CHAPITRE CINQUIÈME LÉGISLATION DES ROMAINS SOUS LE BAS-EMPIRE (C) Donations à cause de noces. 29. Le dernier des grands jurisconsultes, Modestin, est mort après Paul et Ulpien. Avec le Bas-Empire commence le crépuscule qui précède la nuit du Moyen-Age. Après la victoire du christianisme, la victoire de la barbarie, même en Orient où se réfugient les restes de la civilisation. De Rome nous passons à Constantinople. Le droit, comme tout le reste, entre en décadence. Les préceptes religieux se mêlent de nouveau aux principes juridiques et deviennent des textes de loi. En notre matière, c'est d'une manière toute spéciale que se fait sentir la chute de la société romaine. Les lois caducaires sont abrogées et les secondes noces autrefois en honneur ne sont plus que tolérées par le législateur. Le divorce est sévèrement réglementé, mais néanmoins le régime dotal est poussé à l'extrême. Nous avons vu qu'à l'origine la constitution de dot était une véritable donation faite par la fiancée à son futur mari qui l'acquérait définitivement dans tous les cas, mais qu'elle ne constitua bientôt plus qu'une donation subordonnée à la dissolution du mariage par le prédéces de la femme (1). Cette donation, réglementée d'ailleurs (c) Zachariæ (de Lingenthal): Histoire du droit privė gréco-romain. (1) 19, 2. С. 5. 3. d'une manière particulière disparut à peu près sous Justinien qui décida en 630 que le mari serait dans tous les cas, même si le mariage était dissous par le prédécès de la femme, tenu de restituer la dot par lui reçue, sauf convention contraire des parties (2). Aussi n'aurais-je presque rien de plus à en dire si à côté de la dot, parallèlement en quelque sorte, ne s'était développée une autre institution qui va nous arrêter quelque temps. Entre fiancés nous savons que de tous temps les donations furent permises, soumises qu'elles étaient au droit commun. D'abord réputées faites purement et simplement, elles n'étaient pas subordonnées à la réalisation du mariage. Cependant les parties pouvaient les soumettre à la condition résolutoire de la non réalisation des noces. (Cette clause était peu usitée; on la considérait sans doute comme de mauvais augure) (3). Au contraire était prohibée la donation entre fiancés subordonnée à la condition suspensive de l'évènement des noces, comme donation faite entre époux, sauf d'ailleurs application du sénatusconsulte de Sévère et Caracalla. La législation de l'époque classique fut modifiée par Constantin. Cet empereur déclara sous-entendue dans toute donation entre fiancés la condition résolutoire. On appliqua d'ailleurs à l'évènement de la condition la règle qui fait considérer la condition comme accomplie si celui qui y a intérêt la fait défaillir. Cependant il y avait des motifs d'excuses légitimes au refus de réaliser le mariage: ainsi, par exemple, la différence de religion (4). Par une constitution nouvelle, Constantin modifia sa première décision: il fit maintenir (2) 1, 6. С. 5. 13. (3) Fragm. vat, 262. - 2. C. th. 3. 5. - 7; 10. С. 5. 3. (4) 15; 16, 1. C. 5. 3.-2;5:3 et 4. C. 5. 1. - Fragm. vat. 121. 17. D. la donation pour moitié si la cérémonie du baiser avait été célébrée entre les fiancés, bien que le mariage n'ait pas reçu exécution, au cas où c'était le fiancé qui avait été donateur. Ces donations entre fiancés pouvaient encore en droit, bien qu'en fait cela arrivât rarement, être faites par la fiancée au fiancé (5). 30. Vers cette époque, sans doute, fut consacré un usage pratiqué dès l'époque classique, d'après lequel la fiancée se constituait en dot les biens que lui donnait le fiancé (1). Justinien nous apprend que les juniores principes appliquèrent à cette donation les règles de la dot (2). La donation faite par le fiancé et dont l'objet était constitué en dot par la fiancée prit le nom technique de donatio ante nuptias, tout autre donation entre fiancés conservant le nom de sponsalitia largitas. L'effet de la donatio ante nuptias est de faire contribuer le mari à la constitution de la dot: la dot se composera désormais de la dot proprement dite, apportée par la femme et prise sur ses biens propres, et de la donation anténuptiale que fournit le patrimoine du mari. La donation anténuptiale est donc le pendant de la dot, sa contre-partie : l'antipherna dotis, nous dit Justinien (3). D'où sort cette institution nouvelle ? On ne peut en voir l'origine directe dans la dot offerte par le mari en Orient au père de la femme; c'est un achat et non une contribution par le mari aux charges du inénage. En Germanie nous trouvons bien, au dire de Tacite, une dot apportée à la femme par le mari; mais ici encore on ne peut voir quelque chose d'analogue à la donatio ante nuptias: nous verrons que l'idée d'entretien du ménage paraît (5) 15, 2; 16. С. 5. 