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tiques ne prendraient point les armes; que si les patriotes venaient attaquer l'île, ceux qui se présenteraient de bonne volonté seraient employés à porter des vivres aux troupes, et à donner du secours aux blessés. Le même jour, les États arrêtèrent de nouveau d'empêcher et de faire défense aux ecclésiastiques de convertir à la religion romaine les habitants de cette île, où était, disaient-ils, heureusement établie la religion réformée; et firent publier et afficher cette défense qui portait que toutes plaintes faites de la part des notables seraient reçues 1.

« Le dimanche, 11 mai 1794, à deux heures du matin, commença la fète militaire ordonnée par milord Beleare, commandant en chef de l'ile; on tira le canon d'alarme; la milice de l'île, les trois régiments, les différentes compagnies détachées, le corps des émigrés aux ordres du marquis du Dresnai furent sous les armes et réunis à huit heures du matin sur la grève, au-dessous de l'hôpital général. A huit heures et demie, ces différents corps, au nombre de sept à huit mille hommes, chacun avec son train d'artillerie, défilèrent et traversèrent la ville, tambours battants et drapeaux déployés, au son d'une musique charmante, pour se rendre à la baie de Grouville, afin de s'opposer à une descente simulée des Français. Dans les environs, sont deux redoutes sur les hauteurs du Hoc et du Verclu. Les États donnèrent, le 5 du courant, à la première, le nom de Fort des émigrés ils l'ont, à la vérité, en y comprenant les ecclésiastiques, presque totalement construit ; il rappellera, dans tous les temps, à l'ile de Jersey, à l'Angleterre entière, le souvenir de ces illustres malheureux. La seconde de ces redoutes, construite en grande partie par les habitants de l'ile, fut nommé le Fort Beleare. A dix heures, les différentes co

1 La note suivante, écrite de la main de d'Argens, sur un carré de papier de son mémoire, peut se placer ici, quoiqu'elle soit d'une date postérieure : < Plainte portée par l'avocat, stipulant l'office de procureur-général du roi, le ◄ 7 mars 1795, contre quatre ecclésiastiques, l'évêque de Tréguier, un gentilhomme français et une servante, pour avoir converti à la religion romaine deux Jersiaises. >>

lonnes étaient à leur poste; à dix heures et demie le canon des émigrés annonça la première attaque: l'artillerie y fut des mieux servie, la mousqueterie des plus vives; l'ennemi, quelque temps après, fut supposé abandonner ce fort et se porter sur celui de Beleare; c'était le poste que défendaient les émigrés. A leur air, la réalité les eût plus amusés que le simulacre; les différents feux y furent parfaitement exécutés. Pendant les deux attaques, celui du vieux château, de la tour carrée et de tous les autres forts fut terrible. A une heure après midi, les différentes colonnes quittèrent leurs postes, et descendirent dans la plaine. Pendant cet intervalle, tous les forts en général tirèrent à boulet, à toute portée. Cette canonnade amusa infiniment les spectateurs; chacun y voyait la distance à laquelle il eût atteint l'ennemi. L'infanterie légère se porta sur les parapets, établis le long de la grève, fit feu et se replia sur les corps qui arrivaient successivement en colonnes. Enfin, se forma la ligne vraiment majestueuse de toute la petite armée; elle s'avança jusqu'au bord, et l'on y exécuta tous les feux avec une précision étonnante. Une salve générale de la mousqueterie, de l'artillerie de tous les forts, et des bombes qu'on lança des vieux châteaux, des hurras, répétés avec enthousiasme, terminèrent cette superbe et brillante fète. Ce qui contribua le plus à sa beauté, fut la sérénité du jour, la présence des trois quarts des habitants de l'ile; et ce qu'il y eut de plus remarquable, c'est que l'allégresse des habitants ne fut troublée par aucun événement malheureux, ce qu'il faut attribuer aux ordres précis et bien calculés du commandant, dont la prudence et la tactique sont consommés, à la capacité peu commune des autres chefs, et à la conduite vraiment distinguée de la troupe.

« De Paris, le 12. Trente-trois personnes ont été condamnées à mort par le tribunal révolutionnaire. On remarque dans cette affreuse liste madame Élisabeth, sœur de Louis XVI. On l'a été chercher au Temple le 9, à huit heures du soir, pour la mener devant le tribunal. Son grand caractère, sa vertu, sa constance, ses tendres soins pour le roi et la

reine, la mettent au-dessus de tout éloge: son interrogatoire et ses derniers moments suffiront pour faire connaître à la postérité cette illustre princesse, qui, par le dernier acte de sa vie, a couronné tous les autres. Quel est votre nom? Élisabeth-Philippine-Marie-Hélène de France. Votre qualité? Tante du roi.

« Le tribunal la condamna aussitôt à la mort, comme coupable de conspiration contre la république. Peut-on voir le spectacle que nous fournit la France, l'innocence périssant sur l'échafaud et le crime triomphant, et douter encore d'une vie future?

« Le duc d'York donna, le 7 du courant, un ordre dont l'humanité contraste parfaitement avec l'extravagante barbarie du décret de l'Assemblée nationale, qui ordonne de ne faire aucun quartier aux Anglais et aux Hanovriens.

