A la différence des peuples orientaux, chez lesquels la polygamie est la règle, les peuples de l'Europe sont en général monogames. Chez les Grecs, dès la première époque, nous trouvons la monogamie et l'institution de la dot. Dès la législation de Dracon, la dot existe à Athènes; car Plutarque nous apprend que Solon la limita : cette limitation ne doit d'ailleurs s'entendre que du trousseau. Le régime dotal est organisé dans le droit attique : le mari doit conserver et restituer la dot. Une dot est nécessaire pour qu'il y ait mariage légitime, et elle ne peut constituer un gain pour le mari. On ne peut donc y voir une libéralité. Mais bien que la femme ne pût en principe contracter pour une valeur supérieure à un médimne, les époux purent se faire des donations entre vifs irrévocables. C'est au moins certain pour les donations anténuptiales et postnuptiales. La première est faite par le futur époux à la fiancée lorsque pour la première fois elle découvre son visage devant lui : c'est l'οπτήρια ου Ι'ἀνακαλυπτήρια qui deviendra le θεώρετρον du Bas Empire. La seconde est faite par le mari le lendemain des noces : c'est l'ἐπαύλαια ou l' ἐπαύλια qui deviendra l'ὑποβόλον du Bas Empire. On a douté que les autres donations fussent permises. Cujas pensait que leur prohibition remontait à Solon et qu'elle avait passé de la Grèce à Rome. Mais les rédacteurs de la loi des XII Tables, qui avaient étudié les lois de Solon, sont muets sur ce point, et ce n'est que beaucoup plus tard que la prohibition des donations entre époux fut établie en droit romain: nous trouverons plus loin, il est vrai, une grave controverse sur ce point. S'il y a doute pour les donations entre vifs, il n'en est pas de même pour les libéralités testamentaires. Le testament, inconnu de l'Orient, s'introduisit de bonne heure à Athènes sous le voile de l'adoption et la faculté de tester se développa beaucoup à partir de Solon. Il est douteux qu'à l'origine l'époux pût tester en faveur de son conjoint; car l'adoption, qui voilait le testament et créait une véritable institution d'héritier permise seulement à défaut de descendants, n'était probablement pas possible entre époux. Mais plus tard, quand l'usage du testament se fut répandu, il est certain que les époux purent se faire des legs particuliers. Démosthène nous apprend que Pasion ayant fait des legs énormes à son épouse Archippe, ces legs furent maintenus, bien que le testateur eût deux enfants pour lui succéder. Législation des Gaulois. 6. Tel est à grands traits le droit grec sur les libéralités entre époux avant l'annexion de la Grèce à la République Romaine; je passerais immédiatement au droit romain si je ne croyais devoir parler ici en quelques lignes du droit des anciens Gaulois. Ce droit ayant été complètement absorbé par le droit romain après la conquête de César, il doit en être question ici et non au moment où nous étudierons les origines du droit français. Nous n'avons guère que quelques passages des auteurs latins contemporains, Caton, César, Strabon, comme documents précis sur les anciennes lois gauloises. En vain a-t-on cherché à en trouver la trace dans nos anciennes coutumes et dans celles du pays de Galles. Celles-ci n'ont été rédigées par Howel-le-Bon qu'au Xo siècle de notre ère et la très ancienne coutume de Bretagne est imprégnée d'éléments romains et germaniques. César nous dépeint les Gaulois comme avides de nouveauté, et bien que les Romains ne leur aient pas imposé la législation romaine, la législation des Gaulois ne dut pas survivre à l'abolition sous Claude de la religion panthéiste des Druides. La religion des Druides, importée en Gaule chez les Ibères polytheistes par les Celtes venant de : l'Asie, n'avait pas supplanté l'ancienne religion qui resta celle de la populace et qui après la conquête se confondit avec celle de Rome. L'assimilation de la Gaule fut d'ailleurs des plus complètes et l'on vit de bonne heure des Gaulois siéger dans la magistrature