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son gain en cas de survie. En général, pour égaliser les avantages, la femme se constituait en dot ce qu'elle recevait de son mari. C'est là le germe d'une institution que nous aurons à étudier quand nous arriverons au BasEmpire. Bornons-nous à indiquer ici que la donation ante nuptias constitue une transition entre la donation pure et simple du fiancé à la fiancée et le régime matrimonial généralement adopté sous Justinien.

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Prohibition des donations entre vifs.

12. Ulpien nous apprend que l'usage fit prohiber en principe les donations faites entre époux pendant le mariage (1). Quand, par l'extension du régime dotal et la désuétude du régime de la manus, les donations entre époux au cours du mariage purent devenir fréquentes, on ne tarda pas à s'apercevoir des nombreux inconvénients qu'elles présentèrent.

Le remplacement du vieux régime nuptial par le régime dotal était favorisé par l'extension du divorce: on ne voulut pas que sous une menace de divorce l'un des époux pût arracher une donation à la faiblesse de son conjoint et que le maintien du mariage pût être le prix de donations ainsi faites (2). D'un autre côté, le mariage libre étant contracté presque exclusivement dans toutes les classes de la société, le régime dotal a pris naissance et s'est développé. En principe la femme conserve ses biens. Elle apporte, il est vrai, à son mari les biens constitués en dot et le mari en devient propriétaire; mais il doit les restituer si sa femme lui survit ou si un divorce intervient. Cette dot, que la femme apporte au mari pour l'aider à subvenir aux charges du ménage, doit donc être conservée par lui

(1) 1; et 3, pr. D. 24, 1.- Fragm. vat. 96.
(2) 2. D. 24, 1.

(c'est là le signe caractéristique du régime dotal), et l'une des mesures destinées à garantir cette conservation est la prohibition des donations entre époux. La femme vivante au moment de la dissolution du mariage doit alors, et alors seulement, recouvrer sa dot qui lui permettra de se remarier avantageusement ou de vivre d'une manière honorable. Le mari ne peut pas la lui restituer pendant le mariage. Les patrimoines des époux doivent être absolument séparés pendant toute sa durée. Pas de donations possibles entre eux, pas plus du mari à la femme que de la femme au mari. La prohibition s'étendit jusqu'à la renonciation de la femme au droit de gage ou d'hypothèque, qu'elle pouvait avoir sur les biens de son mari, en faveur d'un autre créancier de celui-ci; et le sénatusconsulte Velléien, qui défendit aux femmes en général de 's'obliger, d'intercéder pour autrui, ne fut que la confirmation d'une législation ancienne défendant à la femme d'intercéder en faveur de son mari: Ulpien nous cite sur ce point des édits d'Auguste et de Claude (3).

Des raisons plus générales, qui ne s'appliquent pas seulement au cas où la séparation des biens des époux est réalisée sous la forme du régime dotal, furent également invoquées par les jurisconsultes. On craignit que les époux, aveuglés par l'amour qu'ils portent à leurs conjoints, ne se dépouillassent en leur faveur par des donations inconsidérées et n'abusassent ainsi d'une liberté qu'on pouvait leur laisser sans crainte à l'égard des autres personnes. On ne voulut pas que le meilleur des époux se laissât entraîner à des donations qui le rendraient plus pauvre que son conjoint plus mauvais. On craignit que les enfants n'eussent à souffrir de ces donations. Enfin, comme nous l'avons dit plus haut, on veilla à la réputation des con

(3) 2. D. 23. 3. - 1. D. 24.3. - 11, pr; et 17, 1. D. 16. 1.

joints, de peur qu'ils parussent avoir acheté à prix d'argent la paix du ménage, estimant que l'union n'est honnête que lorsqu'elle provient du cœur et de l'amour (4).

Mais les jurisconsultes n'ont pas vu que si rationnellement les libéralités entre époux au cours du mariage ne doivent pas avoir leur raison d'être, c'est que les époux doivent vivre de la même vie, c'est que tous leurs intérêts doivent être et rester identiques au cours de leur union. La conséquence logique qu'ils eussent tirée de cette manière de voir eût été, non la prohibition des donations entre époux, mais la fusion complète de leurs patrimoines qui eût rendu ces donations impossibles. D'après Plutartarque, on ne voulut pas que la société des biens, qui devaient être comme communs entre les époux, fut supprimée par l'acceptation du plus petit présent (5). Il semble que le philosophe, plus avancé que le jurisconsulte, ait pressenti le régime nuptial de communauté (x).