<< Par la dépêche officielle, datée de Corte dans l'ile de Corse, le 21 juin dernier, on apprend que cette île, représentée par les députés assemblés en général-consult, a reconnu, presque à l'unanimité, et avec une satisfaction qui tenait de l'enthousiasme, Sa Majesté britannique pour son souverain, et lui a offert le serment de fidélité qui a été accepté. Ces mêmes députés sont aussi convenus d'une constitution, suivant laquelle ils désirent d'être gouvernés, et dont les traits principaux sont : « 1o Le pouvoir législatif rési« dera dans la personne du roi, représentée par le vice-roi et « le parlement. Sa majesté a le veto absolu, et le pouvoir de << dissoudre ou de proroger le parlement; mais dans l'un et «<l'autre de ces cas, le roi doit indiquer une autre convoca«<tion dans l'espace de quarante jours. Chaque législature << sera de deux années, et le parlement pourra également se << dissoudre lui-même et se proroger, en observant aussi de « s'ajourner ou d'ordonner une élection dans les quarante « jours. 2o Le parlement sera composé d'une chambre, dont << les membres seront élus par les assemblées de districts. « Les évêques résidants en l'ile de Corse y ont séance de << droit. Le pouvoir exécutif suprême est dévolu à sa majesté << qui prendra le titre de roi d'Angleterre, etc., et de Corse.

«La religion catholique romaine est la seule religion na«<tionale; les autres cultes sont tolérés. »

« Le 30 du même mois, le prince de Saxe-Cobourg fit une proclamation, par laquelle il exhortait les habitants des belles contrées du Rhin et de la Moselle, à se lever, à s'armer, à garnir leurs fleuves et leurs défilés, et à combattre pour leurs autels, leurs foyers, leur empereur et leur liberté, avec ses valeureuses troupes, dont, au commencement de la proclamation, il dépeint la bravoure, la fidélité et les fatigues, contre des cohortes innombrables, conduites à la boucherie par leurs tyrans, et qui achètent, en répandant leur sang à grands flots, l'ombre trompeuse d'une liberté ima ginaire, etc.

« Le 5 août, vingt chariots chargés des trésors de la Belgique, arrivèrent à Paris. Les Français démolirent la citadelle de Namur, aux frais du clergé et de la noblesse. En Hainaut, en moins de vingt-quatre heures, les Français ont levé quinze cents recrues. Le Brabant doit fournir cent mille recrues à l'armée républicaine.

<< Dans la séance du 30, des lettres du général Schoerer apprennent la prise de Valenciennes le 27. Ledit jour, 30, il fut décrété que le nom de Condé serait changé en celui de Nord-Libre. A six heures et demie du soir, le citoyen Chappe écrivit au président qu'il avait fait passer à Lille le décret de l'assemblée, par le moyen du télégraphe (machine nouvellement inventée par le dit Chappe, pour communiquer les nouvelles avec la rapidité de la vue) et qu'il avait reçu le signal de son arrivée à sa destination.

« On mande de Douvres, le premier septembre, que les carmagnoles se sont rendus coupables de toute espèce de pillages en Flandre, surtout à Ostende, et dans son voisinage : à Bruges, ils mirent en réquisition cinq cents jeunes gens, pour nettoyer les canaux; mais les habitants se plaignant de la dureté du travail, ils assemblèrent des troupes qu'ils y conduisirent de force.

<< On mande de Paris, le 6, qu'à la stupeur et au silence de mort, produits par les proscriptions continuelles du san

guinaire Robespierre, a succédé une fermentation qui, de la Convention, s'est communiquée rapidement dans Paris où elle agite prodigieusement les esprits. On y demande la paix, un gouvernement, et sans trop se contraindre, la royauté même ; la même effervescence a gagné les extrémités de la république. Tout le monde est las de l'état actuel, et le peuple, qui a perdu toute confiance dans la Convention, qu'il traite hautement d'un ramas de scélérats, adoptera avec empressement tel régime qu'on lui proposera, pourvu qu'il y aperçoive quelque sûreté contre l'invasion des étrangers, qu'il regarde au-dessus de tout mal. Jamais les symptômes d'un mouvement général n'ont été plus forts; mais qu'on ne s'y trompe pas: il n'y en a aucun qui ait le moindre rapport au rétablissement de l'ancienne monarchic.

« Les 11, 12, 13 et 14 août, M. du Dresnai, à son retour d'Angleterre, avec une commission de former une légion, et de recruter, à cet effet, dans toutes les prisons d'Angleterre, nomma les officiers et sergents parmi les émigrés. Il y en eut beaucoup de mécontents, vu qu'il n'avait pas suivi l'ancienneté de service, quoique la cour lui en eût donné l'avis, en lui laissant néanmoins la liberté de choisir ses officiers. Quelques émigrés furent chez lui, lui dire des injures; il y en eut un qui lui proposa la petite douleur.

(Septembre.) « A Trèves, on prend aux marchands tout le fer, le cuir et les draps qui sont dans leurs boutiques; ils reçoivent à la place des bons qui seront échangés contre des assignats. Les habitants manquent de tout. Ceux qui ont de l'argent, achètent du pain des républicains.

« On a affiché dans tout Paris l'avis suivant : « Quand le sénat romain s'empara de tous les pouvoirs, le peuple fut réduit à l'esclavage. Citoyens, vous êtes dans cette situation; on ne vous a laissé pour vous sauver que l'article 31 des droits de l'homme; L'INSURRECTION. >>

(Vienne, le 23.) « Précis du traité passé entre l'Autriche et la Grande-Bretagne : 1o. Aussitôt que l'Autriche le re

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