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CONJECTURE DE B. G. SAGE,

Sur la manufacture du prétendu ornitholite de Montmartre.

Un des naturalistes les plus distingués d'Italie, le célèbre Fortis, vient de faire connoître que le prétendu ornitholite (1) de Montmartre n'est qu'une momie informe d'une grenouille ou d'un crapaud; reste à savoir si ce débris d'animal n'a pas été inséré dans du gypse par quelqu'ouvrier; le fait suivant fait connoître leur ruse.

Lorsque je rassemblois, il y a vingt ans, les productions de la colline de Montmartre, que j'ai placées dans la première galerie du musée des mines, les pour boire, me firent apporter beaucoup d'objets par les carriers; un d'eux m'apporta, entreautres un cristal cunéiforme de sélénite qui renfermoit un lézard; les deux parties du cristal étoient si bien rassemblées, et le sont si bien encore, qu'on apperçoit à peine leur réunion: l'ouvrier avoit excavé la selénite pour y placer le lézard.

Je laissai ce cristal sur mon bureau, c'étoit en été, une odeur fétide me décèla l'artifice. J'ai conservé ce morceau parmi les productions de Montmartre, comme un tour d'adresse remarquable.

(1) De ce que le prétendu oiseau pétrifié de Montmartre n'en est pas un, OF me doit pas en conclure qu'il n'en existe pas.

NOTE

SUR UN PIED D'OISEAU FOSSIL E

INCRUSTÉ DANS DU GYPSE;

Lue à l'Institut national le premier thermidor an 8, Par le C. CUVIER.

Quoique je continue avec ardeur mes recherches sur les débris d'animaux enfermés dans les couches qui enveloppent notre globe, je n'ai depuis longtemps rien communiqué à la classe sur les résultats que j'ai obtenus, parce que ces résultats n'auront d'intérêt que par leur ensemble, et que cet ensemble formera un grand ouvrage.

Mais le fait que j'ai à lui présenter aujourd'hui peut être détaché de la masse, parce qu'il est isolé, et il me paroît digne de son attention, parce que tout isolé qu'il est, il décide une question générale qui occupe depuis longtemps les natu

ralistes.

C'est celle de savoir si les couches de formation submarine contiennent des ornitholites ou des ossemens d'oiseaux; cette question tient essentiellement à l'histoire de l'ancien monde, quoiqu'il soit à-peu-près prouvé qu'il n'existe plus de nos jours aucune des espèces d'animaux terrestres qui ont été enveloppés dans les grandes catastrophes qui ont donné naissance à nos continens actuels, cependant on observe qu'elles se rapportent à des classes et à des genres plus ou moins analogues à ceux qui vivent encore; mais la classe des oiseaux existoit-elle avec eux? ou n'a-t-elle été produite que depuis? ou échappa-t-elle toute entière à la destruction générale qui frappa les animaux terrestres? On sent que ces questions importent non seulement à la géologie, mais qu'elles ne sont pas même étrangères à la haute métaphysique des corps organisés.

Nul doute que des oiseaux ne puissent être incrustés de suc lapidifique, ne puissent être enfouis dans quelques éboulemens, ne puissent tomber dans quelque crevasse de roche et s'y conserver

plus

plus ou moins bien, y être même pétrifiés; différens auteurs en rapportent des exemples et personne n'en conteste la vérité.

Mais les couches pierreuses régulières, et qui s'étendent à de grandes distances, ces résultats généraux d'une précipitation submarine, contiennent-elles aussi de ces sortes d'ossemens? Voilà ce que plusieurs savans naturalistes ont nié.

Le célèbre minéralogiste Fortis vient de publier dans le Journal de physique un mémoire ex professo, sur cet objet, où il discute avec sa sagacité ordinaire tous les passages, et où il examine tous les morceaux qui paroissoient jusqu'à présent favorables à l'existence de ces sortes d'ornitholites; sa conclusion est qu'on n'en possède encore aucun de constaté.

L'autorité d'un savant de cet ordre me dispense de recherches ultérieures sur le passé, et si le morceau que je vais vous présenter se trouve, comme je n'en doute pas, être un véritable ornitholite d'ancienne couche, j'aurai à me louer du hasard qui m'a favorisé au point de me procurer les moyens de constater le premier un fait aussi important.

Les divers naturalistes qui ont adopté l'existence des ornitholites, citent presque toujours ceux qu'on trouve à Montmartre; cependant très-peu d'entre eux disent en avoir vu, et même en rassemblant et en comparant leurs témoignages, on trouve que les morceaux qui ont été regardés jusqu'ici comme tels se réduisent à deux.

Le premier et le plus célèbre est dans la possession de notre respectable confrère le C. Darcet, Il a été décrit comme étant un oiseau, par l'intéressant et malheureux Lamanon; mais il est si problématique, que le savant Fortis vient de le décrire de nouveau, et de déclarer qu'il le croit plutôt appartenir à une grenouille ou à un crapaud.

Le second appartient à un particulier d'Abbeville, dont j'ignore le nom; j'en ai entendu parler au citoyen Traullé, homme de lettres connu, de cette ville, et le citoyen Baillon, qui demeure au même endroit, et qui est si estimé des naturalistes, par ses observations sur les oiseaux, m'en a aussi annoncé l'existence par écrit, mais sans aucun détail. J'ai vu entre les mains du citoyen Lamétherie, un dessin que je suppose être celui de ce même morceau, d'autant qu'il lui a été envoyé par le même citoyen Traullé, mais sans description. Il me paroît bien certain que ce dessin représente de vraies jambes d'oiseau; mais comme la figure n'en est pas bien terminée, les naturalistes Tome LI. THERMIDOR an 8.

