libéralités que leurs premiers conjoints leur avaient faites; les enfants du premier lit leur étaient en quelque sorte substitués quant à ces biens. Nous avons vu comment la loi révolutionnaire, hostile à toute distinction des biens fondée sur leur origine, abolit ce chef de l'Edit. Il n'a pas été rétabli par le Code Civil, sans doute pour le même motif, bien que le Code admette dans certains cas des substitutions (2). Quoi qu'il en soit, si le second chef de l'Edit n'a pas été rétabli par le législateur de l'an 11, son premier chef, qui frappe le conjoint remarié d'une véritable incapacité de donner à son nouveau conjoint au delà d'une certaine limite, a été restauré et même aggravé par lui. Il frappe les secondes noces d'une véritable peine lorsqu'il y a des enfants du premier lit, considérant, sans doute, le nouvel époux avec défaveur. Le Projet du Code Civil avait rétabli les deux chefs de l'Edit et avait même restreint à l'usufruit les libéralités autorisées en faveur du nouveau conjoint. La discussion au Conseil d'Etat, après avoir amené la suppression du second chef, fit maintenir le premier, mais non tel que d'après l'Edit. Outre que l'époux ne peut recevoir plus que l'enfant le moins prenant, il ne peut recevoir plus du quart de biens (3). Nous nous trouvons donc ici en présence d'un disponible spécial, qui nous est indiqué par l'article 1098 du Code Civil. Ce disponible généralement plus faible que le disponible ordinaire, jamais plus fort, a-t-il sa raison d'être ? Je ne le crois pas, et la disposition de l'article 1098 devra disparaître de notre droit. En vain dit-on que les enfants du premier lit n'ont pas l'espoir de recueillir dans la succession de l'époux donataire l'émolument des avantages que lui fait l'époux (2) a. 732 et 896, 1048 et suiv. (3) Locré, XI. 270. remarié. En vain dit-on qu'il a pour but de protéger les enfants du premier lit contre les entraînements du conjoint remarié vers son nouvel époux. J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer sur la règle : lex arctius prohibet quod facilius fieri putat. Du moment qu'on autorise le conjoint remarié à disposer d'une partie de ses biens, à en dépouiller ses enfants en faveur d'étrangers, du moment qu'on ne reconnaît à ses enfants comme réserve que le surplus de son patrimoine, pourquoi lui interdire de disposer en faveur de son nouveau conjoint de ce dont il pourrait disposer en faveur d'un inconnu? et quelle autre cause de libéralité peut-on proposer plus juste que l'union conjugale? Du moment que les dispositions faites au nouvel époux n'entament pas leur réserve, je ne vois pour les enfants, même du premier lit, nulle raison de se plaindre. Toutefois l'article 1098 existe, et il nous faut en présenter le commentaire. 80. Pour calculer la quotité des biens qui tombent sous l'application de cet article, il ne suffit pas, comme son texte semble l'indiquer, de considérer seulement les biens donnés, ainsi que nous l'avons fait à propos de l'article 1094; il faut encore faire entrer en ligne de compte tous les avantages directs ou indirects résultant des conventions matrimoniales, ou même, en l'absence de tout contrat, de la communauté légale. C'est ce que décident expressément l'article 1496 pour la communauté légale et le troisième alinéa de l'article 1527 pour la communauté conventionnelle. Nul doute qu'il faille généraliser. Les conventions matrimoniales sont en principe considérées comme conventions entre associés. Mais ici, en faveur des enfants du premier lit, le législateur établit une présomption légale d'après laquelle tous les avantages résultant en fait de ces conventions pour le nouvel époux sont considérées comme résultant de libéralités. Le législateur a craint que les époux ne se servissent de ces conventions pour tourner la loi et voiler des libéralités dont le déguisement rendrait la constatation difficile. On n'a donc pas à se préoccuper de l'intention des parties: il suffit de considérer les effets des conventions et d'apprécier s'il y a eu avantage procuré. C'est ainsi que les donations et successions échues au cours du mariage à l'époux remarié et dont le nouveau conjoint profiterait d'après le régime nuptial qu'ils ont adopté, doivent entrer en ligne de compte dans la mesure de ce profit. Inversement on doit tenir compte des donations ou successions échues au nouvel époux et dont l'époux remarié tirerait profit, pour le déduire à concurrence de ce profit des avantages acquis par le nouvel époux. Telle était la règle suivie dans l'ancien droit, contrairement à l'opinion de Pothier. Il faut