<< l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recou<< vrement et la durée. » D'après ce texte et si l'on ne consultait que les apparences, on devrait s'estimer heureux de vivre dans un pays où le contrôle est assuré, où les charges qui pèsent sur chacun sont librement consenties, et où tout ce qui est relatif aux finances est tellement environné de clarté, que le dernier des citoyens peut se rendre un compte exact de l'état de la fortune publique. N'a-t-on pas, en effet, remplacé l'arbitraire de l'ancien régime par un système complètement nouveau? Depuis 1789, depuis la déclaration des droits de l'homme, les Français sont appelés à faire leurs affaires eux-mêmes; aussi, faut-il être singulièrement pessimiste pour ne pas admettre à priori que les caisses de l'Etat sont pleines, que la prospérité règne en souveraine absolue, et que l'administration financière est au moins sur le même rang que la femme de César, qui ne devait pas être soupçonnée. Il nous reste à vérifier si le langage plein de promesses de l'article 14 est bien d'accord avec la réalité des faits. C'est un siècle tout entier que nous avons à passer en revue. Pour donner une idée exacte de ce qui s'est accompli durant cette longue période, il faudrait des volumes. Un simple rapport comme le nôtre ne comporte pas de pareils développements. Aussi, nous contenterons-nous d'esquisser rapidement, dans quelques pages, l'histoire de nos finances, en insistant principalement sur les périls financiers au milieu desquels la fortune de la France a failli sombrer à plusieurs reprises. Loin de nous la pensée de critiquer systématiquement les intentions des hommes de 1789. Ils ont cherché, sans le trouver, le remède aux maux qui leur étaient signalés, et l'impuissance politique n'est pas un crime. D'ailleurs, la rédaction de l'article 14 n'est pas mauvaise en elle-même, et on ne peut guère lui reprocher que d'être un peu ambitieuse. Si ses prescriptions avaient été fidèlement observées, tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, et la France servirait d'exemple et de régulateur aux nations civilisées. Ce que nous avons à constater, c'est que, mal heureusement, les prévisions des membres de l'Assemblée constituante ont été déjouées par les événements, et que, loin d'avoir liquidé le passé, nous sommes arrivés à nous endetter dans des proportions effrayantes. Les privilèges ont été abolis; mais, en revanche, les impôts ont sextuplé. L'Etat, ce suzerain de la société moderne, fait payer aux contribuables l'air qu'ils respirent, le jour qui les éclaire; il leur fait acheter les jouissances de leurs valeurs, de leurs immeubles et de leurs terres. Les droits de mutation frappent les ventes et les héritages. Les impôts sur les denrées alimentaires atteignent les plus pauvres, la corvée frappe les habitants de la campagne; enfin, la dette nationale s'est élevée à un chiffre tel, qu'on ose à peine le prononcer. Est-ce bien là le but vers lequel on tendait en 1789? Comment, sommes-nous si loin des résultats espérés par nos premiers révolutionnaires, et comment se fait-il que nous ayons une nouvelle déconvenue à enregistrer à la suite de tant d'autres? Cela tient à plusieurs raisons. En 1789, on voyait plutôt le côté théorique que le côté pratique des choses, et l'on s'exposait à subir une multitude de mécomptes. Ensuite, le régime parlementaire qu'on s'est efforcé d'introduire, a été faussé dès les premiers jours. La responsabilité n'a pas toujours été effective, et le contrôle a été rendu illusoire par certains gouvernements. Ce n'est pas seulement depuis la fin du siècle dernier que s'est fait sentir le besoin de demander des comptes aux détenteurs des deniers publics, ce besoin a existé dans tous les temps; à toute époque aussi, on a rencontré les mêmes difficultés et les mêmes résistances. Dans l'antiquité, Scipion l'Africain conviait le peuple romain à monter au Capitole, lorsqu'on le questionnait sur l'emploi des sommes qu'il avait touchées. Dix-neuf siècles après, le roi Louis XIV en était réduit à faire arrêter Fouquet, à cause des dépenses effrénées auxquelles il se livrait pour satisfaire ses folies vaniteuses, alors précisément que le Trésor, dans lequel il puisait à pleines mains, était en détresse. Enfin, de nos jours, on a vu la Cour des Comptes provoquer en pure perte des explications catégoriques au sujet d'une somme de 250 millions qui est allée grossir des portefeuilles inconnus. La Révolution, éprise de nouveautés, avait émis la prétention de creuser un abîme entre l'ancien régime et le nouveau, et elle avait cru y parvenir en détruisant les institutions existantes. Au fond de tous les systèmes présentés par ses adhérents, on rencontre la même idée fixe, la haine du passé, la volonté d'anéantir ce qu'on n'a pas fondé. Ce passé tant décrié avait pourtant du bon. Des hommes tels que l'abbé Suger, Jacques Cœur, le cardinal d'Amboise, Sully et Colbert, n'étaient pas les premiers venus. C'étaient des financiers de génie, toujours en quête de nouveaux progrès, et qui savaient reconstituer en peu d'années le patrimoine de la nation. Dans cette besogne difficile, ils étaient secondés par nos rois, qui travaillaient avec persévérance à faire de la France ce merveilleux instrument qu'appréciait si hautement le grand Frédéric. Au milieu d'une période barbare, Charlemagne avait créé les missi dominici; et, jugeant avec raison