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on donne l'assaut, on pénètre de rue en rue malgré les retranchemens des ennemis, on les force de se rendre prisonniers de guerre.

Le général Staremberg venoit au secours. On marche à lui; on livre bataille (le 10) dans la plaine de Villa-Viciosa; on remporte une victoire complète par les plus grands efforts de valeur, quoiqu'une terreur panique eût dissipé des corps entiers: canon, bagages, tout reste aux Espagnols : ils font un grand nombre de prisonniers les jours suivans. Enfin, de cette armée qui devoit conquérir l'Espagne, il reste à peine cinq mille hommes. Chose étrange! Staremberg envoya une relation à l'archiduc, datée du 12, où il assuroit qu'il avoit battu les ennemis, jusqu'à les mettre dans une fuite générale. Cette relation imprimée pouvoit se tourner en ridicule; mais on doit dire, à l'honneur du général autrichien, qu'il avoit disputé long-temps la victoire, malgré l'infériorité du nombre. Il regagna Saragosse, pour l'abandonner peu de temps après. Vendôme ne finit la campagne qu'après y avoir conduit le monarque victorieux.

On célébra d'autant plus en France les succès de Vendôme, qu'on les avoit jugés impossibles, et que rien n'avoit pu affoiblir encore les préventions répandues contre sa personne depuis ses campagnes de Flandre. « Vous savez, dit madame de Maintenon << dans une lettre au duc de Noailles, combien on juge à notre cour d'après les événemens. Toutes « les fautes de M. de Vendôme sont oubliées, et «< c'est un héros : il n'auroit aucun mérite s'il étoit << malheureux. >>

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Noailles avoit jugé bien différemment, parce qu'il jugeoit sans passion, et avec connoissance de cause : il avoit eu part aux projets du général, il en avoit pro→ nostiqué les suites. A son dernier voyage, il avoit été assez hardi (je rapporte ses expressions) pour oser prédire l'événement au Roi, et assez téméraire pour le déclarer publiquement à tout le salon de Marly, peuple vraiment endurci, et encore plus incrédule. Aussi écrivoit-il à Vendôme (3 janvier) qu'un retour d'amour propre se joignoit aux autres motifs qui le rendoient infiniment sensible à ce triomphe; mais qu'aucun motif n'étoit au-dessus des sentimens qui l'attachoient à lui pour toujours. Unis par l'estime et l'amitié, ils se rendoient mutuellement justice, et ne se donnoient pas de vaines louanges.

Après sa négociation infructueuse, dont l'inutilité même étoit un bonheur, Noailles avoit eu ordre, comme le désiroit Philippe v et le duc de Vendôme, d'aller rendre compte au Roi des affaires. Il ranima les espérances, il inspira des résolutions vigoureuses; et le siége de Girone fut de nouveau décidé, malgré le découragement qui avoit suivi la bataille de Saragosse. On reconnut la vérité de ce qu'il assuroit depuis long-temps, qu'un des meilleurs moyens de parvenir à la paix étoit de pousser vivement la guerre du côté de l'Espagne.

Les nouvelles de Londres confirmèrent cette politique. Marlborough perdoit déjà son crédit auprès de la reine Anne : l'ambition meurtrière d'un général qui sacrifioit les peuples à son intérêt n'avoit plus la même influence dans le conseil; on se lassoit de prodiguer tant de trésors et de sang pour la cause de

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la maison d'Autriche de petites intrigues de cour jetoient les fondemens d'un nouveau système ; et Ménager (1), agent secret de Louis XIV, trouvoit des dispositions favorables à la paix, que toute l'Europe devoit désirer.

C'étoit la Hollande qui fournissoit la plus grande partie de l'argent. Epuisée enfin comme la France, elle ne pouvoit plus envoyer de secours à l'archiduc; elle pouvoit à peine continuer ses efforts dans les Pays-Bas. Pour la punir de sa cruelle obstination par le coup le plus sensible, en lui arrachant une des principales ressources de son commerce, on interdit l'entrée des ports de France à tous vaisseaux hollandais, et l'on cessa de leur accorder des passe-ports : en même temps l'entrée fut ouverte non-seulement aux vaisseaux neutres, mais encore aux Anglais. Quoique ce changement dût nuire à quelques provinces maritimes, et aux finances du Roi, on eut le courage de l'exécuter, parce qu'il pouvoit forcer la Hollande à devenir plus traitable. Louis XIV demanda que le même plan fût suivi en Espagne, et il n'y eut qu'une voix pour y consentir.

