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la donation s'évanouira bien que l'époux du donateur lui survive. Cependant on admit, benignitatis causâ, que si l'époux du donateur était seul héritier du donataire, la donation serait maintenue en cas de survie de cet époux : on considérait qu'une nouvelle donation venait en quelque sorte remplacer celle qui avait été anéantie (10). Supposons maintenant que le donataire soit l'un des époux, l'autre étant en puissance du donateur. La donation vaudra si après la mort de l'époux du donataire, celui-ci survit au donateur. Si le donateur décédait avant la dissolution du mariage, la donation ne pourrait être confirmée. Pourtant, malgré le silence des textes, peut-être faut-il admettre ici encore, comme dans le cas précédent, qu'elle restera en suspens, si le donateur a pour unique héritier l'époux du donataire, pour être confirmée en cas de prédécès de cet époux: cela paraît résulter implicitement d'un rescrit d'Alexandre Sévère (11). Enfin, si les deux époux sont en puissance, l'un du donateur, l'autre du donataire, pour que la donation soit confirmée, il faut que le donataire et l'époux en sa puissance survivent au donateur et qu'à l'évènement de cette condition, le mariage soit dissous. La solution serait analogue si le donateur et le donataire étaient au contraire respectivement en puissance de chacun des époux (12).

Si nous voulons formuler une règle générale, nous dirons que, sauf l'exception plus haut signalée, la donation sera confirmée par la survie du donataire au donateur si au moment du décès de celui-ci le mariage est dissous et si le patrimoine donataire est encore représenté par l'un des époux. Il en résulte que si le lien de puissance qui unissait l'un des époux au donataire, a été brisé, par

(10) 32, 18. D. 24. 1.

(11) 32, 15. D. 24. 1. - 5. C. 5. 16. (12) 32. 20. D. 24. 1.

l'émancipation par exemple, avant l'événement de la condition, le sénatusconsulte ne s'appliquera pas. Il faut même dire qu'il ne s'appliquera pas si c'est le lien qui unissait l'autre époux au donateur qui a été brisé; car on ne pourrait désormais considérer les deux patrimoines comme patrimoines de deux époux: l'époux donataire ou en puissance du donataire est devenu complétement étranger à celui qui a fait la donation (13). D'ailleurs nous devons écarter de la théorie précédente le cas où un fils de famille dispose sur son pécule castrense ou quasi-castrense : il est considéré comme chef de famille par rapport à ce pécule, et c'est son prédécès qui confirme la donation. D'un autre côté, les règles générales relatives à la révocation s'appliquent ici. Mais cependant la répudiation d'un époux par le père de famille de l'autre, bien que n'entraînant plus divorce entre les époux depuis un rescrit de Sevère et Caracalla, entraînant rupture du mariage à l'égard du père de famille, révoquera la donation par lui faite ou à lui faite (14).

Effets de l'application du sénatusconsulte.

27. Si la confirmation n'a pas lieu, les conditions d'application du sénatusconsulte ne se réalisant pas, nous restons sous l'empire des règles de l'ancien droit sur la prohibition des donations entre vifs; nous n'avons pas à y revenir (1). Quant aux effets de la confirmation tacite d'après le sénatusconsulte, nous appliquerons aux donations entre vifs confirmées les règles des donations à cause de mort. Mais ici la condition suspensive aura toujours effet rétroactif au jour de la donation. Le donateur a voulu que le transfert fût immédiat, puisqu'il a voulu faire une libéra

(13) 32, 21. D. 24. I.
(14) 32: 17, 19 et 20. D. 24. 1.

(1) 32: 9 et 10. D. 24. 1.

lité entre vifs. La propriété de la chose donnée sera transférée de plein droit, par la survie du donataire, avec effet rétroactif. S'il s'agit d'une obligation, la mort du donateur donnera naissance à une action; s'il s'agit d'une acceptilation, l'effet de cet actus legitimus restera en suspens jusqu'à l'événement de la condiction, demeurant nul si elle fait défaut, rétroagissant si elle se réalise (2).

