Dans une hypothèse spéciale, l'exercice de l'action en revendication du donateur était entravé. Ce qu'un époux reçoit de son conjoint pour construire sur son propre terrain ou ensemencer son champ est présumé avoir été donné, la preuve contraire réservée. Or, la loi des XII Tables défendait d'exercer l'action en revendication ou l'action ad exhibendum contre le propriétaire du sol, qui avait construit avec les matériaux d'autrui, tant que les matériaux faisaient corps avec la construction et ne pouvaient être enlevés sans inconvénients. Dans ce cas les Décemvirs donnaient contre lui une action, de tigno juncto, au double de la valeur des matériaux employés. Il faut dans la même hypothèse accorder à l'époux donateur l'action de la loi des XII Tables, bien que les Décemvirs n'aient probablement pas prévu ce cas, mais n'accorder l'action de tigno juncto que pour une fois la valeur des matériaux. Paul remarque, en effet, que ce qui a été employé du consentement du propriétaire ne peut être considéré comme volé. Et c'était cette manière d'envisager en droit commun l'emploi des matériaux, qui avait fait donner contre le constructeur une action au double. Que si inversement la femme, par exemple, avait construit avec ses propres matériaux sur un terrain à elle donné par le mari, la donation étant nulle, la construction comme le terrain pouvaient être revendiqués par le mari; mais la femme pouvait retenir le montant des dépenses qu'elle avait faites (11). Si les jurisconsultes annulaient le transfert direct d'un droit réel entre époux, ils n'avaient pas admis la même solution pour le transfert indirect. Lorsqu'un époux laissait, donationis causâ, s'éteindre par le non usage une servitude grevant le fonds de son conjoint au profit de son propre (11) 13, 2; 31, 2; 45; 63. D. 24. 1. fonds, ils décidaient que la servitude se trouvait bien éteinte et ne donnaient au donateur qu'une action personnelle pour la faire rétablir (12). Nous savons que, lorsque l'un des époux avait reçu de l'autre la tradition d'un objet pour cause de donation, il ne pouvait l'usucaper. Mais il pouvait arriver que la donation d'une chose, appartenant au mari par exemple, fût faite à la femme par un tiers se croyant propriétaire ou par un fils de famille, en puissance du mari, se croyant chef de famille. Dans ce cas l'usucapion courra évidemment au profit de la femme si elle est de bonne foi. Si le mari ignore qu'il est propriétaire, et si l'usucapion s'accomplit sans que les époux aient appris que la chose usucapée par la femme appartient au mari, il n'y a pas donation, et la propriété se trouve définitivement acquise à la femme sans compensation. Si l'on suppose (13) que les deux époux apprennent ce qui en est, au cours de l'usucapion, il n'y a pas d'hésitation possible: l'usucapion est interrompue; tout se passe comme si la femme avait restitué au mari et si le mari lui avait ensuite rendu l'objet donationis causa. Si la femme seule apprend que le mari est propriétaire, il serait rationel de conclure que l'usucapion ne sera pas interrompue, puisque le mari ne pourra être considéré comme donateur. Cette solution, que nous adopterons avec M. de Savigny (14), est confirmée par le texte des Basiliques, correspondant au texte de Neratius conservé au Digeste. Ce texte du Digeste, dans la leçon commune, présente deux phrases contradictoires; un changement de ponctuation, évidemment nécessaire, lui fait nous donner la décision rationnelle précédente. Une dernière hypothèse, celle où le mari seul apprendrait qu'il est propriétaire, n'est pas prévue par le (12) 5, 6. D. 24. 1. (13) 44. D. 24. 1. (14) Revue historique, 1815. - Traité de Droit romain IV. Appendice 9. jurisconsulte. Il n'est pas douteux que l'usucapion continue en ce cas: Neratius invoque, en effet, une double tradition fictive, c'est-à-dire un concours de volonté, pour conclure à l'interruption de l'usucapion. Mais, de ce que le silence du mari laisse l'usucapion s'accomplir, il ne s'en suit pas que nous ne soyons pas en présence d'une donation prohibée. La propriété, ayant été transférée indirectement, l'a valablement été, mais le mari aura une action personnelle contre sa femme, qui ne sera tenue que dans la mesure de son enrichissement (15). 