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un mariage sans manus, entraînés qu'ils furent par leur première manière de voir, en ce qui concernait les libéralités à cause de mort, et par cette considération que les rapports des époux doivent être réglés comme des rapports amicaux et non hostiles. Nous allons voir qu'ils durent bientôt revenir sur leur décision et, quoique à regret peut-être, se soumettre à la solution logique imposée par leur nouveau régime matrimonial.

CHAPITRE TROISIÈME

LÉGISLATION DES ROMAINS SOUS LE HAUT-EMPIRE

Transition de la République à l'Empire.

10. Dans les derniers temps de la République, la civilisation s'est considérablement développée; elle va s'accroître encore pendant les premiers siècles de l'Empire. La science du droit a pris son essor: nous entrons dans sa période classique. Nous allons nous trouver enfin en présence de principes juridiques clairement posés et surtout développés avec science et précision. En notre matière, il y eut un revirement complet. Le divorce prend une place importante dans les mœurs. La manus tombe en désuétude. Cette institution, incompatible avec le divorce (car on ne peut concilier la répudiation envoyée par la femme avec la puissance maritale telle qu'elle découlait primitivement de la manus), doit s'effacer devant lui, perdre sa vigueur d'origine et sa raison d'être. On ne l'emploie plus que rarement et quand on l'emploie, ce n'est plus que l'ombre de la manus antique : si bien que Cicéron (1) ne voit dans ses effets qu'une constitution générale de dot. Les mariages libres forment par contre le cas ordinaire. Ulpien nous apprend (2) que l'usage fit prévaloir la règle de la prohibition des donations entre époux. Nous avons vu que cet usage s'établit postérieurement à l'an 550 de Rome, date de la loi Cincia. Au temps

(1) Topiques, IV.
(2) I. Digeste, 24. 1.

de Labéon, au commencement de notre ère, il était en vigueur (3).

La prohibition des donations entre époux, avons-nous dit, est la conséquence logique de la séparation de leurs patrimoines réalisée pour obtenir entre eux l'égalité de situation au point de vue pécuniaire. Nous allons avoir à exposer en détail les causes qui firent admettre la prohibition. Pour le moment, qu'il me suffise de faire observer ce qu'il y a d'étrange dans la théorie nouvelle qui paraît supposer un antagonisme entre les époux, alors que les Romains voyaient dans le mariage une union si complète qu'ils le qualifiaient de consortium omnis vitæ, divini et humani juris communicatio (4). Les Romains sentirent bien cette inélégance, imputable, non à leur solution relative aux libéralités entre époux, mais à leur régime nuptial dont elle était la conséquence naturelle. Aussi allons-nous les voir se départir peu à peu de leur rigueur primitive et la réduire à sa plus simple expression. Ils nous apprennent que c'est avec bienveillance qu'il faut interpréter la prohibition et, nous mettant en garde contre l'apparence des choses, nous disent qu'il n'en faut pas conclure que les époux sont envisagés par eux comme ennemis l'un de l'autre. D'ailleurs ils n'eurent pas à entraver entre époux les libéralités à cause de mort; ils ne frappèrent que les donations entre vifs. Mais, pour justifier cette distinction, ce ne fut pas sur des raisons de fond qu'ils s'appuyèrent, ce fut sur une raison de forme: la prohibition, dirent-ils, ne frappe que les donations entre époux; elle ne s'applique donc pas aux libéralités testamentaires dont ils peuvent se gratifier; elle ne doit donc pas s'appliquer aux donations à cause de mort (nous allons les voir apparaître dans la législation romaine) qui ne se réalisent

(3) 65; et 67. D. 24. 1. (4) 1. D. 23, 2.

qu'après la dissolution du mariage et qu'on peut par suite considérer comme n'intervenant pas entre époux. En réalité, ce qui leur fit autoriser les époux à se donner à cause de mort, c'est qu'alors le donateur conservait le droit de révocation. Nous verrons par la suite comment ils développèrent plus tard ingénieusement cette idée. Commençons par étudier les règles qui président à la prohibition des donations entre époux. Nous supposerons désormais qu'il s'agit d'un mariage libre, ce qui est devenu le cas ordinaire, nous contentant de signaler les quelques dispositions spécialement applicables au mariage avec

manus.

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Libéralités entre fiancés.

11. Entre fiancés aucune restriction n'est apportée à la liberté des donations. Il faut distinguer de ces donations les arrhes de fiançailles qui, analogues aux arrhes en cas de vente, n'ont pas le caractère de libéralités, mais sont plutôt le prix du dédit si l'une des parties refuse de donner suite aux fiançailles et fait par sa faute manquer le mariage (1): En cas de rupture les arrhes sont perdues ou restituées soit au double soit au quadruple suivant les hypothèses.

La donation entre fiancés est présumée faite purement et simplement. Si elle n'est pas formellement soumise à la condition résolutoire du non accomplissement des noces, elle est maintenue que les noces se réalisent ou non (2). Nous verrons bientôt qu'elle ne peut être faite sous la condition suspensive de leur accomplissement, parce qu'on la considère alors comme faite entre époux (3). La donation pure et simple entre fiancés est faite ordinaire

(1) 3; et 4 Code 5, 1.

(2) Fragm. vat. 262. -6;7; et 10. C. 5. 3.
(3) 4. C. 5. 3.

ment par le fiancé (4). Cependant la fiancée peut la faire (5).

Mais, généralement, ce qu'elle donne au fiancé, elle le donne à titre de dot; et la dot est soumise à des règles toutes spéciales. La cause de la dot était moins l'intention de faire une libéralité que l'intention de subvenir aux charges du ménage. Elle pouvait être constituée avant comme après le mariage; mais si elle était constituée auparavant, le maintien de sa constitution était subordonné à la réalisation des noces. Le mariage accompli, à l'origine dans tous les cas le mari acquérait définitivement la dot: la cause de la dot est perpétuelle, nous dit Paul (6). Les actions en restitution de dot furent précisément inventées, d'après Aulu-Gell, pour obvier à l'inconvénient que présentait cette règle en cas de divorce. Ces actions en restitution s'appliquaient également pour tous les biens advenus au mari du chef de la femme en cas de rupture, par le divorce, d'un mariage avec manus. A l'époque classique la jurisprudence a étendu ces actions en restitution au cas de prédécès du mari (7). Comme on peut voir dans le divorce une cause de révocation, on peut dire qu'à notre époque l'apport de la dot par la fiancée est une donation faite au fiancé sous la condition de sa survie, sauf bien entendu convention contraire. C'est cette menace de révocation, cette condition de survie qui ont constitué le régime dotal, en imposant au donataire l'obligation de conserver la dot pour être en mesure de la restituer éventuellement.

La donation anténuptiale, que seul le fiancé pouvait faire, de même que seule la fiancée pouvait constituer la dot, fut introduite comme compensation de la dot et de

(4) Fragm. vat. 97, 115. - 1 à 14. C. 5. 3.

(5) Fragm. vat. 302. - 15, 2; et 16, 1. C. 5. 3.

(6) 1. D. 23. 3.

(7) Fragm. vat. 97, 115.

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