R

conserveront peut-être quelques doutes tant qu'ils n'auront pas vu le morceau lui-même.

Dans tous les cas le troisième morceau qui est celui que je vous présente, et ce deuxième se serviront réciproquement de confirmation, car ils sont de même nature, et ne diffèrent que par l'espèce des oiseaux dont ils proviennent.

Je vous présente en même temps la gravure que j'en ai faite avec une exactitude scrupuleuse (pl. Î.), sans rien ajouter ni diminuer et en exprimant autant que je l'ai pu toutes les cassures et les imperfections. Il n'est pas inutile que vous en fassiez la comparaison et que votre autorité garantisse la vérité de la figure aux naturalistes qui ne pourront voir eux-mêmes l'original.

Cette pierre faisoit partie de cette masse immense de couches gypseuses qui environnent de toutes parts la ville de Paris. Elle a été prise à Clignancourt, dans la troisième couche, c'est-à-dire encore à quinze mètres plus bas que les ossemens de quadrupèdes dont j'ai déja entretenu l'Institut. Elle est par conséquent d'une formation beaucoup plus ancienne que les couches qui contiennent ces ossemens.

Le pied d'oiseau est attaché à la surface du lit auquel cette pierre appartenoit. On sait que les lits de gypse sont séparés les uns des autres par des lits beaucoup plus minces d'une marne feuilletée, dont quelques-uns ont à peine une ou deux lignes d'épaisseur. On voit encore dans mon morceau quelques parcelles de cette marne adhérentes au gypse.

Les parties osseuses qu'on y remarque consistent en une moitié de fémur, un tibia, un os du tarse, trois doigts à-peu-près entiers et un léger vestige de pouce. Toutes ces parties ont conservé leurs articulations et leur position naturelle, et personne n'hésitera à les regarder au premier coup-d'œil comme parfaitement semblables au squelette d'une patte d'oiseau.

Mais cette ressemblance générale ne peut satisfaire l'anatomiste; il lui faut un examen plus rigoureux pour le convaincre. Il faut qu'il retrouve dans les proportions, les formes et le nombre des parties, les caractères distinctifs exclusivement propres à l'animal auquel il veut attribuer les os qu'il observe. C'est ce que nous trouvons parfaitement dans ce morceau.

Je ne parle pas du femur et du tibia; quoique ces parties, lorqu'on les voit entières, aient dans les oiseaux des caractères tout particuliers, elle ne sont pas assez bien conservés ici pour qu'on les y observe.

Mais l'os du tarse ne laisse déja aucun doute.

Il n'y a que la seule classe des oiseaux où un os unique tienne lieu de tarse et de métatarse. Dans les quadrupèdes à canon, le métatarse est bien d'une seule pièce, mais le tarse en contient plusieurs; dans les tarsiers et les galagos, les os scaphoïdes et calcanéums sont bien prolongés, de façon à donner au tarse autant de longueur qu'à celui des oiseaux; mais les autres os du tarse et du metatarse n'en subsistent pas

moins.

Quelques reptiles comme les grenouilles, ont aussi un tarse allongé, mais il y a toujours deux os longs et plusieurs petits. Le nombre et les articulations des doigts sont encore plus caractéristiques, s'il est possible.

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Les oiseaux sont la seule clase dans laquelle on observe le nombre d'articulations 2 3, 4 et 5, pour les quatre doigts à commencer par le pouce qui est toujours celui qui en a le moins. Cette règle n'a d'exception que dans l'autruche et le casoar, qui ressemblent au manmifère par le nombre ternaire donné également à tous les doigts; en effet tous les mammifères ont deux phalanges au pouce, et trois aux quatre autres doigts, à moins que quelqu'un de ces doigts ne soit oblitéré et caché sous la

peau.

Aucun reptile ne ressemble non plus aux oiseaux par ce nombre d'articulations, excepté le lésard ordinaire ; mais outre que le lésard ordinaire a un cinquième doigt qui n'est pas ici, son tarse étant tout différent, on ne peut lui attribuer la pièce que j'examine, et dans laquelle nous trouvons précisément les nombres propres aux oiseaux.

En effet, sans parler du pouce g, qui est mal marqué, nous trouvons au doigt interne, h, deux fongues phalanges et une petite pour l'ongle dont l'empreinte est presque effacée. Le doigt du milieu i, qui est le plus long des trois, comme c'est l'ordinaire dans les oiseaux, a trois longues phalanges et un onguéal mieux marqué que le précédent, et le doigt externe qui paroît ici entre les deux autres, à cause de la compression que ce pied a éprouvée, a quatre phalanges longues et un orguéal très-bien marqué; et les cinq ensemble n'égalent pas la longueur des quatre qui forment le doigt du milieu.

Les onguéaux, à en juger par celui de ce dernier doigt, sont parfaitement semblables à ceux des oiseaux.

Ainsi tout se réunit dans ce fossile pour convaincre le scepticisme, et je ne doute pas que les naturalistes ne reconnoissent tous qu'il appartient à la classe des oiseaux.

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