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elle était l'étendard commun auquel les gens bien intentionnés devaient se rallier. Pénétrés peut-être plus profondément que les contre-révolutionnaires de la nécessité de donner de la force au pouvoir exécutif, plus attachés même à la personne du monarque, ils n'attendaient que la certitude de travailler pour la chose publique, et non pour les intrigans de Coblentz et les courtisans du château : ils se seraient même réunis à ceux-ci, si, plus adroits et moins orgueilleux, ils eussent voulu consentir au partage des honneurs et des richesses.

Les républicains avaient quelques membres de l'Assemblée constituante, parmi lesquels Robespierre, Pétion (1), Antoine, Buzot, Dumets, Prieur, la plupart des municipalités du royaume, toutes les sociétés populaires connues sous le nom de jacobins, une foule d'hommes avides, peu satisfaits d'une révolution dont ils n'avaient tiré presque aucun ayantage, en voulant faire une seconde qui tournât plus immédiatement à leur profit; ces hommes, répandus parmi le peuple, intriguaient dans les sections, agitaient les départemens. La faction d'Orléans unie à ce parti, instrument de l'ambition de son chef, le soutenait de son or et de son crédit. Trop faibles pour se montrer à découvert, et n'osant attaquer directement ni le roi ni la constitution les orléanistes semaient des défiances, dénonçaient

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(1) Voyez dans les Mémoires de madame Roland, tome II, les Portraits de Pétion et de Buzot. (Note des édit.)

la cour, les ministres, les représentaient comme les ennemis les plus dangereux de la constitution. Le peuple toujours dupe des agitateurs, et qui ne trouvait pas dans le nouvel ordre de choses le bienêtre qu'on lui avait fait espérer, commençait à s'apercevoir que les constitutionnels avaient plus songé à leurs intérêts, qu'ils n'avaient songé aux intérêts du peuple. Il se refroidissait insensiblement pour la constitution, se prenant de son malaise, tantôt à la constitution elle-même, tantôt à ceux qui étaient chargés de la mettre en activité. Les constitutionnels et les contre-révolutionnaires regardaient les républicains comme des hommes qui poursuivaient une chimère; et, au lieu de se réunir contre eux avant qu'ils eussent acquis des forces, ils s'acharnaient avec fureur les uns sur les autres, aimant mieux voir triompher le républicanisme que de sacrifier la moindre de leurs pré

tentions..

Une coalition de quelques députés les plus marquans de l'Assemblée, qui parurent se réunir au parti républicain, lui donna bientôt plus de consistance. Cette coalition, connue sous le nom de girondins, parce que Vergniaux, Guadet, Gensonné, Ducos, Fonfrède, députés du département de la Gironde, en dirigeaient la marche, acquit par ses talens, et encore plus par ses intrigues une grande influence sur les délibérations de l'Assemblée et sur l'opinion publique. Les girondins étaient assez indifférens à la forme du gouverne

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ment, pourvu qu'ils gouvernassent et qu'ils pussent disposer de l'argent et des places; mais, sentant que les constitutionnels ne làcheraient pas leur proie, ils se rallièrent aux républicains, attendant à prendre un parti décidé d'après les événemens, et à se vendre à la cour ou à se donner à la république, selon que l'exigeraient leurs intérêts et les circonstances (1).

Les contre-révolutionnaires ne cachaient point leur projet d'anéantir la constitution et de rétablir l'ancien ordre de choses. Les deux frères du roi, le prince de Condé, les ducs de Bourbon et d'Enghien venaient de publier une protestation contre l'acceptation qu'avait faite Louis XVI de l'acte constitutionnel (2). Ils assuraient que cette acceptation avait été forcée ; que, fùt-elle volontaire, le roi n'avait pu consentir au changement de l'ancien gouvernement. Cette protestation, qu'on eut soin de répandre à Paris, dans les départemens, et d'annoncer avouée tacitement par le roi lui-même, montra à tous les Français que l'acceptation de Louis XVI n'avait rien changé au projet des contrerévolutionnaires. Ce parti comprenait beaucoup de

(1) Le lecteur peut comparer à cet exposé du caractère public des girondins les portraits que madame Roland a faits. des mêmes hommes dans ses Mémoires. Cette comparaison de deux opinions opposées peut amener à la connaissance de la vérité. (Note des édit.)

(2) Voyez cette pièce dans les éclaircissemens historiques placés à la fin de ce volume (A).

membres du côté droit de l'Assemblée constituante, les évêques, la plus grande partie de la noblesse et du haut clergé, les parlemens, les financiers, les officiers de tout grade. Les chefs avaient conçu l'idée la plus folle; ils s'étaient imaginés qu'en faisant sortir du royaume toute la noblesse, ils pourraient, à l'aide de cette même noblesse, et avec le secours des puissances étrangères, rentrer les armes à la main, rétablir l'ancien ordre de choses, et recouvrer les droits et les avantages que leur enlevait la nouvelle constitution.

On déclara donc aux nobles qu'il fallait émigrer et se rassembler sur les frontières; qu'ils y trouveraient de nombreuses armées d'Autrichiens, de Prussiens, de Russes, d'Espagnols, à la tête desquelles ils reviendraient triomphans dans leur patrie. Les nobles quittèrent en foule leurs châteaux, abandonnant leurs femmes, leurs enfans, leurs propriétés à la merci de leurs ennemis, n'emportant pas même leur argent, leurs bijoux, leurs armes, la plupart avec un seul habit et quelques chemises, croyant que cet exil volontaire, qui devait durer la vie de tous, n'était qu'un voyage de plaisir de cinq ou six semaines.

On a de la peine à concevoir comment la noblesse française put donner dans le piége grossier qu'on lui tendait. L'étonnement cesse lorsque l'on vient à réfléchir sur l'ignorance grossière des hommes et des choses où étaient plongés les chefs qui la conduisaient, sur leur folle confiance en eux

mêmes, et dans les puissances étrangères. Les femmes, encore plus humiliées de leurs pertes, plus jalouses de leurs droits, furent les plus ardentes à hâter l'émigration. Elles tourmentaient, par des sarcasmes et par un ton affecté de mépris, ceux qui refusaient de partir, ou même qui balançaient un moment. L'honneur, disaient-elles, a parlé, il n'y a plus à hésiter. On envoyait des quenouilles aux traîneurs; on les menaçait de tout le courroux de la noblesse victorieuse : ceux qui s'obstineraient à rester seraient dégradés, relégués parmi la bourgeoisie, tandis que les nobles émigrés posséderaient les places, les honneurs, les dignités. On insinuait aux bourgeois que c'était un moyen assuré d'acquérir la noblesse. Les constitutionnels désiraient la rentrée des princes et des émigrés ; ils engagèrent Louis XVI à faire des démarches auprès de ses frères. Ces deux princes refusèrent, soit qu'ils eussent pris des engagemens avec les puissances étrangères, qu'ils ne pouvaient rompre, soit les démarches du roi ne fussent que pour que la forme, conjecture que semble favoriser une lettre du comte d'Artois et de Monsieur à Louis XVI (1), dans laquelle ils lui disent (2) : — Lorsqu'on nous parlera de votre part, nous écouterons tout, mais nous irons notre chemin; ainsi, si l'on veut que

(1) Le lecteur trouvera cette pièce dans les éclaircissemens historiques placés à la fin de ce volume (B).

(2) Papiers trouvés dans l'armoire de fer.

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