considérer le résultat d'ensemble des conventions matrimoniales. Le législateur a considéré que les époux auraient dû en prévoir les conséquences et choisir un autre régime nuptial qui n'eût pas procuré au nouvel époux plus qu'il ne lui permettait de recevoir. Il en est de même lorsque les époux se marient sans contrat et que la communauté légale avantage le nouvel époux. Il faut, pour calculer les avantages réalisés par celui-ci, comparer la situation pécuniaire résultant pour lui du régime adopté expressément ou tacitement, à la situation pécuniaire qui eût résulté pour lui du régime de la séparation de biens. Il en résulte qu'une clause qui établirait une égalité d'apports, ne serait pas réductible en ce qu'elle modifierait les résultats de la communauté légale préjudiciable au nouvel époux. Celui-ci, en effet, évite alors une perte plutôt qu'il ne fait un gain. Cette solution est en harmonie avec la théorie des articles 1496 et 1527. Mais notre théorie est évidemment contraire au principe même sur lequel repose la communauté légale. La communauté légale est le régime de droit commun, c'est-à-dire celui que le législateur considère comme le plus équitable pour sauvegarder les intérêts de chacun des époux. Il y a inélégance à remplacer en cette matière, comme système maintenant l'équilibre voulu entre les patrimoines des deux époux, la communauté légale par la séparation de biens. Quoiqu'il en soit, les articles 1496 et 1527 sont formels: ce ne sont pas les avantages calculés en prenant pour base la communauté légale, mais ceux calculés en prenant pour base la séparation de biens, qui tombent sous le coup de l'article 1098. Cependant le législateur n'a pas été jusqu'à méconnaître complètement la fameuse maxime d'Aristote qui consacre les droits réciproques des époux sur le patrimoine l'un de l'autre : << L'affaire de l'homme est d'acquérir, celle de la femme est de conserver. » L'article 1527, corrigeant l'article 1496, décide, dans la seconde partie de son troisième alinéa, que les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs, quoique inégaux, des deux époux, ne sont pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants du premier lit. La jurisprudence (1) n'admet à tort l'application de cette exception que pour le partage par moitié des revenus et bénéfices. Il faut aller plus loin et dire que l'article 1098 ne sera pas applicable quel que soit le mode de partage. L'article 1527, relatif à la communauté conventionnelle, doit s'appliquer quel que soit le mode de partage convenu. Notons à ce propos qu'il résulte du rapprochement des articles 1527 in fine, 1539 et 1578, que les avantages tirés par l'un des époux de la jouissance des propres de l'autre, ne devraient pas être comptés pour la réduction à (1) Req. rej. 13 juin 1855. Sir. 55. 1. 513. la quotité disponible, même lorsqu'il y a des enfants d'un premier lit. Il n'y a pas de raison pour ne pas étendre à la jouissance de la femme ce que les articles 1539 et 1578 disent de la jouissance du mari, surtout en présence de l'article 1527 qui ne distingue pas entre eux. L'époux ne sera jamais tenu qu'à la représentation des fruits existants. Il ne devra en aucun cas d'indemnité pour les fruits consommés (2). Enfin, en matière de secondes noces, la jurisprudence admet comme nous la nullité des donations entre époux déguisées ou faites à personnes interposées. Mais ici encore, tandis que nous ne considérons cette nullité que comme la sanction de la révocabilité des donations, elle la considère aussi comme une sanction de la réserve. Elle se base, pour décider si un contrat à titre onéreux déguise une donation, sur ce que l'avantage qui en est résulté excède la quotité disponible. Il faut décider que la nullité ne s'applique que comme sanction de la révocabilité. Elle ne frappe par suite que les donations faites au cours du mariage, non celles faites dans le contrat de mariage ou avant le mariage en vue de sa célébration. Celles-ci n'étant pas essentiellement révocables ne seraient pas annulées par le déguisement, mais simplement réductibles. D'un autre côté, on a voulu s'appuyer sur les termes de l'Edit des Secondes Noces pour soutenir que le déguisement n'était jamais une cause de nullité et confondre les deux alinéas de l'article 1099. L'Edit ne distingue pas en effet. Mais s'il ne distingue pas, la raison en est qu'il n'avait pas à distinguer, toutes donations entre époux au cours du mariage étant défendues dans l'ancien droit. 81. Ceci posé, il n'y aura pas lieu d'appliquer l'arti (2) Req. rej. 19 décembre 1842. Sir. 43. 1. 165. |