l'achète à celui en la puissance duquel elle se trouve. Les libéralités à cause de mort n'ayant probablement pas été connues à l'époque antique, il ne peut alors être question de libéralités entre époux, puisque tout est au mari et que rien ne peut appartenir à la femme. Mais à l'entrée des temps historiques, le régime monarchique succédant au régime patriarcal, la femme commence à s'affranchir d'abord quant à sa personne, ensuite quant à ses biens. Les présents qu'il offrait autrefois au père de sa femme, c'est à elle-même que le mari les offre maintenant. Elle acquiert vers la même époque un certain droit de succession. Cependant sa personnalité n'est pas encore absolument distincte: elle a plutôt encore une sorte de pécule qu'un véritable patrimoine. Ce ne sera que plus tard qu'on lui reconnaîtra une personnalité propre et indépendante. Il nous faudra dès lors exposer les règles qui présidèrent chez les divers peuples au droit des libéralités entre époux. En dehors de la législation romaine on peut dire d'ailleurs que les législations de l'antiquité ne nous offrent rien de précis. Cela tient moins en général à l'absence de documents qui nous permettent de les rétablir qu'au vague même des règles qui les constituaient. Longtemps chez les peuples primitifs, la notion du droit est restée absorbée par la religion; elle est restée confondue avec la morale religieuse dont elle était, si je puis dire, l'envers. Elle n'a pu se développer et devenir telle que nous la comprenons aujourd'hui qu'en se séparant chez les Romains de la notion religieuse. Alors seulement le droit devint véritablement une science et put être porté à Rome à un point tel que son étude approfondie est encore d'un grand profit pour les jurisconsultes de nos jours. Mais il n'en fut pas ainsi chez les peuples qui restèrent étrangers ou réfractaires à l'influence romaine. L'Orient nous offre de ces peu ples deux exemples frappants: le peuple indou et le peuple hébreux, des législations desquels nous connaissons les textes et les commentaires. Le droit resta chez eux à l'état rudimentaire. Législation des Hindous. 3. D'après la loi de Manou, de quelques siècles antérieure à l'ère chrétienne, comme d'après les sûtras, c'est-à-dire les anciens codes brahmaniques, le mari, dans l'Inde, bien qu'il n'achète plus réellement comme autrefois la femme à ses parents, acquiert tous les biens que la famille de la femme donne en vue du mariage: c'est là l'effet que produit la manus à Rome. « La femme ne fait qu'un avec son époux », formule énergiquement le législateur hindou. Il n'y a qu'un patrimoine, c'est celui du mari. Il ne peut être question de dot, puisque le mari n'est tenu ni de conserver ni de rendre les biens provenant de la famille de la femme. Le patrimoine de la femme étant absorbé par celui du mari, on ne pourrait comprendre des donations entre eux; et le testament, qui s'est établi dans l'Inde par l'usage sous le voile de l'adoption, y étant jadis inconnu, il ne pouvait être non plus question de libéralités testamentaires. Ces règles ont été modifiées par Yajnavalkya vers le IIIe siècle de l'ère chrétienne. Mais sa loi présente des textes contradictoires et assez confus, bien que son commentateur prétende les concilier. Il faut croire que le patrimoine de la femme ne fut pas absorbé complètement par celui du mari; car il paraît qu'il put y avoir des donations entre époux. D'une part, en effet, le droit héréditaire de la femme fut réduit de moitié lorsqu'elle était donataire de son mari; et, d'autre part, la femme incapable de faire des donations à un étranger du vivant de son mari, put être relevée par celui-cide cette incapacité : il est probable par suite que le mari pouvait également être donataire de sa femme. Le second législateur bouddhiste a donné une sanction légale à une réserve que Manou avait créée au profit de divers parents, mais qu'il n'avait garantie que par des promesses et des menaces religieuses. Yâjnavalkya ne permet la donation des acquêts qu'après qu'il a été pourvu aux besoins de la famille. Cette réserve dut être sans doute respectée même en cas de libéralités entre époux; car nous ne trouvons aucune règle spéciale sur ce point. Le dernier monument original du droit hindou, les institutes de Nârada, du Ve ou Vle siècle de notre ère, reproduit à peu près les dispositions précédentes. Législation des Hébreux. 