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II

MÉMOIRES

OU

JOURNAL D'OLIVIER D'ARGENS

GENTILHOMME BRETON

TROUVÉS SUR LUI-MÊME, APRÈS SA MORT, DANS UN DES COMBATS QUI ONT PRÉCÉDÉ LA PRISE DE CHARETTE, EN 1796.

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TROUVÉS SUR LUI-MÊME, APRÈS SA MORT, DANS UN DES COMBATS QUI ONT PRÉCÉDÉ LA PRISE DE CHARETTE, EN 1796 1.

Pierre Olivier d'Argens, natif de Pont-Croix, près Quimper, n'avait d'autre but, en écrivant ces Mémoires, que de se rendre compte à lui-même de ses dépenses, et de quelques faits particuliers dont il avait été témoin. Quelques traits de ce journal peuvent n'être pas sans intérêt pour l'histoire.

Si l'on est curieux de connaître le personnel de l'auteur, il avait environ cinq pieds, visage rond, teint coloré, yeux bruns, cheveux châtains; il est né le 28 mai 1757, et il a émigré le 8 janvier 1792. Il fut inscrit le premier février, même année, sur le contrôle du cantonnement d'Ath, volontaire de la huitième compagnie du bataillon breton, commandé par M. de Pontavice, capitaine des chasseurs au régiment de Chartres; il a fait la campagne des princes, et le premier novembre,

1 Ces mémoires n'ont été publiés que par extrait dans l'édition de 1793. Malgré toutes nos recherches, il nous a été impossible de retrouver l'original, pour l'offrir en entier dans cette nouvelle édition. (Note des premiers éditeurs.)

il s'est retiré de ladite compagnie, pour se rendre dans l'île de Jersey, où il a servi dans le corps des gentilshommes bretons, commandé par M. du Dresnay, et ensuite par le prince de Léon, dans le second cadre commandé par M. de la Bourdonnaye.

Depuis le 8 janvier 1792, jour du départ, jusqu'au 15, même mois, où il arrive à Jersey, il ne se passe rien de bien intéressant. Il fait remarquer seulement la manière dont on remplaçait, à cette époque, les officiers émigrés. « Le bataillon "du régiment de Poitou, qui était en garnison à Saint-Brieux, « fut assemblé, dit-il, pendant la journée du 12 pour nom<«mer les officiers. Depuis huit ou quinze jours on travaillait <«<les soldats pour faire cette élection, et surtout pour élire << capitaine un certain bourgeois enragé de la ville. On me << dit qu'il donnait à boire, et distribuait de l'argent aux sol<< dats. Il réussit enfin, car je le vis le soir, dans mon auberge, <«<< en habit militaire, avec des épaulettes de capitaine, buvant <<< avec plusieurs soldats. >>

D'Argens se rend le 18 à bord du brick commandé par le capitaine Bouton, avec cinquante-cinq émigrants; des vents contraires et une mer houleuse les forcent d'aller relâcher au port de Cowe, dans l'île de Wight, où ils furent mal nourris, plus fortement rançonnés, et eurent le désagrément de pouvoir à peine se faire entendre; ils y étaient mal vus : Le pays, dit notre voyageur, me parut patriote.

Le 28, ils arrivèrent à Ostende, jolie petite ville, fortifiée, avec deux belles places. Pendant la traversée, ses compagnons racontaient avec emphase ce qui s'était passé dans leur pays, leurs aventures et les persécutions qu'on leur avait fait endurer l'un avait été poursuivi par un maire ou un procureur de commune; l'autre, à l'instigation d'un jureur ou d'un clubiste; celui-ci, par le district; celui-là, par le département. Enfin, ils promettaient, à leur retour, de se venger de leurs persécuteurs, en jurant et vomissant contre eux tout ce que la colère pouvait leur inspirer d'injurieux. Par intervalle, on chantait des chansons de toutes les espèces, pour dissiper la mélancolie que le récit de toutes les horreurs de la révolution

répandait sur les esprits. « En débarquant, ajoute d'Argens, nous fùmes arrêtés, et ceux qui avaient des armes, désarmés par les soldats, qui nous conduisirent de corps de garde en corps de garde; quelques-uns ne cessèrent de crier que nous étions des gentilshommes français, forcés d'émigrer par les persécutions et les malheurs de notre pays; que nous allions rejoindre nos princes. Arrivés au grand corps de garde, nous y fûmes quelque temps sans savoir ce que nous deviendrions. Pour nous consoler, on nous disait que nous y passerions la nuit. Nos vieillards commençaient à s'en désoler. Sur ces entrefaites, arrivèrent trois officiers, qui, après nous avoir demandé d'où nous venions, par quel motif nous émigrions, et où nous allions, dissipèrent nos craintes, et nous tirèrent d'embarras ils nous placèrent au nombre de dix à douze dans chaque auberge, et nous donnèrent pour le lendemain, à une heure après midi, assignation au même corps de garde.

« Le 29, nous nous y rendîmes; on nous y donna quatre soldats pour nous accompagner. A deux heures, nous nous embarquâmes tous, dans une petite barque, traînée par quatre chevaux, pour Bruges, où nous arrivâmes vers les quatre heures et demie. Nos quatre soldats nous conduisirent directement au grand corps de garde. A peine y restâmes-nous un quart d'heure. Par ordre du commandant, on remit aux émigrés désarmés à Ostende, leurs sabres, épées et pistolets, et on nous mena tous les cinquante-six dans la même auberge, où nous soupâmes et couchâmes tous. A la fin du souper on nous présenta un registre pour y inscrire nos noms. En y portant le mien, je remarquai que le plus grand nombre avait pris les qualités de marquis, comte, vicomte et baron, et pas un n'avait véritablement le droit de prendre aucune de ces qualités. Quelle ostentation! quelle vanité quel orgueil! On nous demanda ensuite s'il n'y avait pas parmi nous un nommé Wander-Noot, le chef des révoltés brabançons : on répondit qu'un pareil homme ne se trouvait pas dans notre compagnie, et que nous ne l'aurions pas souffert.

« Le 30, à huit heures et demie du matin, nous nous rendimes au nombre de plus de cent, mais sans escorte, dans la

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