CHAPITRE II EN QUELS CAS IL Y A SUBROGATION Dans son article 9, la loi du 23 mars 1855 parle de cession de l'hypothèque légale et de renonciation à cette hypothèque. Dans une première section nous traiterons de la Cession et dans une seconde de la Renonciation. SECTIONI DE LA CESSION DE L'HYPOTHÈQUE La cession de l'hypothèque ne doit pas être confondue avec la cession dont nous parlent les articles 1689 et suivants du Code civil. Cette dernière, connue sous le nom de transport-cession, a pour objet la vente d'une créance avec tous ses accessoires, tels que caution, privilège, hypothèque (art. 1692), tandis que la cession qui nous occupe a seulement pour but de transmettre l'hypothèque séparée de la créance. La cession de l'hypothèque est aussi distincte de la cession d'antériorité faite par une femme mariée. La cession d'antériorité ou de rang consiste en un échange de rang: la femme permet à un créancier qui a hypothèque sur le même immeuble qu'elle, mais à un rang inférieur, de se faire colloquer sur le prix à provenir de la vente de cet immeuble à la place dont elle eût bénéficié, et elle prend elle-même le rang de ce créancier. Cet échange s'effectue jusqu'à concurrence du montant de la créance de celui-ci, pourvu qu'il ne soit pas supérieur à celui de la créance de la femme; s'il l'excède, la collocation du cessionnaire au rang de la femme n'a lieu que pour le chiffre de la créance de celle-ci; pour le surplus, il reste à son rang. Un exemple fera comprendre ce que nous voulons dire. Supposons que Paul soit créancier hypothécaire du mari pour une somme de 5,000 fr., et la femme créancière de la même somme avec un rang préférable à celui de Paul. Entre ce créancier et la femme intervient un contrat de cession d'antériorité. Le résultat de ce contrat sera de faire colloquer Paul au rang de la femme pour 5,000 fr., et la femme au rang de Paul pour égale somme. Si la femme est créancière de 5,000 fr., et Paul de 2,000 fr., ce dernier sera mis au rang de la femme pour 2,000 fr., la femme conservera son rang pour 3,000 fr., et sera mise au rang de Paul pour 2,000 fr. Dans le cas où la femme est créancière de 5,000 fr., et Paul de 8,000, celui-ci montera au rang de la femme pour 5,000, et restera à son rang originaire pour 3,000, et la femme occupera la place de Paul pour 5,000 fr. Dans la cession de l'hypothèque légale, le créancier hypothécaire qui traite avec la femme mariée est bien colloqué au rang de cette dernière, mais la réciproque n'a pas nécessairement lieu. Une autre différence entre la cession d'antériorité et la cession d'hypothèque est la suivante : ainsi que l'indiquent les termes « cession d'antériorité ou >> de rang », il faut, pour que le contrat ainsi nommé soit possible, que le créancier au profit duquel il est fait ait déjà un rang hypothécaire: il ne saurait être question, en effet, de placer à un rang supérieur quelqu'un qui n'occupe pas déjà un rang inférieur. Au contraire, la cession d'hypothèque légale peut être consentie à un créancier simplement chirographaire. Le point commun entre la cession d'antériorité et la cession d'hypothèque consiste en ce que le cessionnaire ne peut pas acquérir un droit plus étendu que celui du cédant, c'est-à-dire que l'hypothèque cédée ne peut pas garantir une somme plus forte entre les mains du cessionnaire que celle qu'elle garantissait entre les mains du cédant. Lorsque dans la pratique une femme mariée fait avec un créancier un contrat qu'elle qualifie de « cession de son >> hypothèque légale », on admet unanimement qu'elle a entendu faire le pacte de subrogation à son hypothèque légale. Les auteurs et les praticiens emploient indifféremment les expressions <<< cession de l'hypothèque » et << subrogation à l'hypothèque ». La cession de l'hypothèque a été imaginée dans l'intérêt des créanciers du mari, mais elle peut être consentie tout aussi bien à un créancier de la femme ou d'une autre personne. SECTION II DE LA RENONCIATION A L'HYPOTHÈQUE Il ne s'agit pas dans cette section de la renonciation réalisée par la femme au profit de son mari, qui est réglementée par les articles 2140, 2144, 2145, C. civ. Cette renonciation dont le but est de dégrever