à l'expédition des affaires de chaque département du ministère; qu'elle eût dû se contenter de deux comités : l'un des finances, chargé d'examiner les comptes et de fixer les dépenses; l'autre de législation, chargé de rédiger un code de lois conformes à la constitution. C'était la seule manière, en laissant au roi et aux ministres l'autorité que leur déléguait la constitution, de faire marcher le gouvernement, et de connaître avec quelque certitude si les différens rouages qui le composaient pouvaient s'engrainer les uns dans les autres et tendre au même but : mais l'établissement des comités devenait, entre les mains de l'Assemblée, un grand moyen de puissance; elle n'était pas disposée à s'en dessaisir. Parmi ces comités, il en était un également odieux à tous les partis, c'était le comité de surveillance. Il fallait un prétexte qui en démontrât en quelque sorte la nécessité. Un événement arrivé à Caen le fournit. Il venait de s'élever dans cette ville des troubles

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