CHAPITRE III LA FEMME PEUT-ELLE RENONCER AU BÉNÉFICE DU Sous Justinien il est certain que la femme peut renoncer au bénéfice du Velléien : la loi 3 au Code, 5, 35, et la Novelle 118, ch. 5, la loi 23 pr., Code h. tit., lui en reconnaissent le droit. Mais nous ne croyons pas qu'avant Justinien il en ait été de même. Nous avons déjà dit, en effet, que le Sénat avait basé sa décision sur des considérations d'ordre public : <<< cùm eas virilibus officiis fungi >>> non sit æquum.» Si la plupart des jurisconsultes de l'époque classique ont considéré le Velléien comme rendu dans l'intérêt de la femme, le motif qui avait inspiré le Sénat n'en a pas moins subsisté jusqu'à l'époque de Justinien. Pour prouver qu'il a disparu avant ce temps, il faudrait produire un texte formel qui le déclarât, et ce texte n'existe pas. Or, il est de principe qu'une loi intéressant l'ordre public ne peut pas être mise en échec par les conventions des particuliers. La femme ne peut donc pas se soustraire à la prohibition du Velléien en renonçant à s'en prévaloir. Au surplus, la renonciation au sénatusconsulte serait tout aussi contraire à l'idée de protection que les jurisconsultes de l'époque classique ont vue dans la disposition de ce texte qu'au motif d'ordre public invoqué par le Sénat en l'édictant. En effet, la pensée des jurisconsultes a été que le Sénat a voulu garantir les femmes contre l'espoir souvent trompeur de rendre service à autrui sans qu'il leur en coûte rien; or, en renonçant à opposer la disposition du Velléien, la femme n'éprouverait momentanément aucune perte, et il serait raisonnable de supposer que sa renonciation lui aurait été dictée uniquement par cette croyance que son obligation ne lui causerait aucun préjudice si elle était poursuivie par le créancier, parce que celui pour qui elle aurait intercédé l'indemniserait de ce qu'elle pourrait être contrainte de débourser. Par suite, puisqu'elle serait aussi bien portée à s'obliger qu'à renoncer à la disposition de la loi qui la protège, il est illogique d'annuler, d'une part, son engagement, et de valider, d'autre part, sa renonciation. En outre, en l'absence d'un texte formel, on ne peut pas admettre qu'un législateur qui prohibe tout acte au moyen duquel la femme chercherait à éluder la loi par des voies détournées (1. 29, § 1, Dig., h. tit.) lui permette de s'y soustraire directement, autorisant ainsi d'un côté ce qu'il défend de l'autre. Mais les partisans de l'opinion opposée à celle que nous soutenons prétendent avoir trouvé un texte qui a donné pleine liberté à la femme de renoncer à la disposition du sénatusconsulte Velléien à l'époque classique. Ce texte est, disent-ils, la loi 32, § 4, Dig., hoc tit., émanant de Pomponius, jurisconsulte qui vivait au IIe siècle de notre ère. Voici comment s'exprime Pomponius : « Si mulier pro eo >> pro quo intercesserit judicium parata sit accipere, ut non >> in veterem debitorem actio detur, quoniam senatuscon>> sulti exceptionem opponere potest, cavere debebit >> exceptione se non usuram et sic ad judicem ire. » Cela peut se traduire ainsi : Lorsqu'une femme est sur le point de défendre en justice celui en faveur duquel elle a intercédé pour le soustraire à l'action du créancier, ce dernier devra, pour être à l'abri de toute surprise, avoir soin de faire promettre sous caution à la femme qu'elle n'usera pas dans la suite de l'exception du sénatusconsulte Velléien, et il pourra alors aller devant le juge. Nous ne pensons pas que ce texte accorde à la femme le droit de renoncer au privilège du sénatusconsulte Velléien. Selon la remarque de M. Gide, cette loi confirmerait plutôt le principe de la prohibition. Où serait, en effet, l'utilité d'imposer à la femme de fournir caution pour être sûr qu'elle n'opposera pas l'exception Velléienne, si, comme le disent les partisans de l'opinion que nous combattons, il lui est toujours loisible de renoncer au droit de se prévaloir de cette exception ? Ce serait là une précaution absolument superflue et inconcevable. Si, même après renonciation, la femme doit garantir par une caution qu'elle n'usera pas de son