13. Les motifs de la prohibition connus, déterminons les circonstances dans lesquelles elle s'applique. Et d'abord nous devons faire une observation générale qui domine toute cette matière et qui résulte des motifs mêmes sur lesquels les jurisconsultes fondaient la prohibition. C'est qu'elle doit être appliquée avec toute la douceur (non amare, dit Paul) qu'imposent ces motifs (1). Ici, plus que partout ailleurs, on doit faire prévaloir la solution équitable et bienveillante sur la solution élégante lorsque celle-ci est rigoureuse. Cela dit, nous allons étudier successivement les deux points suivants : entre quelles personnes s'applique la prohibition? à quelles donations s'applique-t-elle ?

(a) Notons cependant que les jurisconsultes romains n'admirent pas l'action de vol entre époux.

(4) 1; 2; et 3, pr. D. 24. 1.

(5) Quæst. Rom. 7.

(1) 28, 2. D. 24. 1.

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La donation est prohibée entre époux unis par de justes noces. Donc, comme nous l'avons vu, les donations n'ont pas été interdites entre fiancés. Si une donation était faite le jour du mariage, il faudrait considérer si elle est antérieure ou postérieure à sa réalisation; valable dans le premier cas, elle serait nulle dans le second. Tant que le mariage légitime n'est pas conclu, la prohibition ne s'applique pas (2). Cependant, Antonin le Pieux décida, par faveur pour les militaires, qu'ils pourraient faire annuler les donations par eux faites à leurs concubines pendant le concubinat (3). En dehors de ce cas, il fallait de justes noces : Il n'y avait donc pas nullité de la donation faite au cours d'un mariage à la validité duquel faisait obstacle un empêchement légal (4). Mais l'émolument de la donation était alors confisqué au profit du Trésor si l'on pouvait imputer au donataire la violation de la loi qui rendait nul son mariage; tandis qu'on laissait le donataire excusable en possession de l'objet de la donation et qu'on lui accordait même une action utile pour le réclamer au besoin (5).

En principe, disons-nous, le mariage légitime contracté, les donations ne sont plus possibles. Celles qui interviendraient ensuite au cours du mariage seraient nulles. Le point de départ de la prohibition est donc le moment précis où le mariage est réalisé. On a longtemps discuté parmi les interprêtes modernes pour déterminer ce moment. Aujourd'hui, on est généralement d'accord pour admettre que le mariage est conclu dès que, du consentement des parties, la femme est mise à la disposition du mari, en vue de réaliser entre eux de justes noces. L'accomplissement de céré

(2) Fragm. vat. 96. -27; et 66. D. 24. 1.

(3) 2. С. 5. 16.

(4) 3, 1. D. 24. 1. — 31, pr. D. 39.5.

(5) 16; et 44, pr. D. 23. 2.- 38; 63; et 65. D. 23. 2.-3, 1; et 65. D. 24. 1. 6. С. 5. 4.-7. С. 5. 16.

monies n'est nécessaire que si les parties veulent qu'il en soit ainsi. Cette théorie, qui résulte de l'ensemble des textes sur les justes noces, est appliquée par les jurisconsultes à propos de la validité des donations entre époux (6). Mais que décider si la donation coïncide avec le moment même où le mariage est conclu? Une donation entre fiancés soumise à la condition suspensive de la réalisation du mariage sera-t-elle valable? Les jurisconsultes décidèrent rigoureusement que non c'est un des rares cas où ils n'ont pas appliqué leur règle d'interprétation bienveillante. Bien que l'influence matrimoniale ne soit pas ici à craindre, ils en décidèrent ainsi de peur que la vénalité ne s'introduisit dans les mariages. D'ailleurs, cette solution n'avait pas été d'abord universellement admise. Celsus décide que la donation vaudra suivant les circonstances, cognitâ causâ, et Ulpien, qui déclare la donation nulle, ne paraît pas très sûr de sa doctrine. Quoi qu'il en soit, elle fut confirmée plus tard par une constitution de Gordien (7).

Le mariage réalisé, les situations respectives des patrimoines des époux sont déterminées, et non seulement la donation faite postérieurement est nulle quand elle est faite par l'un des époux à l'autre, mais encore quand elle est faite par l'un des époux à ceux qui sont sous la puissance de l'autre ou à celui sous la puissance duquel cet autre se trouve, et inversement; ou encore lorsqu'elle intervient entre deux personnes respectivement unies par un lien de puissance à l'un et à l'autre des époux (8). Cette règle, qu'il ne faut pas confondre avec la défense faite aux époux de se faire des donations par personnes interposées pour tourner la loi, n'est que l'application directe de la prohibition. La donation faite par l'un des époux à l'esclave de

(6) 27; et 66. D. 24. 1. - Fragm. vat. 103. - 6. С. 5. 3.

(7) 97, 2. D. 45. 2.

32, 22. D. 24. 1. - 12, pr. D. 23.3. - 4. С. 5. 3.

(8) 3:2, 3 et 5 à 8; 26, 1; 60, pr. D. 24. 1.

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