Donc, jusqu'à la confirmation (pendente conditione), la donation ne vaut pas; comme dans le droit antérieur, elle est nullius momenti (3). Mais après la confirmation, la donation, ayant été confirmée, est considérée comme ayant été valablement faite au jour où elle est intervenue. S'il y a eu acceptilation, par exemple, ce qui est resté en suspens ce n'est pas l'acceptilation elle-même, mais son effet (4). D'ailleurs un rescrit de Dioclétien et Maximien confirme incidemment la doctrine précédente. C'est une question de fait et non de droit, c'est une question d'interprétation de volonté, disent les empereurs, que de savoir si, par une clause insérée dans son testament, le de cujus a voulu ou non faire une libéralité et dans le cas de l'affirmative s'il a voulu faire une libéralité testamentaire ou confirmer une libéralité entre vifs. Dans ce dernier cas, la libéralité vaut, non comme legs ou fideicommis, mais comme donation. Et alors la propriété a été transférée dans la plus large mesure possible: donc avec effet rétroactif, comme dans certaines donations mortis causâ. Or nous savons que le sénatusconsulte considère la donation entre vifs non révoquée, comme ayant été confirmée par acte de dernière volonté. La solution des empereurs est donc applicable aux donations confirmées par le silence du donateur (5).

(2) 32: 1 et 23. D. 24. 1.

(3) 32: 8, 11, 12, 13, 14 et 23; 33; 34; 35. D. 24. Ι.

(4) 32. 23. D. 24. I.

(5) 32: 1 et 16. D. 24. 1. - 14. С. 5. 16.

Enfin le rescrit suivant des mêmes empereurs ne contredit pas notre doctrine. Ce rescrit suppose un débiteur mort insolvable et décide que la donation déguisée, même non révoquée, qu'il a faite à son épouse, n'est pas opposable au créancier. En cas d'insolvabilité, en effet, les donations à cause de mort étaient réduites comme les legs, même si elles valaient sous condition suspensive avec effet rétroactif ou sous condition résolutoire (il en était ainsi pour l'application de la Falcidie), et même si elles étaient antérieures à la dette. Dans notre hypothèse, d'ailleurs, on pouvait voir une révocation partielle ou totale de la libéralité dans la naissance des dettes qui causaient l'insolvabilité, et surtout l'on donnait raison à celui qui luttait pour éviter une perte, contre celui qui luttait pour obtenir un gain (6).

28. En somme, d'après le sénatusconsulte, la donation entre vifs en même temps que confirmée est transformée en donation à cause de mort ou du moins vaut comme telle, sous condition suspensive avec effet rétroactif. La règle, étant ici la rétroactivité, se trouve être inverse de celle que nous avons donnée pour la donation mortis causâ. Cela explique peut-être les contradictions que nous avons rencontrées dans les textes relatifs à celle-ci sur la rétroactivité. De même que l'on appliqua généralement les règles des donations mortis causâ aux donations confirmées par le décret du sénat, de même certains jurisconsultes purent être tentés d'appliquer, après le décret, certaines des règles spéciales des donations confirmées aux donations mortis causâ. De là une certaine confusion lorsqu'il se trouva, comme sur la rétroactivité, des règles inverses. Au surplus, le texte de Papinien, qui paraissait contraire à notre système sur la rétroactivité des

(6) 13; 15. С. 5. 16. - 17. D. 39. 6. - 66, 1. D. 35. 2.

donations à cause de mort, vise-t-il peut-être les donations entre vifs confirmées, qui valaient comme donations à cause de mort, tandis que les textes d'Ulpien conformes à notre doctrine s'appliquent à coup sûr aux donations à cause de mort proprement dites: ils font en effet partie de son livre XXXIIe sur Sabinus, dans lequel il étudie le droit antérieur au sénatusconsulte, tandis qu'il n'expose qu'au livre xxxIIIe les modifications introduites par le sénat (1).

Quoi qu'il en soit, disons, en terminant l'étude du sénatusconsulte, que le droit classique est parvenu, grâce à lui, à échapper par un détour très ingénieux à ce que présentait de dissonnant la théorie des libéralités entre époux imposée par le régime dotal. Désormais toutes les libéralités entre époux sont permises et même favorisées; mais les donations entre vifs, quoique autorisées, ne sont plus considérées comme étant intervenues entre vifs : elles sont transformées en même temps que maintenues. Les libéralités à cause de mort sont les seules qui devraient rationnellement exister entre époux; les inconvénients des donations entre vifs quand elles sont devenues possibles les ont fait proscrire : les donations entre vifs vaudront, mais comme donation à cause de mort, et comme telles seront révocables au gré du donateur. Ainsi fut tournée la difficulté et trouvée la seule solution heureuse qui puisse cadrer avec le maintien du régime matrimonial qui séparait les patrimoines des époux. Les Romains ne sont pas allés plus loin en remplaçant leur régime nuptial par un régime plus rationel. L'honneur devait en revenir à notre ancien droit national. A partir de cette époque nous entrons d'ailleurs dans la période de décadence du droit romain et nous verrons que la théorie du sénatusconsulte ne fut pas conservée dans toute sa pureté par le droit du Bas-Empire.

(1) 40. D. 39. 6. II: pr. à 2; 32. D. 24. 1.

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