et même au Sénat; le latin devint la langue officielle en Gaule; les édits provinciaux y furent très nombreux; enfin depuis Caracalla les Gaulois furent tous citoyens romains. Quoi qu'il en soit, les Druides ne s'étant jamais servis de l'écriture et ayant tout confié à la mémoire des initiés, il faut nous contenter en ce qui concerne notre sujet d'une phrase de César (1). Dans cette phrase, qui n'est pas d'un jurisconsulte, il a cherché à exposer le régime matrimonial des Gaulois. Elle a donné lieu à de grandes difficultés d'interprétation; mais comme je crois qu'on peut voir dans ce régime une libéralité mutuelle entre époux, je dois tenter d'en présenter l'explication. La femme apporte une dot au mari (et cet apport est probablement facultatif). Le mari y joint pareille valeur. Après estimation, on ne tient qu'un compte de la masse et les fruits sont mis en réserve. Enfin l'époux survivant gagne la pleine propriété du tout. On a voulu voir dans ce régime l'origine de notre communauté avec attribution de la masse au survivant. Mais la mise en commun dont parle César diffère essentiellement de notre communauté, puisque deux des objets principaux de celle-ci, l'application desfruits aux charges du ménage et l'association de la femme à la bonne comme à la mauvaisefortune du mari, font défaut dans le contrat gaulois. Je crois, avec M. Tardif (2), que l'on peut, malgré la sécheresse de la phrase des commentaires, lui trouver une interprétation plus satisfaisante. II (1) De Bello Gallico, comm. VI, 19. (2) Thèse de doctorat, Paris, 1850. ne s'agit ici que d'une partie de leurs biens que les deux époux mettent en réserve au moment de leur union pour assurer l'existence dans sa vieillesse du survivant d'entre eux. C'est le régime de l'épargne à laquelle aujourd'hui encore s'astreignent les Français, comme semblent s'y être astreints leurs ancêtres gaulois. Si le mari, sans doute chef de l'association conjugale au point de vue pécuniaire, comme il l'était au point de vue des personnes, pouvait employer à l'entretien de la famille les intérêts des revenus capitalisés provenant des biens mis en commun, il est probable que les revenus des autres biens et le travail des époux étaient les véritables ressources du ménage. Le droit gaulois disparaissant devant le droit romain, a-t-il eu sur lui quelque influence? On peut rapprocher du régime nuptial que nous venons de décrire, le régime nuptial romain de la dot et de la donation anténuptiale. La différence entre eux est la capitalisation des fruits pendant le mariage, capitalisation qui exclut l'idée d'entretien du ménage à l'aide de la masse formée par les apports des époux. Si dès l'époque classique du droit romain, on trouve des exemples de fruits apportés en dot, ce qui implique leur capitalisation, il ne s'agit pas comme en Gaule de leur capitalisation au cours de l'union conjugale. D'ailleurs les garanties accordées à Rome à la femme contre le mari pour la conservation de la dot ne durent pas exister en Gaule. Elles se concilieraient mal avec le droit de vie et de mort que, d'après César, le Gaulois avait sur sa femme. On peut en conclure que sur ce point le droit gaulois n'eut aucune influence sur le droit romain, d'autant que le régime romain n'apparaît que longtemps après la disparition de la législation gauloise. Nous n'avons pas de données nous permettant de savoir si pendant le mariage les époux pouvaient ou non se faire des donations entre vifs; mais César, parlant toujours des hereditates et jamais des testamenta, nous sommes fondés à penser que le testament était inconnu dans l'ancienne Gaule. Il me resterait à parler du droit des Germains; mais, l'influence romaine n'ayant guère pénétré en Germanie et le droit germanique formant une des sources directes les plus abondantes de notre ancien droit français, je crois devoir en renvoyer l'étude au commencement de la seconde partie de ce travail et je passe à la législation des Romains. |