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DE

L'ILE D'HAYTI.

(Saint-Domingue).

LIVRE PREMIER.

DANS l'océan Atlantique et à l'entrée du golfe Mexicain, entre les 62 et 87° degrés de longitude ouest, et les 10° et 25 degrés de latitude nord, gît un vaste archipel, placé entre l'Ancien Monde et le continent d'Amérique : on nomme Antilles les îles qui le forment. Les vents y soufflent presque toujours de la partie de l'est aussi a-t-on appelé îles du Vent celles qui sont plus à l'orient; les autres ont reçu la dénomination d'îles sous le Vent. Elles composent une chaîne, dont un bout semble tenir au continent, près du golfe de Maracaibo, et l'autre fermer le golfe du Mexique.

L'île de Saint-Domingue est la plus riche des Antilles; et, après Cuba, elle en est la plus étendue. Elle forme un continent de 160 lieues de long, du levant au couchant, et de 40, dans sa

largeur moyenne, du nord au sud. Son circuit est de 350 lieues environ, ou de 600, en parcourant toutes les sinuosités des anses. Elle est coupée dans sa longueur par une chaîne de montagnes, ou mornes, qui renfermaient, surtout du côté de l'est, d'abondantes mines d'or, négligées aujourd'hui pour la culture du sol. Dans les vallons formés entre ces hauteurs, et sous leur abri, la température est douce et bienfaisante; mais dans les plaines, et surtout sur les rivages, le climat devient plus brûlant, et il est souvent meurtrier pour les Européens.

Avant le quinzième siècle, Saint-Domingue, aussi-bien que les autres Antilles, était entièrement inconnu à l'Ancien Monde. Un million, à peu près, d'insulaires, d'une assez petite taille, et fortement basanés; sans activité comme sans besoins, végétaient sur cette terre, où la chasse, la pêche, la culture facile du maïs fournissaient suffisamment aux nécessités d'une existence frugale. Des danses accompagnées de chants ou du bruit d'une espèce de tambour étaient tous leurs plaisirs. Les mœurs, sous ce ciel ardent, se ressentaient de l'influence du climat ; la polygamie était autorisée; et, à la découverte de l'île, un des souverains qui s'en partageaient l'empire, avait jusqu'à trentedeux femmes.

Ces souverains exerçaient, sous le nom de caciques, un pouvoir absolu, chacun dans son domaine

respectif. Leur autorité était toute militaire. Des espèces de massues, des javelots de bois, durcis au feu vers la pointe, et qu'ils lançaient avec beaucoup d'adresse, étaient les seules armes des guerriers dans les combats. Dans la partie orientale de l'île, on connaissait le maniement des flèches, introduit sans doute à la suite de quelques guerres avec les Caraïbes, insulaires voisins, à qui l'usage de cette arme offensive était familier.

Dans leurs foyers, comme à la guerre, les hommes étaient entièrement nus. Les filles étaient nues comme les hommes; les femmes portaient seules une jupe de coton qui ne descendait pas au - des sous du genou.

Ces peuples donnaient à leur patrie le nom d'Hayti (terre montagneuse), qu'elle a repris depuis qu'elle a secoué le joug de la France; ils l'appelaient aussi Quisquéia (grande terre). A la fin du quinzième siècle, au moment de la découverte, cinq caciques principaux, et indépendants les uns des autres, se partageaient presque en entier la souveraineté de l'île. D'autres chefs régnaient sur des parties moins étendues, mais avec une autorité égale.

Le premier des cinq grands royaumes, celui de Magna ou de la plaine, nommé depuis Véga-Réal, s'étendait au nord-est de l'île dans une longueur de 80 lieues sur 10 lieues de largeur. D'après le récit de Las Casas, témoin oculaire, ses nombreuses rivières roulaient l'or avec le sable de leur lit. Le cacique

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de Magna faisait sa résidence dans le même lieu où les Espagnols ont eu depuis une ville célèbre, laquelle ils avaient donné le nom de la Conception de la Vega.

Le second royaume, celui de Marien, sous la dépendance de Guacanahari, était dès lors, s'il faut en croire l'évêque de Chiapa, plus fertile que le Portugal. Toute la partie de la côte du nord, depuis le cap Saint-Nicoļas jusqu'à la rivière connue aujourd'hui sous le nom de Mont-Christ, et toute ta płaine du Cap français, composaient le domaine de ce chef; et c'était au Cap même qu'il avait établi sa capitale.

Le troisième cacique régnait sur le pays de Maguana, et son royaume était le plus riche de toute l'île. Peu de temps avant l'arrivée des Européens, un caraïbe, nommé Caonabo, aventurier plein de courage et d'adresse, était parvenu à s'établir en souverain, sur cette partie du pays qui renfermait la riche province de Cibao, et presque tout le cours de la rivière de l'Artibonite, la plus grande de l'île. La résidence ordinaire du chef était au bourg de Maguana, qui avait donné son nom au royaume. Les Espagnols en firent une ville qui ne subsiste plus; le quartier où elle était située, est ce que les Français ont appelé depuis la savane de San-Ouan.

Leroyaume de Xaragua était le quatrième ; il s'étendait sur toute la côte occidentale de l'île, et sur une grande partie de la côte méridionale;

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