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que le mari n'aura pas pris inscription après la vente de l'immeuble dans les délais légaux, la femme pourra recourir contre lui si sa négligence lui a causé un préjudice, mais conservera toujours, en outre, son droit de préférence sur le prix de l'immeuble, tandis que, lorsque le mari aura pris inscription en temps voulu, la femme n'aura aucun recours contre lui, mais pourra exercer son droit de préférence. C'est bien à tort que l'on vient prétendre que le législateur a entendu faire dépendre de l'existence de l'inscription l'exercice de l'hypothèque légale de la femme sur le prix de l'immeuble vendu par le mari; d'abord, rien dans les termes de la loi n'indique qu'il en soit ainsi; puis, ainsi que l'on peut s'en convaincre en lisant l'exposé des motifs de la loi (Locré, t. XVI, p. 357 et suiv.; Fenet, t. XV, p. 471), le législateur ne s'est nullement préoccupé lorsqu'il a fait les articles 2193, 2194, 2195 C. civ. de sauvegarder les intérêts des créanciers hypothécaires inscrits sur l'immeuble vendu: son seul but a été de mettre l'acquéreur à l'abri de toute poursuite de la part du créancier à hypothèque légale.

La théorie de la Cour suprême a été constamment combattue par les Tribunaux et Cours d'appel. La Cour de cassation s'est elle-même déjugée dans un arrêt rendu le 21 février 1849 (Dalloz, 49, 1, 157). Aujourd'hui, depuis la loi du 21 mai 1858 modificative de l'article 717 pr. civ., il n'est plus douteux que le droit de préférence puisse survivre au droit de suite; cette loi reconnaît, en effet, que le droit au prix peut appartenir au créancier à hypothèque légale qui a perdu le droit de suite. Par conséquent on doit admettre que la femme mariée peut en renonçant à son hypothèque légale se priver du droit de suite et conserver le droit de préférence. Et, comme nous l'avons déjà dit, il doit en être ainsi toutes les fois que l'acquéreur de l'immeuble du mari, auquel la femme aura consenti une renonciation, sera tout aussi efficacement protégé que la femme conserve ou perde son droit de préférence. Lorsque la femme, à la suite de sa renonciation, a perdu et son droit de suite et son droit de préférence, faut-il dire que l'acquéreur de l'immeuble du mari est investi de l'hypothèque légale ou bien que la femme a perdu cette hypothèque sans l'attribuer à l'acquéreur; en d'autres termes, faut-il dire que la renonciation est transmissive ou simplement extinctive? Il faut suivre à cet égard la volonté des parties; et, si rien ne vient la révéler, il faut attribuer à la renonciation le caractère transmissif dans le cas où l'acquéreur aura plus d'avantages à ce qu'elle ait ce caractère que le caractère simplement extinctif. Mais il faut remarquer que si l'acquéreur d'un immeuble du mari est bénéficiaire d'une renonciation transmissive, comme il n'a déjà aucune créance contre le mari, il est investi à la fois de l'hypothèque et de la créance de la femme et non de l'hypothèque seulement. Par conséquent, la renonciation en ce cas ne constitue pas, à proprement parler, une subrogation à l'hypothèque légale, mais bien une cession de la créance hypothécaire de la femme mariée.

Jusqu'à présent nous avons supposé que le mari avait aliéné un de ses immeubles en qualité de vendeur. S'il l'avait aliéné en qualité de donateur ou de coéchangiste, l'acquéreur serait aussi intéressé à obtenir de la femme une renonciation à son hypothèque légale. Supposons que le mari donne à titre de donation ou d'échange à Pierre un immeuble sur lequel sa femme a hypothèque pour garantie d'une créance de 5,000 fr. Celle-ci a le droit de suivre l'immeuble entre les mains de Pierre, et d'exiger que, s'il ne veut pas s'en dessaisir, il la désintéresse en lui payant les 5,000 fr. qui lui sont dus. L'acquéreur a donc avantage à obtenir que la femme renonce à son droit hypothécaire en sa faveur, car alors il pourra conserver l'immeuble sans rien débourser. Admettons qu'en plus de la femme première inscrite pour 5,000 fr., Paul soit inscrit au second rang pour une somme de 2,000 fr. Pierre offre 4,000 fr. pour purger l'immeuble qui lui a été attribué à titre de donation ou d'échange. Paul voyant qu'il ne touchera rien refuse les offres de Pierre et exige que l'immeuble soit vendu au tribunal. L'acquéreur menacé de perdre l'immeuble ou de ne le conserver qu'à condition de débourser plus de 4,000 fr. demande alors à la femme de renoncer à son hypothèque. Si elle y consent, Pierre ne sera obligé de donner que 2,000 fr. pour désintéresser Paul et restera propriétaire de l'immeuble. Le donataire ou l'acquéreur à titre d'échange d'un immeuble du mari a donc intérêt à ce que la femme renonce en sa faveur à son hypothèque légale.

