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mots paraîtrait le dégrader; plus il travaillerait à contenter l'oreille, moins il serait sûr de l'empire qu'il veut et qu'il doit exercer sur l'âme. Quelle richesse d'ailleurs, quelle énergie dans ce style, qui n'emprunte qu'à la pensée, dont il est l'image la plus vive et la plus naturelle, ses teintes et ses parures! quelle variété de mouvemens! quelle abondance et quelle magnificence de tableaux ! quel trésor d'expressions fortes, pittoresques, animées, et pour ainsi dire vivantes! quelle franche et mâle harmonie! Sans les chefsd'œuvre de Bossuet, connaîtrions-nous toute la puissance de notre langue ? Ce grand orateur n'en a-t-il pas révélé les ressources, découvert tous les moyens, montré toute

l'étendue? Qu'elle est belle, cette langue, dans les monumens d'une telle éloquence! qu'elle a de majesté ! mais c'est un fonds dont le génie de Bossuet n'a fait qu'exploiter les richesses: il n'eût pas à ce degré fertilisé un idiome stérile et pauvre; s'il semble s'être approprié, par le droit d'une sorte de création, tout ce qu'il a su y trouver, si l'on dit qu'il s'est fait une langue particulière qu'on nomme la langue de Bossuet, il est vrai de dire aussi que ce langage qui lui appartient n'est qu'un résultat des combinaisons merveilleuses auxquelles pouvait se plier avec succès l'heureuse nature de notre commun idiome. Il a tiré l'or de la mine; mais la mine existait: il a couvert le sol de moissons brillantes; mais le champ était fécond; et le sentiment de l'orgueil national est doublé, quand on réfléchit que si notre langue dut beaucoup à Bossuet, le génie et la gloire de cet homme prodigieux doivent également beaucoup à notre langue, accusée de faiblesse par quelques étrangers qui ne la connaissent pas, et même par quelques Français qui l'écrivent mal.

DUSSAULT. Notice sur Bossuet.

Fléchier.

ON a souvent comparé Fléchier avec Bossuet: je ne sais s'ils furent rivaux dans leur siècle, mais aujourd'hui ils ne le sont pas. Fléchier possède bien plus l'art et le mécanisme de l'éloquence, qu'il n'en a le génie. Il ne s'abandonne jamais, il n'a aucun de ces mouvemens qui annoncent que l'orateur s'oublie et prend parti dans ce qu'il raconte. Son défaut est de toujours écrire et de ne jamais parler. Je le vois qui arrange méthodiquement une phrase et en arrondit les sons. Il marche ensuite à une autre; il y applique le compas; et de là à une troisième. On remarque et l'on sent tous les repos de son imagination; au lieu que les discours de son rival, et peut-être tous les grands ouvrages d'éloquence, sont, ou paraissent du moins, comme ces statues de bronze que l'artiste a fondues d'un seul jet.

Après avoir vu les défauts de cet orateur, rendons justice à ses beautés. Son style, qui n'est jamais impétueux et chaud, est du moins toujours élégant. Au défaut de la force, il a la correction et la grâce. S'il lui manque de ces expressions originales, et dont quelquefois une seule représente une masse d'idées, il a ce coloris toujours égal qui donne de la valeur aux petites choses, et qui ne dépare point les grandes. Il n'étonne presque jamais l'imagination, mais il la fixe. İl emprunte quelquefois de la poésie, comme Bossuet, mais il en emprunte plus d'images, et Bossuet plus de mouvemens. Ses idées ont rarement de la hauteur, mais elles sont toujours justes, et quelquefois ont cette finesse qui réveille l'esprit, et l'exerce sans le fatiguer. Il paraît avoir une connaissance profonde des hommes; partout il les juge en philosophe, et les peint en orateur. Enfin, il a le mérite de la double harmonie, soit de celle qui, par le mélange et l'heureux enchaînement des mots, n'est destinée qu'à flatter et à

séduire l'oreille, soit de celle qui saisit l'analogie des nombres avec le caractère des idées, et qui, par la douceur ou la force, la lenteur ou la rapidite des sons, peint à l'oreille en même temps que l'image peint à l'esprit.

En général, l'éloquence de Fléchier parait être formée de l'harmonie et de l'art d'Isocrate, de la tournure ingénieuse de Pline, de la brillante imagination d'un poëte, et d'une certaine lenteur imposante qui ne messied peutêtre pas à la gravité de la chaire, et qui était assortie à l'organe de l'orateur (1).

Bossuet et Fléchier sur le même sujet.

THOMAS.