certains biens du mari de l'hypothèque légale de la femme a pour effet de rendre ces biens libres ergà omnes. La renonciation dont nous allons nous occuper ne profite qu'à celui à qui elle a été consentie. Une jurisprudence constante a toujours dispensé la renonciation à l'hypothèque des formalités des articles 2144 et 2145 C. civ. (Voir Troplong, Hyp., t. 2, n° 602, note 5). La femme peut déclarer expressément qu'elle renonce à son hypothèque légale au profit d'un tel, ou bien sa renonciation peut s'induire de certains faits; autrement dit, la renonciation à l'hypothèque peut être expresse ou tacite. Renonciation expresse. La renonciation expresse à l'hypothèque peut être consentie par la femme, soit à un de ses créanciers, soit au créancier d'un tiers, soit au créancier de son mari ou à l'acquéreur d'un immeuble de celui-ci. Quel sens faut il donner à la renonciation dans chacun de ces cas; doit-on y voir une véritable cession de l'hypothèque ou bien un simple engagement de ne pas invoquer l'hypothèque en tant qu'elle pourrait nuire à celui dans l'intérêt duquel est intervenue la renonciation? Il est certain que lorsque la renonciation a été consentie à un créancier de la femme ou à un créancier d'un tiers, elle doit s'interpréter dans le même sens que si la femme avait déclaré faire cession de son hypothèque à ce créancier. Il est dit, en effet, dans l'article 1157 du Code civil que << lorsqu'une clause est >> susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans >> celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans >> le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun. >>> Or, la renonciation n'aurait aucune raison d'être, si elle entraînait simplement l'extinction de l'hypothèque au profit du bénéficiaire, et ne l'en investissait pas. Qu'importe, en effet, au créancier de la femme ou au créancier d'un tiers que l'hypothèque légale existe ou n'existe pas, du moment que n'ayant rien à prétendre sur les biens du mari, ils n'auront pas à souffrir de l'exercice de cette hypothèque? Ce qui leur est utile, c'est le droit de faire valoir eux-mêmes l'hypothèque légale pour obtenir collocation au rang de la femme. Nous dirons donc que la renonciation consentie au créancier d'une personne autre que le mari équivaut toujours à une cession. Une renonciation dont la nature est telle a reçu la dénomination de renonciation translative ou investitive. La renonciation dont l'effet est seulement de faire considérer l'hypothèque légale de la femme mariée comme éteinte en tant qu'elle pourrait nuire au bénéficiaire de la convention porte le nom de renonciation privative ou extinctive. Dans le cas où la femme a déclaré renoncer à son hypothèque légale au profit d'un créancier du mari ou de l'acquéreur d'un immeuble de celui-ci, la renonciation est-elle translative ou est-elle extinctive? Il y a grand intérêt à savoir si la renonciation consentie à un créancier du mari est translative ou simplement extinctive : les résultats sont tout différents suivant qu'elle revêt l'un ou l'autre de ces caractères. Supposons, en effet, qu'une femme mariée soit créancière de son mari au premier rang pour une somme de 100,000 fr., Paul est créancier hypothécaire au second rang pour 200,000 fr., et Pierre occupe le troisième rang pour une créance hypothécaire de 200,000 fr. L'ordre s'ouvre sur 200,000 fr. Si la femme n'a pas consenti de renonciation, elle prendra 100,000 fr., Paul touchera pareille somme et Pierre n'aura rien. Si la femme a consenti une renonciation à Pierre par exemple, voici ce qui se passe en donnant à cette renonciation le caractère translatif : Pierre prend le rang de la femme et obtient ce qu'elle eût obtenu, soit 100,000 fr., Paul touche toujours 100,000 fr. et la femme n'a rien. Que l'on donne à la renonciation de la femme un caractère simplement extinctif, ou, autrement dit, que l'on considère la femme comme ayant promis à Pierre de ne pas invoquer son hypothèque légale en tant qu'elle pourrait lui nuire, il arrivera que la femme aura 100,000 fr., Paul autant et Pierre rien. En effet, si la femme n'avait pas d'hypothèque, Paul montant au premier rang prendrait 200,000 fr., et Pierre n'aurait |