Les raisons du duc de Noailles, sans être encore soutenues par les succès de Philippe v, ayant déterminé à l'entreprise de Girone, il retourna promptement en Roussillon. Il y arriva au commencement de novembre, mais ne trouva rien de prêt, ni subsistances ni voitures (2). C'étoit une création à faire, comme il le disoit. Des pluies continuelles et des inondations

(1) Ménager : Nicolas Ménager, chevalier, plénipotentiaire au congrès d'Utrecht, mort à Paris le 15 juin 1714, âgé de cinquante-six ans. - (3) Le duc de Noailles à Vendôme, 14 novembre. (M.)

augmentèrent les difficultés. Actif, appliqué à saisir les occasions, il désiroit avec d'autant plus d'impatience de se mettre en mouvement, que la terreur succédoit déjà en Catalogne à l'ivresse des prospérités. On y avoit donné ordre, sous peine de la vie, de brûler toutes les pailles, tant on redoutoit une invasion prochaine.

Vendôme, en annonçant à ce général la retraite de l'archiduc, lui marqua de voir s'il ne pouvoit rien tenter d'avantageux. Noailles y avoit déjà pensé, et même avoit fait ses dispositions: mais, sur les nouvelles de la route de l'ennemi, il jugea qu'une course seroit inutile, par la facilité qu'on auroit de l'éviter; qu'elle ne serviroit qu'à fatiguer les troupes; qu'elle détourneroit du seul objet solide qu'il falloit avoir en vue. La prudence retint son ardeur, et la prudence ne fut jamais plus nécessaire.

Depuis long-temps le défaut de subordination, d'obéissance et de ponctualité de la part des subalternes ne contribuoit que trop en France à faire échouer les entreprises les plus essentielles, les mieux concertées. Il l'auroit éprouvé lui-même, si par un travail infatigable il n'eût réparé les fautes d'autrui. Dès le 25 novembre, il pénétra en Catalogne. Les troupes y subsistoient sans qu'il en coûtât rien à la France, tandis qu'on achevoit les arrangemens nécessaires. Le mauvais temps retarda les opérations. Enfin on arriva devant Girone le 15 décembre, et la place fut investie. Il fallut combattre les élémens, encore plus que les ennemis. Avant de raconter les détails du siége, terminons ce livre par une particularité curieuse.

Les fatigues du corps, et surtout les agitations de l'ame, poison trop souvent mortel dans les cours, ayant altéré le tempérament de la reine d'Espagne, cette princesse désiroit de prendre les bains de Bagnères, comme un remède efficace pour ses maux. Passer les Pyrénées avec son fils n'étoit point une entreprise au-dessus de son courage; mais elle craignit que les Espagnols ne fussent inquiets de la voir sortir du royaume, et conduire en France un dépôt si précieux. Afin de leur ôter tout soupçon, elle demanda à Louis XIV, outre son agrément, des assurances pour la liberté du retour. Ce voyage n'eut pas lieu les lettres dont il fut le sujet méritent néanmoins d'être conservées.

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Lettre de la reine d'Espagne à Louis XIV (28 novembre).

« Ayant éprouvé inutilement toutes sortes de re«< mèdes pour guérir des glandes que j'ai depuis quatre « ans, et craignant qu'elles ne grossissent assez à l'a<< venir pour me défigurer, j'ai trop d'intérêt à ne le « pas être par rapport au Roi et à nos sujets, pour << manquer à chercher le seul remède que tous les << médecins m'ont assuré être le plus sûr, qui sont <«<les bains, et les eaux chaudes. C'est par cette rai« son que, me trouvant à cinquante lieues de Bagnères, j'ai cru devoir profiter de l'occasion pen<< dant que je ne puis être auprès du Roi, et que je << ne lui suis ici d'aucune utilité..... Comme le duc « de Vendôme croit que nos affaires n'ont point été << en meilleur état qu'elles sont, je m'en irai sans inquiétude. Mais les Espagnols, qui sont naturelle

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