16. Passons aux droits personnels. La règle est toujours la même : l'acte par lequel l'un des époux crée ou anéantit un droit personnel au profit de son conjoint, est nul et de nul effet, nullius momenti. Nulle obligation ne prend naissance si l'un d'eux promet à l'autre stipulant; il n'y a pas de libération, si donationis causâ l'un reconnaît par acceptilation avoir reçu de l'autre ce que celui-ci devait (1). De même, si le débiteur du mari a sur son ordre promis une somme à la femme, la délégation ne vaut pas; et si la femme s'est engagée vis-à-vis du créancier du mari pour le libérer et a fourni une caution, l'expromissio est nulle et le mari reste tenu (2). Que décider si le débiteur du mari, sur l'ordre de celui-ci, a payé à la femme? D'après ce que nous venons de dire, la solution n'est pas douteuse quant aux rapports des époux; mais quelle sera la situation du débiteur? La jurisprudence romaine a varié sur ce point. Africain décidait que le débiteur restait obligé vis-à-vis du mari (3). D'une façon générale, en effet, ce jurisconsulte admettait que le débiteur de bonne foi n'était libéré, en payant au manda (15) Machelard: Textes sur les donations entre époux, § 3. (1) 3, 10. D. 24. 1. (2) 5: 3 et 4; 39. D. 24. 1. (3) 38, 1. D. 46. 3. taire du créancier, que si ce mandataire recevait pour le compte de son mandant; s'il recevait pour son propre compte, le débiteur restait obligé envers le mandant. Il en résultait que le débiteur restait propriétaire des objets qu'il avait livrés, et qu'on lui donnait l'action de vol contre le mandataire. Africain admettait pourtant qu'en cédant ses actions au créancier, envers lequel il restait tenu en droit strict, le débiteur de bonne foi pouvait opposer l'exception de dol à son action en paiement. Comme il ne pouvait être question de vol entre époux, l'action contre la femme que le débiteur devait céder au mari, était une condictio ou une revendication, suivant que l'argent avait été ou non dépensé par la femme. Le texte d'Africain semble accorder au mari l'action de vol après le divorce: on ne peut voir pourtant un vol dans l'acte de la femme autorisée par le mari à recevoir. Il faut dire avec Cujas que le jurisconsulte suppose qu'elle a touché l'argent après le divorce et la révocation de la donation, ou avec M. de Savigny, d'après Fâvre, que cette action était donnée par le jurisconsulte pour l'hypothèse générale, et que les compilateurs du Digeste, l'appliquant à tort à notre cas spécial, ont ajouté les mots << après le divorce » pour écarter l'inélégance d'une action de vol entre époux pendant le mariage, action que le droit romain n'a jamais admise. La doctrine de droit strict d'Africain fut remplacée par une doctrine plus libérale. Ulpien, conformément à l'opinion encore un peu hésitante de Celsus, déclare le débiteur libéré de plein droit et le mari propriétaire (4). Ulpien admet, en effet, une double tradition fictive que l'on n'admettait pas du temps d'Africain (5). Il admet d'une manière générale qu'on peut recevoir par l'intermédiaire d'un (4) 3, 12. D. 24. 1. (5) 34, pr. D. 17. 1. - 18. D. 12. 1. tiers ce dont on est créancier. Il est donc naturel que dans notre hypothèse il dise avec Celsus: la chose s'est passée comme si le débiteur du mari lui avait payé, opération licite et valable, et comme si le mari avait ensuite donné à la femme, opération illicite et nulle (6). Enfin, l'époux peut indirectement donner à son conjoint en négligeant de réclamer ce que celui-ci lui doit. Ainsi, pouvant obtenir contre lui une condamnation, il l'a laissé absoudre. Il n'en aura pas moins une condictio pour lui réclamer la valeur dont il a été enrichi de la sorte. La sentence du juge vaudra, mais le donateur aura une action personnelle pour en combattre les effets (7). 17. Jusqu'à présent, nous n'avons examiné que les actes qui tendaient ouvertement à réaliser une donation prohibée. Nous avons à examiner ce que l'on décidait si, par une voie détournée, les époux essayaient d'arriver au même résultat. A côté des donations qui se présentent, si je puis dire, à visage découvert, nous rencontrons les donations déguisées sous le voile d'un contrat à titre onéreux et les donations faites à personnes interposées. Les Romains durent annuler celles-ci comme celles-là pour que la prohibition ne restât pas lettre morte. Supposons d'abord qu'une donation prohibée entre époux soit dissimulée par une interposition de personnes. Si l'un des époux a fait tradition d'un objet à un tiers pour que ce tiers le transfère à son conjoint, la donation ainsi opérée ne peut valoir et le donateur peut exercer une action contre son conjoint comme si la donation eût été directement faite entre eux (1). Pour que la donation soit nulle, il faut qu'elle ait été faite pendant le mariage : que décidait-on si c'était avant le mariage que la tradition (6) 3, 12; 26, pr.; 39. D. 24. 1. - 3, 13; 4; 56. D. 24. 1. (7) 5, 7. D. 24. I. (1) 3, 9. D. 24. 1. - Sent. de Paul, II. 23. 3. |