BOSSUET et Fléchier ne se trouvèrent que deux fois dans une concurrence directe, encore les occasions furent-elles peu dignes d'une pareille rivalité : la vie de la reine MarieThérèse d'Autriche, presque entièrement consacrée à des pratiques de dévotion; celle de Le Tellier, qui fut la créature du Cardinal Mazarin, et qui porta dans les affaires plus de souplesse et d'exactitude que d'élévation et de génie, n'offraient pas de très-heureuses ressources à l'éloquence ; c'est toutefois un intéressant et utile spectacle, un bel objet d'étude, de voir Bossuet et Fléchier luttant corps à corps, même dans une lice trop étroite pour qu'ils pussent y déployer tous leurs moyens et toutes leurs forces ; c'est un piquant et instructif examen que celui des détails particuliers où ils se rapprochent le plus l'un de l'autre ; c'est une comparaison supérieure à tous les parallèles généraux, que celle qui s'établit, sur des bases si positives, entre deux compositions de deux orateurs s'exerçant en même temps sur le même sujet ; rien n'est plus propre à faire sentir en quoi ils diffèrent, en quoi ils se ressemblent on pourrait dire qu'il n'y a pas de petits sujets pour Bossuet, ni de matières

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, t. I.

stériles pour Fléchier; l'un agrandit tout par ses vues, l'autre fertilise tout par ses combinaisons : la conception de l'un est plus haute; il place les choses dans un plus grand ensemble, dans un plus vaste cadre; il les rattache à des considérations plus élevées, plus étendues : l'autre circonscrit sa pensée, et la restreint dans les bornes d'un plan vulgaire, sans lui permettre d'aller, par d'heureuses excursions, s'enrichir hors des limites qu'il lui a tracées; sûr de son art, il semble ne vouloir puiser que dans cette source qu'il trouve toujours abondante, et n'ambitionner d'autre succès que d'en montrer l'intarissable fécondité. Le style du premier est plus naturel, plus pittoresque, plus animé, plus plein, plus rapide et plus profond; le style du second est plus pur, plus régulier, plus soigné, plus égal. Bossuet parle souvent un langage qui n'est qu'à lui; il dompte et fait fléchir sous sa puissance l'idiome national qu'il traite, pour ainsi dire, en esclave ; Fléchier ne s'étudie qu'à polir et perfectionner la langue commune, qu'il semble avoir prise sous sa tutelle, et qu'il a dotée de tous les trésors de l'harmonie périodique. Une circonstance digne de remarque, relativement à l'une des deux oraisons funèbres qui ont amené ces réflexions, c'est qu'elle fut prononcée devant Bossuet lui-même, qui, malgré la conscience de sa supériorité habituelle, dut prêter une oreille bien attentive à ce discours, où son concurrent, après avoir combattu directement contre lui dans l'oraison funèbre précédente, venait de nouveau présenter, en quelque sorte, le défi de l'éloquence à un rival qu'il rencontrait parmi ses auditeurs mêmes et ses juges.

DUSSAULT. Notice sur Bossuet.

Bourdaloue.

Ce qui me ravit, ce qu'on ne saurait assez préconiser dans les sermons de l'éloquent Bourdaloue, c'est qu'en

exerçant le ministère apostolique, cet orateur plein de génie se fait presque toujours oublier lui-même, pour ne s'occuper que de l'instruction et des intérêts de ses auditeurs; c'est que dans un genre trop souvent livré à la déclamation, il ne se permet pas une seule phrase inutile à son sujet, n'exagère jamais aucun des devoirs du christianisme, ne change point en préceptes les simples conseils évangéliques; et que sa morale, constamment réglée par la sagesse, éclairée de ses principes, peut et doit toujours être réduite en pratique ; c'est la fécondité inépuisable de ses plans qui ne se ressemblent jamais, et l'heureux talent de disposer ses raisonnemens avec cet ordre savant dont parle Quintilien, lorsqu'il compare l'habileté d'un grand écrivain qui règle la marche de son discours à la tactique d'un général qui range son armée en bataille; c'est celle puissance de dialectique, cette marche didactique et ferme, cette force toujours croissante, cette logique exacte et serrée, disons mieux, cette éloquence continue du raisonnement qui dévoile et combat les sophismes, les contradictions, les paradoxes, et forme de l'ordonnance de ses preuves un corps d'instruction, où tout est également plein, lié, soutenu, assorti, où chaque pensée va au but de l'orateur qui tend toujours, en grand moraliste, au vrai et au solide, plutôt qu'au brillant et au sublime du sujet; c'est cette véhémence accablante et néanmoins pleine d'onction, dans la bouche d'un accusateur qui en plaidant contre vous, au tribunal de votre conscience, vous force à chaque instant de prononcer en secret le jugement qui vous condamne; c'est la perspicacité avec laquelle il fonde tous nos devoirs sur nos intérêts, et cet art si persuasif qu'on ne voit guère que dans ses sermons, de convertir les détails des mœurs en preuves de la vérité qu'il veut établir; c'est cette abondance de génie qui ne laisse rien à imaginer au lecteur par-delà chacun de ses discours, quoiqu'il en ait composé au moins deux, souvent trois, quelquefois quatre sur la même matière, et qu'on

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