privilège, c'est qu'elle conserve encore ce privilège, et que, par conséquent, sa renonciation n'est pas valable. « Cette cautio, dit M. Gide, n'était >> au fond qu'un détour pour éluder la loi; toutefois on >> avait ici une garantie contre la fraude, c'est le contrôle >> du magistrat entre les mains duquel la cautio était four>> nie; sans doute les juristes romains, toujours fertiles en >> expédients, avaient voulu ménager au magistrat un >> moyen d'échapper à l'application de la loi dans le cas > où elle eût compromis des intérêts précieux. » La loi 32, § 4, est le seul texte invoqué pour établir qu'avant Justinien la femme pouvait valablement renoncer au bénéfice du sénatusconsulte Velléien. Nous venons de montrer qu'elle ne prouve rien de semblable. Il est donc acquis qu'avant Justinien la renonciation au droit de se prévaloir du bénéfice du Velléien était interdite à la femme. CHAPITRE IV EFFETS DU SÉNATUSCONSULTE Le sénatusconsulte produit des effets tant à l'égard de la femme qui a intercédé qu'à l'égard du créancier auprès duquel elle a intercédé (1. 16, Code, 4, 29). A l'égard de la femme les effets du sénatusconsulte sont les suivants : 1o tantôt la femme, qui a intercédé au mépris de la disposition du sénatusconsulte, ne peut être poursuivie par aucune action; 2o tantôt elle a une exception à opposer à l'action qui est intentée contre elle (1. 16, Dig., h. tit.); 3° tantôt elle est protégée par une réplique (1. 17, § 1, Dig., h. tit.); 4o tantôt elle a l'exercice de la condictio indebiti (1. 8, § 3, Dig., h. tit.); 5° en aucun cas la femme qui a violé la disposition Velléienne n'est tenue d'une obligation même naturelle vis-à-vis du créancier; 6o en certains cas on lui concède le droit de revendication (1. 32, §§ 1 et 2, Dig., h. tit.). Quant au créancier, le préteur lui rend l'action qu'il avait perdue contre le débiteur primitif dans le cas où la femme a intercédé par expromissio (1. 8, § 7, Dig., h. tit.), ou bien lui donne l'action qu'il aurait eue contre celui pour lequel la femme a intercédé par intervention. § 1er.- Refus d'action contre la femme. Du texte même du sénatusconsulte Velléien qui nous a été conservé par Ulpien (l. 2, § 1, Dig., h. tit.), il résulte que le magistrat doit refuser toute action, tant réelle (petitio) que personnelle (actio) (1. 178, § 2, Dig., 50, 16), contre la femme qui a intercédé. Mais, pour que le magistrat puisse ainsi agir, il faut qu'il ne soit pas douteux que la femme a bien fait un acte d'intercession, et que, de plus, on ne se trouve pas dans l'un des cas où l'intercession est valable. Si le magistrat est incertain de la validité de l'acte accompli par la femme, il doit délivrer une action contre elle, sauf à insérer dans la formule l'exceptio senatusconsulti Velleiani. § 2. - Exception du sénatusconsulte Velléien. Lorsque le magistrat croit devoir délivrer une action contre la femme, celle-ci peut faire insérer dans la formule de cette action l'exception du sénatusconsulte Velléien. Cette exception oblige le juge à examiner si la femme n'a pas agi contre la disposition du sénatusconsulte : si elle a fait une intercession prohibée, elle n'est pas tenue; sinon, elle doit satisfaire à son engagement. L'exception Velléienne est perpétuelle et péremptoire (1. 3, Dig., 44, 1). Perpétuelle, parce qu'elle n'est pas mise à la disposition de la femme pour un temps seulement, mais pour toujours : à quelque époque qu'elle soit attaquée, elle pourra se défendre en l'opposant. Et de ce qu'elle est perpétuelle, il résulte nécessairement qu'elle est péremptoire, c'est-à-dire qu'elle paralyse, qu'elle détruit en quelque sorte l'action, puisqu'elle la rend inutile dans les mains du demandeur qui sera repoussé, à quelque époque qu'il veuille agir (Ortolan, t. 3, n° 2279). L'exception qui nous occupe appartient par sa nature à la catégorie des « exceptiones rei cohærentes » (1. 7, § 1, Dig., 44, 1), c'est-à-dire qu'elle n'est pas comme les << exceptiones personæ cohærentes » exclusivement attachée à la personne. En raison de ce caractère l'exception du sénatusconsulte Velléien peut être invoquée, non seule |