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LEONIDAS.

Comment pourront-elles juger, trancher, décider, condamner fans appel?

EMPHASÈS.

Eh, Monfeigneur ! elles ne font que cela toute la journée.

LEONIDAS.

AIR: Philis demande fon portrait.

Je doute fort qu'à ce cadeau

Sparte entiere applaudiffe.

EMPHAS È s.

Pourquoi pas!

L'Amour n'a-t-il pas un bandeau,]

Ainsi que la Justice?

Sera-ce la premiere fois,

Au bon tems comme au nôtre,

Que l'un aura dicté les loix

Et les arrêts de l'autre?

AIR: Tu croyois en aimant Colette.

N'ayez aucune inquiétude,

Allez, tout ira pour le mieux;
Ne fût-ce que par habitude,

Mon fénar fera des heureux.

Agis battu paroît, informe fes camarades de fes malheurs, inftruit fa femme & fa mere du deffein où il eft de fe tuer : Agéfistrate, qui d'abord avoit préféré la mort de fon fils à la honte d'une défaite, defire en ce moment le contraire, petite inconféquence maternelle (dit-elle) dont elle rougit. Léonidas, fier de fa victoire, la perfifle, ainfi que Chélonis, qui fe plaint de voir ses traits flétris par le chagrin à quoi le vainqueur répond :

AIR C'est la petite Thérefe.

Pourquoi donc, ma chere fille,
M'étourdir de tels regrets!
Ta mine est toujours gentille,
Tes appas font toujours frais :
Plus d'un que ta beauté frappe,
Epris de cet œil mutin,
Mordroit encor à la'grappe
Dans la vigne du voilin.

CHELON IS.

Mon pere, laiffons la bagatelle, & dais gnez accorder à mon mari....

LEONIDAS.

Que demande-t-il ?

AIR des Portraits à la mode.

Selon les anciens ufages des tyrans,
Prendre nos biens fans nuls ménagemens,
Goûter les plaifirs toujours à nos dépens,
C'étoit ton ancienne méthode :

Aujourd'hui rends-nous la douce égalité;
Que chacun ici trouve la liberté,

Et mettons nos femmes en communauté :
Par-là nous ferons à la mode.

Agis, bleffé à mort, vient expirer fur la fcene; à force de baifers de fa femme & de fa mere, il reffufcire, & reprend la couronne, ce qui amene cette jolie fin de couplet:

C'est ainsi qu'on refluscite
Dans les bras de la beauté.

Non-feulement le jeune auteur de cette pa rodie a faifi affez bien les défauts de la tragédie, mais il y a mis une certaine gaieté que le fujet ne promettoit point. Il l'a terminée par le couplet fuivant :

AIR: C'est la fille à Simonette,

Honneur à la tragédie

Qui mérita des fuccès;
Grace pour la parodie:
Toutes deux font des effais.
En bon parent, fans malice,
Agis tout récemment né
Demande qu'on l'applaudiffe
En faveur de fon aîné.

Le mardi, 6 août, on a donné la premiere représentation des Deux Jumeaux de Bergame, comédie en un acte & en profe, avec des couplets mis en mufique, par M. Defaugiers.

Ces deux jumeaux font deux arlequins. L'un d'eux eft abfent, mais on l'attend d'un moment

à l'autre. Le fecond eft fur le point d'épouser Rofette, fa maîtreffe, qui lui a promis fon portrait. Il est encore aimé d'une jeune perfonne nommée Nérine, à qui Rofette a infpiré la plus forte jaloufie. Le retour de l'arlequin abfent produit un quiproquo fur lequel est établie toute l'intrigue de l'ouvrage. Rofette, trompée par la reffemblance, donne fon portrait à celui-ci, croyant le donner à fon frere. A peine a t'il reçu ce présent inattendu, que la jalouse ́ Nérine le lui arrache avec colere. L'amant de Rofette prie fa maîtreffe de lui tenir parole. Débat entre eux à ce fujet. L'une dit avoir donné, l'autre prétend n'avoir pas reçu. La nuit vient, le premier arlequin fait le guet à la porte de Rofette. Un moment après, fon frere vient chanter fous la fenêtre de la beauté qu'il a trouvée fi prévenante. A la fin de fa chanson, il eft maltraité par fon frere, que la jaloufie rend furieux; au bruit de leur combat, Rofette arrive on apporte des flambeaux; les deux freres fe reconnoiffent; la caufe des méprifes eft éclaircie; Rofette époufe l'aîné des arlequins, & Nérine confent à donner fa main au fecond.

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Cette petite comédie a été composée dans le tems que les Comédiens Italiens faifoient partie de ce fpectacle. Elle a fait beaucoup de plaifir, & l'on en continue les représentations avec fuccès. Le jeu naturel & inimitable du Sr. Carlin, l'un des deux arlequins, y eft vivement applaudi; le Sr. G. Coraly, qui joue le rôle de l'autre arlequin, mérite auffi des

applaudiffemens. Les méprifes de ces deux jumeaux font fort plaifantes; & quoique le fond de cette bagatelle foit ufé, l'auteur, qui ne peut être qu'un homme dont le talent eft exerçé, a fu en tirer tout le parti poffible.

(Mercure de France; Journal de Paris;

Journal encyclopédique; Affiches, annonces & avis divers.)

LYON.

D'Ecully-les LYON, le 25 juillet 1781.

MONSIEUR,

Voifin depuis quelques mois de la ville de Lyon, & curieux d'en connoître toutes les beautés, j'allai voir fon théatre. On y donnoit Gabrielle de Vergi, & -Mlle. Sainval, fœur aînée de la charmante actrice, que poffede encore la capitale, y jouoit le rôle de Gabrielle, avec toute la vérité poffible. L'état de cette épouse. infortunée contraftant avec les fureurs de Fayel, que repréfentoit avec beaucoup d'ame M. Colot d'Herbois, ne tarda point à attendrir les fpectateurs. Que dis je? on n'étoit qu'au troifieme acte, & des larmes déja couloient de tous les yeux. Cependant l'intérêt croiffoit, & les fanglots n'étoient interrompus que pour applaudir aux talens. Enfin l'on arrive à cette scene d'horreurs, où l'on apporte dans un vafe le cœur fanglant de Raoul; Gabrielle s'en faifit, l'ouvre; & un cri de terreur part de tous les coins de la falle. Ici vous euffiez vu les femmes fuir

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