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s'éteignait que pour l'avenir, les aliénations antérieures restant nulles (3).

Ce n'était pas la seule extension que la Coutume avait donnée à ce chef de l'édit. Si les conventions matrimoniales qui avaient procuré des avantages à l'époux remarié n'étaient point ici considérées comme des conventions entre associés, mais comme des actes à titre gratuit, et tombaient sous le coup de l'édit, il n'en était pas ainsi des avantages qui lui avaient été procurés par la communauté légale. Mais l'article 279 de la Coutume de Paris appliqua le second chef de l'édit aux conquests faits par les précédents maris de la femme remariée : elle ne put en disposer aucunement au préjudice des portions dont les enfants des premiers mariages pourraient amender de leur mère. Cet article, rédigé d'une manière défectueuse, ne paraissait pas distinguer, comme le faisait l'édit, les dispositions en faveur du nouveau conjoint des autres dispositions. Il eut pour commentaire l'article 203 de la Coutume d'Orléans rédigé quelque temps après. D'après lui, la femme ne put disposer aucunement des conquests en question en faveur de son nouveau mari. La disposition qu'elle en eût faite en sa faveur, eût été nulle et non pas seulement, comme on l'avait soutenu d'abord d'après la Coutume de Paris, réductible pour ce à quoi les enfants des premiers lits pourraient avoir droit. Toutes parties intéressées, les enfants du dernier lit, par exemple, auraient pu se prévaloir de cette nullité, à la condition qu'au décès de la veuve remariée, l'action fût ouverte par la survivance d'un enfant du premier lit. De plus, la Coutume d'Orléans ne permet à la veuve remariée de disposer des conquests en faveur d'autres personnes que sous la réserve des portions dont les enfants du premier lit pourront amender de leur mère.

(3) Pothier. 613 à 627.

Ici, les enfants du premier lit pourront seuls exercer l'action en réduction et à leur profit exclusif. Nous avons donc une disposition double comme celle du second chef de l'édit. Mais la seconde partie de ce second chef présente une différence importante avec la partie correspondante de l'extension. Cette dernière ne s'applique qu'aux aliénations à titre gratuit; on ne peut donc y voir une substitution véritable, point qui avait fait doute avant que la Coutume d'Orléans eût interprété celle de Paris.

Sur l'ensemble de l'extension, j'ai à remarquer que les conquêts comprennent les meubles comme les immeubles: la Coutume emploie d'ordinaire l'expression de conquêts immeubles quand elle veut distinguer, et un arrêt de réglement du 4 mars 1697 fonda la jurisprudence en ce sens (4). Il y avait des doutes au contraire pour savoir si les apports de la femme devaient être compris dans les dispositions de notre extension (5). D'un autre côté, l'extension ne vise que les veuves remariées, à la différence du second chef de l'édit qui s'appliquait aux veufs comme aux veuves. Mais la jurisprudence, par l'arrêt de règlement de 1697, supprima cette différence et décida qu'il n'y avait pas lieu de distinguer : le mari avait acquis les conquêts, la femme les avait conservés; et d'ailleurs, comme il s'agissait d'une mesure de protection pour les enfants du premier lit plutôt que d'une mesure pénale, il n'était pas absolument nécessaire de l'interpréter restrictivement.

55. Le premier chef de l'édit s'appliquait aux biens que les veuves n'avaient pas acquis de leurs premiers maris, et leur défendait d'en disposer de quelque façon que ce fût en faveur de leurs nouveaux conjoints, lorqu'elles se remariaient ayant des enfants ou descendants du premier

(4) D'Aguesseau, 41a plaid.

(5) Pothier. 632-633.

lit, pour une part plus grande que celle de l'enfant ou descendant le moins prenant. Les dispositions qui excédaient cette quotité devaient y être réduites. La jurisprudence des parlements, par arrêt de règlement du 18 juillet 1587, étendit cette disposition de l'édit aux veufs remariés, par analogie avec le second chef et conformément à la constitution Hâc edictali visée dans le préambule. Pour assurer l'effet de sa prohibition, l'édit établit deux règles afin d'atteindre les fraudes qui auraient pu permettre de l'éluder.