4. Si des Hindous nous passons aux Hébreux, nous ne trouvons pas plus de règles posées et développées clairement et juridiquement. Ici encore à l'origine la femme fait partie du patrimoine du mari qui l'achète : le lévirat est cette acquisition de la femme par le mari. Il ne peut dans ces conditions être question de libéralités entre époux. La dot dans le Pentateuque est le prix d'achat de la femme: ainsi celui qui a violenté une vierge doit, d'après la loi de Moïse, la doter et l'épouser. Ce prix d'achat payé au père, plus élevé pour les vierges que pour les veuves, est un pretium virginitatis pour celles-là, un pretium pudicitiæ pour celles-ci. Mais ici encore la législation subit une transformation. La femme eut bientôt un patrimoine distinct, sinon en théorie, du moins en fait; et des dispositions entre époux devinrent alors possibles. Nous savons que la donation entre vifs fut autorisée entre eux, par le conseil prudent que Salomon dans l'Ecclésiaste donne aux juifs de ne pas distribuer leurs biens avant leur mort à leurs enfants et à leur femme. D'un autre côté, bien que le testament apparaisse tard et soit resté obscur, nous savons, par l'exemple de Judith, légataire de son mari, que les époux pouvaient disposer entre eux par testament. Il en résulte tout au moins que les maris pouvaient disposer au profit de leurs femmes entre vifs ou par testament; il en était sans doute de même des femmes à l'égard de leurs maris. Enfin à l'époque rabbinique, d'après le thalmud, on retrouve bien encore le mariage conclu sous sa forme première de vente; mais, comme dans la coemptio romaine, le prix payé au père est fictif et la renonciation au lévirat est une clause de style. C'est la femme qui reçoit, sous le nom de kethouboth, le pretium virginitatis ou le pretium pudicitiæ, fixés au maximum l'un à deux cents, l'autre à cent zuzims. Nous trouvons, en outre, ici une véritable dot portée par la femme au mari, une véritable donation à cause de noces faite par le mari à la femme. En l'absence de cette donation, nous ne serions en présence que d'un concubinat. Elle constitue, en effet, l'élément essentiel du mariage. Mais elle n'est point immédiaiement payée. Le mari ne la paie à la femme qu'en lui rendant sa dot à la dissolution du mariage. Elle a le caractère d'une clause pénale, car la femme la perd si elle provoque le divorce; mais c'est surtout un don de survie, d'où peut-être est sortie une institution importante du Bas-Empire Romain : la donatio propter nuptias. J'ajoute que les Juifs ont sans doute emprunté ce régime matrimonial aux Babyloniens chez qui il paraît avoir été en usage au moins dès le milieu du VIe sièle avant l'ère chrétienne (1). (1) Journal des Savants, 1884, p. 378 (Dareste). - Nouvelle revue historique, 1886, G. de Lapouge, Le dossier du Bunanitun. Législation des Grecs 5. Les législations orientales, panthéistes ou monothéistes, sont restées presque totalement en dehors de l'influence romaine, à la différence de celles des peuples d'Occident. Celles-ci ont disparu devant la législation supérieure des vainqueurs ou se sont, comme celles de la Grèce, absorbées en elle en la perfectionnant. Les Grecs, polythéistes comme les Romains, avec leur religion incomparablement plus mobile que celle des Hébreux et celle des Hindous, et qui de bonne heure eut à subir les rudes attaques de leurs grands philosophes, se trouvèrent tout disposés, après la conquête, à fondre leur droit avec le droit romain. D'ailleurs, si le droit grec peut être étudié en bloc quant à ses grandes lignes, autant il y avait de villes grecques, autant il faudrait distinguer de droits différents quant aux détails. Ainsi, d'après la loi de Gortyne, en Crête, loi datant de l'époque de Solon, les patrimoines des époux restaient séparés; ils pouvaient se faire des donations et des libéralités testamentaires, les legs qu'ils se faisaient ne pouvaient dépasser un maximum fixé par la loi; enfin en cas de dissolution du mariage par le divorce, s'il y avait faute imputable à la femme, le juge avait un pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer ses droits (1). A Sparte les biens ne pouvaient à l'origine être transmis ni par donations, ni par testaments; ce ne fut que cinq siècles après Lycurgue que l'éphore Epitadès fit porter une loi permettant formellement ces modes de dispositions. Au surplus, il faut distinguer des Doriens et des Eoliens, qui ont beaucoup de rapports avec les Romains, les Ioniens, voyageurs et commerçants, et parmi eux les plus célèbres de tous, les Athéniens. (1) Nouvelle revue historique, 1886, Dareste. La loi de Gortyne. |