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Héros: nul intérêt commun n'attirait à eux ni l'Auditeur ni le Lecteur. La liberte feule pouvait créer cet intérêt qui anime tout, qui paye d'un fentiment intime tous les fervices rendus à l'Etat, qui regarde comme une propriété nationale toute vertu, tout talent, en quelque lieu de l'Empire que l'un ou l'autre fe foit développé. La mort du jeune le Féron, qui fut une calamité pour les Concitoyens à Compiegne, fut reffentie douloureufement, même dans la Capitale, quoiqu'occupée alors des plus grands intérêts. En le voyant pleuré ou regretté par ceux qu'il avait fervis fur un théâtre li refferré, on fut touché de la mort prématurée d'un jeune homme qui donnaît de grandes espérances à la Patrie. Honoré à Compiegne de deux Eloges publics un ami a fenti le befoin de rendre un troisieme hommage à la mémoire. Mr.. Chabanon, lié avec lui par les mêmes principes, par la paffion de la liberté & de l'égalité qui les animait l'un & l'autre, a répandu quelques fleurs fur la tombe de fon ami.

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Après avoir fait valoir les actions pu bliques du jeune le Féron, il le fait ai mer en révélant tous les fentimens hon-nêtes qui ne fe manifeftent guere qu'aux yeux de l'amitié.. Tel. fut, entre autres, Fempreffement avec lequel le jeune le Féron fatisfit au Décrer qui ab lit la No

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bleffe; il avait, dit M. C....., l'inftinct naturel de l'égalité & le Décret qui l'établit entre les Citoyens, ne fit que promulguer une Loi déjà reconnue & fanctionnée dans le fond de fon cœur. Cependant le Féron était dominé d'une grande ambition, & cette paffion fut le mobile de fa vie entiere.

Quel eft donc, dit M. C... ce fentiment fi puiffant qui obtient de l'ambitieux l'abnégation volontaire d'une distinction telle que la nobleffe? Quel eft ce fentiment? Une humanité éclairée, qui fait trouver plus de plaifir à fe rapprocher de fes femblables, qu'à les dominer par fa naiffance. Quel eft ce fentiment? La confcience d'une grande ame, qui, remife au niveau de tous, fe rend compte des moyens qu'elle trouve en foi pour s'élever. Arrachons à l'orgueil du Noble l'aveu que diffimule fa réticence polie. Sa prétention mife à nu, énoncée dans toute fon infùltante franchife, eft d'avoir, fur un grand nombre d'hommes, un droit de mépris, bien avéré, bien reconnu ; cependant tandis qu'il exerce, au deffous de lui ce droit d'humiliante fupériorité, le Noble d'une claffe fupérieure le foule & l'humilie lui-même. Ol'admirable fyftême d'organisation morale & politique ! dont le vice de l'orgueil eft le principe & le mobile, où le mépris, de degres en degrés, fe tranfmet &

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s'échange, où la claffe infirme fupporte feule le fardeau de tous les mépris, où, vers le faîte enfin, comme vers la fin d'un cône alongé, un petit nombre d'hommes jouit feul de l'abaiffement de tous fes femblables. O fainte égalité ! détruit cet édifice élevé par la folie, & remets tous les hommes à ce niveau qui les avertit de s'aimer.

Une autre fingularité non moins grande, c'eft que le Féron avait été poullé par les circonftances à devenir Courtilan. C'était l'effet de cette même ambition. Il avait obtenu une lieutenance dans les Gardes d'un des Princes Français. Jamais homme n'avait mis plus de difconvenance-entre fon état & fon caractere. On en jugera par ce trait. C'eft fon ami qui parle.

Nous nous promenions enfemble dans la galerie de Verfailles. Il vit paffer l'un des Favoris du Prince qu'il fervait. Il le couvrit d'un regard de mépris, accompagné de paroles injurieufes que je pouvais feul entendre. Etonné de cette brufque fortie je lui en demandai la raison : ce miférable, me répondit-il, n'eft occupé qu'à pervertir les mœurs de mon Prince. Eh! quoi dira-t-on, les mœurs de le Féron étaientelles à tel point féveres?.... Eh! faut-il tant de févérité pour s'indigner qu'un vieux Courtifan donne à l'un des enfans du trône les premieres leçons du vice, &

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qu'il fait doré de riches penfions pour salaire · de fa coupable inftruction?

L'Orateur arrive au moment où la Révolution ouvre à fon jeune ami une carriere plus brillante. Il déploie dans l'efpace de deux ans toutes les vertus de la Liberté. Il fauve plufieurs Citoyens, prévient divers défaftres, répare plufieurs calamités, protege fes ennemis perfonnels en s'expofant lui-même au danger, nourrit lui même les familles pauvres de ceux que la fûreté publique le forçait d'emprifonner dans les premiers troubles.

En voyant ces effets de la Liberté fur une grande ame, on eft porté à croire,. dit M.. C........ que cette paffion occupe le centre de nos affections les plus belles, qu'elles y repondent, & que de ce. centre d'activité partent les mouvemens. qui leur font tranfmis, & l'ardeur dont elles fe fentent enflammées. Nous ne tranfcrirons de ce morceau que la réfléxion fuivante, qui peut en fournir plufieurs autres.

L'excellence de la Liberté n'eft guere plus contestée que celle de la vertu même, & ce qui les rapproche encore davantage c'eft que le vice eft l'ennemi naturel de l'une & de l'autre. Que l'on cite un feulhomme, un feul homme de bien, qui, placé entre la Liberté & le Gouvernement ablolu, ait fenti pencher vers celui-ci la. préférence de fes. défirs; s'il exista jamais,

l'auteur d'un choix. fi bizarre, l'eftime & l'admiration du moins n'ont pas confacré fa mémoire,& tandis que la Liberté conduit en triomphe après elle des millions de Héros qu'elle immorralife, le Delpo tifme dévoue les partifans, fes lâches fatellites à une honteufe obfcurité, ou à une Liberté pire que l'oubli.

J'ai vu des Militaires Français, pourfuit M. C....., colorer à leurs propres yeux du beau nom d'amour pour leur Roi leur répugnance pour la Liberré. Aveugles. que vous êtes, qui penfez qu'un Roi, pour être heureux, doit être tout puiffant lifez donc Hiftoire de Marc- Aurele de ce Prince à qui l'on n'en compare aucun autre il venait au Sénat dépofer l'excès de fon autorité, courber majeftueu fement, fous le joug de la Loi, cette tête,. la premiere du monde : il demandait à la Loi de reftreindre fes pouvoirs ; & c'eft en fe faifant un Monarque moins puifant qu'il s'eft créé le plus grand de tous les hommes & vous plaignez la condition de Louis XVI, lorfqu'on l'égale à celle du fage Antonin!

Quelque agréable que foit la lecture de cer Ecrit, nous aurions peut-être négligé d'occuper le Public d'une production peu volumineufe, fi elle n'eût éré rehauffée à nos yeux par un fingulier contraste, entre la maniere dont l'Auteur parle de la Li

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