que les bons exemples devaient partir d'en haut, il vendait les légumes də ses jardins et les œufs de ses poules. Cela peut paraître puéril à des gens qui engloutissent des millions dans des aventures et qui semblent ignorer que l'économie est encore le meilleur programme de gouvernement; mais l'illustre carlovingien, qui avait l'esprit droit et honnête, pensait que les principes qui régissent la vie privée, devaient être aussi la base et la force des Etats. Dans la dynastie capétienne, quatre souverains, St Louis, Charles V, Louis XII et surtout Henri IV, se sont appliqués à fonder l'empire des lois et à reconnaître des droits qui limitaient les leurs. Ils ont poursuivi une politique de réformes et n'ont cessé d'introduire des améliorations dans l'organisation de la justice et des finances. Aussi, ont-ils laissé la France riche et florissante, au lieu de la laisser épuisée; et pourtant ils se sont attachés, pendant leur régne, à ne demander que le strict nécessaire à leurs peuples. Mettre les recettes au niveau des dépenses, arriver à ce niveau plutôt par le retranchement des dépenses que par l'augmentation des impôts; et lorsque la guerre devenait malheureusement nécessaire, y suffire par des emprunts dont l'intérêt fût assuré, ou par une économie nouvelle, telles furent les règles immuables dont ces quatre monarques, supérieurs de beaucoup à tous les autres, ont eu la sagesse de ne jamais s'écarter. Lorsque Louis XVI monta sur le trône, en 1774, la situation financière était critique; le désordre avait été porté à son comble pendant les vingt dernières années du règne précédent, et le premier devoir du chef de l'Etat consistait alors à mettre un terme aux embarras du Trésor. Si Louis XVI, qui souffrait cruellement des abus dont il était témoin, avait eu assez d'énergie pour les détruire, la révolution préparée par les économistes et les philosophes du XVIIIe siècle, aurait été évitée très vraisemblablement. A la veille de 1789, Necker évaluait à 585 millions l'ensemble des charges qui pesaient sur le pays. Ce total comprenait, indépendamment des contributions proprement dites, toutes les taxes locales, telles que les octrois des villes, les dépenses des hôpitaux, celles des Chambres de commerce... etc... Le jour même de l'ouverture des EtatsGénéraux, il accusa, d'après M. Thiers, un déficit de 56 millions. Ainsi, d'une part, la France payait ou supportait 585 millions, et d'autre part il manquait 56 millions pour aligner le budget. Dans ces conditions, fallait-il recourir inévitablement à l'intervention de la nation? on l'a cru en 1789. On a répété, sans trop se rendre compte de ce que l'on faisait, que la représentation nationale remédierait à tout; et le roi, malgré ses justes pressentiments, se résigna à la convoquer. Mais en 1874 et dans les années suivantes, alors que le déficit n'était pas encore de 56 millions et que les prodigalités du ministre Calonne n'avaient pas absorbé des capitaux considérables, il en aurait été autrement. Nous en avons la preuve dans la lettre adressée au Roi par Turgot, le 24 août 1774, lettre qu'il faut citer tout entière, parce qu'elle est dictée par un sincère amour du bien public et qu'elle pourrait aujourd'hui servir de manuel rudimentaire ànos financiers. < Sire, <En sortant du cabinet de Votre Majesté encore plein << du trouble où me jette l'immensité du fardeau qu'elle < m'impose, agité par tous les sentiments qu'excite en moi < la bonté touchante avec laquelle elle a daigné me rassu«rer, je me hâte de mettre à ses pieds ma respectueuse « reconnaissance et le dévouement absolu de ma vie en« tière. « Votre Majesté a bien voulu m'autoriser à remettre sous << ses yeux l'engagement qu'elle a pris avec elle-même de << me soutenir dans l'exécution des plans d'économie qui << sont en tout temps et aujourd'hui plus que jamais, d'une << nécessité indispensable. J'aurais désiré pouvoir lui déve« lopper les réflexions que me suggère la position où se << trouvent les finances; le temps ne me le permet pas et « je me réserve de m'expliquer plus au long quand j'aurai < pu prendre des connaissances plus exactes. Je me borne << en ce moment à vous rappeler ces trois paroles : « < Point de banqueroute-point d'augmentation d'impôts point d'emprunt. Point de banqueroute, ni avouée, ni << masquée par des réductions forcées. Point d'augmenta<< tion d'impositions; la raison en est dans la situation de < vos peuples et encore bien plus dans le cœur de Votre << Majesté. « Point d'emprunt; parce que tout emprunt diminuant <<< toujours le revenu libre (par les intérêts à payer), il né<cessite au bout de quelque temps ou la bauqueroute ou « l'augmentation des impositions. Il ne faut en temps de < paix se permettre d'emprunter que pour liquider les << dettes anciennes ou pour rembourser d'autres emprunts << faits à un denier plus onéreux. « Pour remplir ces trois points, il n'y a qu'un moyen, « c'est de réduire la dépense au-dessous de la recette, et « c'est assez pour pouvoir économiser chaque année, une << vingtaine de millions, et les employer au remboursement <des dettes anciennes; sans cela le premier coup de canon << forcerait l'Etat à la banqueroute. « On se demande sur quoi retrancher? Et chaque ordon<< nateur dans sa partie soutiendra que presque toutes les « dépenses particulières sont indispensables. Ils peuvent <dire de fort bonnes raisons, mais comme il n'y en a point |