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verser, avant de rentrer impunément dans une patrie qu'il n'avait ni délaissée ni combattue, un homme d'esprit uniquement coupable du crime d'absence'.

Surpris par les lois sur l'émigration, en plein voyage d'Italie, au commencement de l'année 1792, M. Hippolyte de la Porte n'avait pas plus tôt songé à boucler ses malles et à regagner ses foyers qu'il fut écarté par le décret qui fermait la frontière, sous peine de mort, à tous les émigrés ou réputés tels. Nous devons à cette mésaventure, qui lui coûta jusqu'à sa radiation (8 floréal an VIII 28 avril 1800) huit années de pérégrinations forcées, le tiers de la fortune paternelle versée au fisc, légitime héritier de ces morts vivants dont la succession était ouverte et acquise à l'État par le seul fait de l'inscription sur la fatale liste, et lors d'une téméraire incursion en France, des dangers qui eussent pu être mortels, un tableau curieux et animé de Venise au moment de la chute de son gouvernement légendaire et de la perte de son indépendance, d'intéressants détails sur l'émigration à Hambourg et à Berlin, et surtout le récit exact et dramatique des efforts qu'il dut faire pour reconquérir l'existence légale, pour ressusciter civilement.

Nous signalons cette agréable et intéressante relation au lecteur, au cas où il nous serait impossible de la faire entrer dans les limites de notre recueil.

Nous aurons terminé cette introduction nécessaire quand nous aurons répondu à une objection qu'on sera peut-être tenté de nous faire.

Si donc on nous demandait pourquoi, suivant notre ha

1 Souvenirs d'un émigré de 1797 à 1800, à Paris, Fournier, 1843, in 8°.

bitude dans cette collection de documents historiques où nous interrogeons tour à tour les deux partis, faisant alterner les témoignages royalistes et les témoignages républicains, nous n'avons pas donné place à des dépositions de ce dernier genre, nous répondrons d'abord que c'est parce que nous n'en connaissons pas. Nous affirmerons ensuite sans crainte d'être démenti par ceux qui liront ce recueil, qu'on ne saurait trouver de documents plus à charge contre l'émigration, son principe, ses mobiles, ses conséquences, que ces relations toutes émanées d'émigrés. Toutes, en effet, sont unanimes à proclamer et à déplorer la folie de l'émigration, sa stérilité pour le bien, sa fécondité pour le mal. Pas un qui ne regrette son équipée, amèrement expiée, et ne se repente d'avoir sacrifié la jeunesse et la patrie à ce contagieux entraînement de haine, de peur, de vanité, d'ambition, qui fit tant de dupes, tant de victimes et ne profita qu'à quelques fripons de fidélité et tricheurs d'héroïsme. Nous ne pouvions décemment réimprimer un pamphlet comme les Voyages et aventures des émigrés ou le commissionnaire de la ligue d'outre-Rhin, etc., attribué au général Doppet '.

Si l'on veut savoir maintenant quelle leçon suprême, quelle irrésistible moralité ressortent pour nous de ce travail d'enquête, nous le dirons nettement. C'est que si la révolution n'a pas dégagé complétement des voiles san

1 Le Commissionnaire de la Ligue d'outre-Rhin ou le Messager nocturne, contenant l'histoire de l'émigration française, les aventures galantes et politiques arrivées aux chevaliers français et à leurs dames dans les pays étrangers, des instructions sur leurs projets contre-révolutionnaires et des notices sur tous les moyens tentés ou à tenter contre la constitution; par un Français qui fait sa confession générale et qui rentre dans Paris. Paris, Buisson, 1792, in-8°.

glants de son berceau la notion de la liberté, elle a du moins fait surgir à jamais au-dessus de toute obscurité et de toute atteinte l'idée de la patrie. Blasphémer la patrie est aujourd'hui, plus que jamais, un crime. La trahir est le pire des parricides. On peut différer d'opinion sur la meilleure manière de gouverner son pays, mais il ne doit y avoir qu'une opinion quand il s'agit de l'aimer, de le servir et de le défendre.

27 janvier 1877.

M. DE LESCURE.

RELATION

D'UN VOYAGE

A BRUXELLES ET A COBLENTZ

(1791)

A ANTOINE-LOUIS-FRANÇOIS D'AVARAY

SON LIBÉRATEUR,

LOUIS-STANISLAS-XAVIER DE FRANCE

PLEIN DE RECONNAISSANCE, SALUT.

Je sais, mon cher ami, que vous travaillez à tracer le détail de ce qui a précédé et accompagné le moment où vous m'avez rendu la liberté ; personne n'est plus en état que vous de bien faire connaître votre ouvrage. Cependant je l'entreprends aussi; il est possible que votre modestie vous empêche de vous rendre entièrement justice, et c'est pour moi un devoir aussi sacré que doux à remplir de parer à cet inconvénient. Ce serait me rendre ingrat de souffrir que, qui que ce soit au monde, même vous, osat ravir à mon libérateur la moindre partie de la gloire qui lui est due. C'est donc bien plus dans cette vue que pour me rappeler le souvenir d'événements qui seront tou jours présents à ma pensée, que j'écris cette relation. Recevez-la comme un gage de ma tendre amitié, comme un monument de ma reconnaissance. Puisse-t-elle servir à acquitter une partie de la dette qu'il m'a été si doux de contracter, et dont il m'est encore plus doux de penser que je serai éternellement chargé !

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