3. (1) 1; 14. C. 5.3. (2) Inst. de Just. II. 7. 3. -17; 20: pr. et 1. C. 5. 3. - 8, 4. С. 5. 17. (3) Rubrique; 20: 2 et 4. C. 5. 3. 4 tout à fait étrangère à la dot germanique. Enfin, d'après le système que nous avons admis sur le régime nuptial gaulois, nous ne pouvons voir là non plus l'origine de notre institution. La vérité est qu'elle sort du développement subi par les donations romaines entre fiancés sous l'influence du droit oriental, babylonien et juif. Nous avons vu qu'en droit juif, à l'époque rabbinique, l'ancien prix d'achat payé au père de la femme par le mari s'est transformé en un droit à elle conféré sur les biens de celuici, droit analogue à celui de la femme romaine du BasEmpire sur la donatio ante nuptias, et que cette institution juive n'était, sans doute, que la reproduction d'une institution du droit babylonien qui, dès une époque très antérieure, connaissait la contre-dot (4). On peut suivre d'ailleurs les phases successives parcourues par la sponsalitia largitas romaine. On considéra d'abord la constitution de dot comme une compensation à la donation pure et simple de l'époux (5). Puis on décida qu'en principe la donation serait, comme la dot, soumise à la condition résolutoire du non accomplissement des noces (6). Ensuite, lorsque la coutume se fut introduite que la femme se constituât en dot les biens donnés par le fiancé, on assimila plus complètement la donation anténuptiale et la dot en faisant disparaître la nécessité d'un double contrat. On convint que la donation n'aurait d'effet qu'à la dissolution du mariage, et que pendant sa durée le mari s'en servirait pour en soutenir les charges (7). Plus tard, Justinien permit d'augmenter, de constituer et même de diminuer la donatio ante nuptias pen (4) Journal des Savants, 1884, p. 378 (Dareste). - Nouvelle revue historique, 1886, G. de Lapouge. Le dossier de Bunanitun. (5) 20, 2. in fine. D. 5. 3. (6) 15. C. 5. 3. (7) 17; 19; 20. С. 5. 3. - Inst, de Just. II, 7. 3. dant le mariage, pourvu que cette augmentation, cette constitution ou cette diminution correspondît à une augmentation ou à une diminution pareille de la dot (8). Justinien, changeant le nom de donatio ante nuptias en celui de donatio propter nuptias, permit de constituer la donation en tous cas pendant le mariage sous la seule condition qu'elle n'excédât pas la dot (9). Une différence séparait encore la dot de la contre-dot. Constance Chlore avait soumis à la formalité de l'insinuation toutes les donations entre vifs, sauf celles qui intervenaient entre certaines personnes privilégiées au nombre desquelles figuraient les fiancés et les époux. Mais Constantin abolit cette dispense, et dès lors on appliqua l'insinuation à la donatio ante nuptias comme à toute autre donation entre vifs (10). Cependant la dot continua à n'être pas soumise à la formalité de l'insinuation, à la différence de la donatio ante nuptias qui n'était encore qu'une donation ordinaire. Cette institution s'étant transformée et son caractère de libéralité s'étant à peu près effacé devant celui de dot, cette différence perdit sa raison d'être. D'ailleurs des abus se produisirent. Les fiancés, paraît-il, abusant de l'inexpérience de leurs fiancées, ne faisaient pas insinuer la donatio et en frustraient leurs femmes qui comptaient sur elle, tandis qu'eux-mêmes bénéficiaient de la dot. Aussi une constitution de Théodose et Valentinien de 428 décida que la donatio ante nuptias serait valablement faite même en l'absence d'insinuation lorsqu'il s'agirait de femmes mineures privées du secours de leur père. Puis Justinien en 531 ou 532, par la même constitution qui changea le nom de donatio ante nuptias en celui de donatio propter (8) 19. С. 5. 3. (9) 20: pr. à 5 et 9. C. 5. 3. (10) 1; 13. C. th. 3. 5. - 1; 2; 5; 6. C. th. 8. 12. - 34. C. J. 8. 54. |