Renonciation tacite.

La renonciation à l'hypothèque légale ne résulte pas toujours d'une déclaration expresse de la part de la femme: elle peut aussi s'induire des faits. On dit alors qu'elle est tacite.

Certains auteurs ont prétendu que la loi prohibait la renonciation tacite. Dans l'ancien droit, Lamoignon soutenait cette opinion, et sous l'empire du Code civil, M. Duranton s'est rangé au même avis. Ce dernier reconnaît bien que l'article 2180 C. civ. ne dit pas si la renonciation doit être expresse pour priver le créancier de son hypothèque; mais il résulte, prétend-il, de l'ensemble des dispositions du Code civil que la renonciation expresse est seule admise par le législateur : ainsi l'article 621 déclare que l'usufruitier en consentant l'aliénation de la chose grevée d'usufruit conserve son droit s'il n'y a formellement renoncé; l'article 1338 nous apprend que la renonciation au droit d'attaquer un acte entaché de nullité ne vaut que si elle est expresse. Ce que la loi décide en matière d'usufruit, dit M. Duranton, doit s'appliquer en matière d'hypothèque, car le créancier hypothécaire est tout aussi digne d'intérêt que l'usufruitier : il y a même raison pour protéger l'un autant que l'autre. Si la loi, ajoute-t-il, n'admet pas la renonciation tacite en matière d'usufruit, c'est qu'elle y voit un danger; elle a pensé qu'une renonciation déduite d'un fait pouvait être une chose contraire à la véritable intention de l'usufruitier. Cette idée doit recevoir son application lorsqu'il s'agit de la renonciation à l'hypothèque légale, d'autant plus que, la plupart du temps, la femme ne se doute pas que son intervention en telle ou telle circonstance peut entraîner pour elle la perte de son hypothèque. D'ailleurs, fait remarquer le même auteur, il n'est pas nécessaire d'admettre l'existence de la renonciation tacite pour les besoins de la pratique, car si la renonciation tacite est repoussée par notre loi, la femme en sera quitte, lorsqu'elle voudra renoncer, pour le déclarer expressément. M. Duranton invoque aussi à l'appui de sa manière de voir le décret du 28 février 1852 relatif au Crédit foncier pour lui, la renonciation tacite n'est pas admise par la loi française parce que l'article 20 du décret précité déclare que la subrogation à l'hypothèque légale ne peut pas résulter de ce fait que la femme a été présente au contrat de prêt consenti à son mari par le Crédit foncier.

Quelle que soit la valeur des arguments ci-dessus exposés, nous pensons que la loi n'a pas prohibé la renonciation tacite à l'hypothèque. Notre opinion se base d'abord sur ce que l'article 10 de la loi de messidor an 3, qui n'admettait pas les renonciations tacites, n'a pas été reproduit dans notre Code civil, et ensuite sur ce principe de la législation française que l'intention des parties doit être respectée sous quelque forme qu'elle se produise, le consentement ne devant être manifesté d'une manière expresse pour être valable que si une disposition de loi spéciale l'exige. Il faut d'ailleurs bien remarquer que les articles 1338 et 621 du Code civil ne prohibent pas les renonciations tacites comme le prétend M. Duranton : l'article 1338 reconnaît, en effet, que la renonciation au droit d'attaquer un acte entaché de nullité peut résulter de l'exécution de cet acte; il admet donc la renonciation tacite. Quant à l'article 621 du Code civil, il ne dit pas que l'usufruitier conserve son droit à moins qu'il n'y ait expressément renoncé, mais il est ainsi conçu : « La vente >> de la chose sujette à usufruit ne fait aucun changement >> dans le droit de l'usufruitier; il continue de jouir de son >> usufruit, s'il n'y a pas formellement renoncé. » Or, une renonciation formelle n'est pas nécessairement expresse. Elle est formelle toutes les fois qu'elle est certaine. Ainsi que le dit Mourlon, « quoique tacite, elle sera formelle, si >> elle est tellement claire et évidente qu'elle soit exclusive >> de toute espèce de doute. » Au surplus, admettrait-on même que l'article 621 C. civ. prohibe la renonciation tacite au droit d'usufruit, il ne s'ensuivrait nullement que la renonciation tacite au droit d'hypothèque fût aussi prohibée, car ce texte devrait alors être considéré comme une exception à l'esprit général du Code civil et, par conséquent, sa disposition devrait être limitée au cas qu'elle prévoit. — Pour ce qui est du décret du 28 février 1852 relatif au Crédit foncier, il n'infirme en rien notre manière de voir, car nous ferons remarquer avec Mourlon que « s'il a été jugé nécessaire de n'admettre dans les >> matières spéciales qu'il régle que les renonciations >> expresses, c'est qu'évidemment il a reconnu que les >> renonciations tacites sont reçues selon le droit commun. >>> Nous ajouterons que Pothier, le guide ordinaire des rédacteurs du Code civil, reconnaissait la possibilité de

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