D'abord, il considéra uniquement le résultat de l'acte juridique pour comprendre dans le calcul de la quotité disponible qu'il créait contre le nouveau conjoint, tout avantage en résultant pour lui. On n'avait pas à rechercher l'intention des parties; toute convention passée entre elles ayant profité au nouveau conjoint, était présumée avoir constitué une libéralité. On atteignait sûrement de la sorte les donations déguisées et les donations indirectes. Les conventions matrimoniales, l'inégalité des apports ou des successions recueillies (les parties auraient dû la prévoir), le préciput conventionnel, tombaient sous le coup de l'édit. Le douaire, même s'il était conventionnel, pourvu qu'il ne fût pas alors supérieur au douaire légal, était considéré comme une dette. Mais le don mutuel était considéré comme une libéralité : un arrêt de mai 1586 fixa la jurisprudence en ce sens. Le sort des enfants ne devait pas être livré au hasard d'une survie. D'ailleurs le don mutuel supposait en général l'absence d'enfants (1).

Le premier chef de l'édit créa en outre une présomption légale d'interposition de personnes. Lorsque le conjoint remarié disposait en faveur du père, de la mère ou des enfants de son nouvel époux, il était considéré comme

(1) Pothier. 546-558.

disposant en faveur de celui-ci. Pothier (2), arguant de ce qu'au Digeste les mots parens et pater comprennent tous les ascendants (3), leur appliquait à tous l'interposition légale de l'édit. Cette théorie de l'interposition légale n'est point romaine, et l'on n'aurait dû sortir des termes de l'édit que par a fortiori. On appliquait pourtant la présomption à toute la ligne ascendante comme à toute la ligne descendante. Les enfants communs par exception n'étaient pas regardés comme atteints par elle; telle était la décision formelle de la Coutume de Paris. En dehors des cas d'interposition légale, il pouvait y avoir en fait interposition de personne. Mais alors il fallait la prouver d'après les circonstances, la preuve étant à la charge des enfants du premier lit. Ainsi, ils pouvaient démontrer l'interposition d'enfants communs.

Pour apprécier si la quotité disponible du nouvel époux avait été dépassée, il fallait se placer au moment de la mort de l'époux remarié et comparer la valeur à cette époque de ce qu'il avait donné à son nouvel époux à la valeur du reste de son patrimoine. Lorsque rien ne venait détruire l'égalité des parts entre les enfants, il y avait lieu à réduction si le nouvel époux avait reçu plus d'une part virile des biens de l'époux remarié, partagés également entre lui et chacun des enfants. On ne comptait que les enfants ou descendants héritiers, du moins en pays coutumiers, où les enfants renonçants n'avaient nul droit à une légitime. Que s'il y avait des petits enfants venant à la succession, on comptait par souches. Il en était ainsi même s'il n'y avait que des petits enfants tous issus d'un même enfant prédécédé. Telle fut l'opinion consacrée par un arrêt du parlement de Toulouse du 16 mai 1619.

(2) Contr. de mar. 539.

(3) 51; 20, 1. D. 50. 16.

Pothier, s'appuyant sur les termes de l'édit qui portait : part d'enfant ou descendant, a soutenu la doctrine contraire; mais elle conduirait à admettre que la renonciation volontaire de l'enfant unique, faisant venir les petitsenfants de leur chef, réduirait trop facilement et arbitrairement la part de l'époux (4). On comptait d'ailleurs les enfants communs comme ceux du premier lit. Si l'un des enfants venus à la succession avait une part moindre que les autres, il y avait lieu à réduction si l'époux avait reçu plus que lui. Si l'époux n'avait pas reçu plus que la légitime d'un enfant, il n'y avait donc jamais lieu à réduction.

Il nous reste à savoir comment s'opérait la réduction. D'abord, s'il s'agissait d'immeubles, le droit à la réduction les suivait en quelques mains qu'ils aient passé; s'il s'agissait de meubles, les héritiers n'avaient guère qu'un droit de créance. En tous cas, leur droit portait sur ce qui excédait la quotité disponible. Pour que le droit à la réduction s'ouvrît, il fallait qu'il y eût des enfants du premier lit. Mais alors en pays de coutume, où l'on suivait la constitution Quoniam, les enfants communs en bénéficiaient comme eux. Ils en bénéficiaient même tous, sans qu'il y eût à distinguer s'ils étaient ou non héritiers. C'était un bénéfice de l'édit, non un droit de succession, bien qu'une des causes qui avaient fait admettre l'application de la constitution Quoniam, outre qu'elle était équitable, fût le désir de ne pas détruire l'égalité entre héritiers. En pays de droit écrit, au contraire, on suivait, avec la novelle 22, le droit de Justinien dans son dernier état: les enfants du premier lit profitaient seuls de la réduction (5).

Conformément à l'opinion admise que les enfants obtenaient part à la réduction, non comme héritiers, mais comme bénéficiaires de l'édit, Pothier et la majorité des

(4) Pothier, 565.

(5) Pothier, 568.

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