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Si l'on trouve qu'en général je me suis peu étendu sur les titres littéraires de Leblanc, mon excuse sera d'abord dans les bornes que cette séance m'impose : elle est aussi dans la nature même de ces éloges : les ouvrages. d'un poète doivent se recommander d'eux-mêmes; s'ils ont été imprimés, ils sont connus de tout le monde, ou ils ne le sont pas. On nomme les premiers, et c'est là leur plus bel éloge: en affectant de louer trop les auteurs, on ne pourroit pas leur créer une réputation.

D'ailleurs l'école centrale à laquelle Leblanc appartenoit a retenti deux fois de ses louanges je ne me flatterois pas de rien ajouter à ce qu'en ont dit avec noblesse et grace ses dignes collègues ; c'est même dans l'éloge de l'un d'eux, le citoyen Mahérault, éloge trèsétendu et vraiment intéressant, que j'ai puisé une partie de ce que l'on vient d'entendre.

Si je me permettois de le mettre encore à contribution, ce seroit, je l'avoue, pour m'arrêter avec plus de complaisance et fixer votre attention sur les détails de sa vie privée, de ses goûts, de son caractère, de ses qualités morales....; car c'est cela sur-tout qui étoit lui-même.

J'aimerois à montrer le vertueux Leblanc, tantôt entouré de cette jeunesse docile, respectueuse, reconnoissante, qu'il aimoit à former, et qui se pressoit autour de lui avec tant d'émulation, tantôt dans son cabinet, ou seul avec ses auteurs chéris, ou environné d'amis, d'amis distingués, tels que les Trudaine, les Dionis du Séjour, les Malesherbes..... Ces noms-là louent Leblanc plus éloquemment que je ne pourrois le faire.

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Je le montrerois sur-tout dans sa longue maladie (car nous avons peu joui de sa présence; et ce zèle paternel pour les enfans confiés à ses soins, zèle que les rigueurs d'un long hiver n'ont pu ralentir, a abrégé ses jours,' ses jours si pleins d'ailleurs de travaux et de bonnes actions); je le montrerois jouissant, jusqu'à son dernier soupir, de sa pensée, de son ame, des regrets et des` douceurs de l'amitié fidèle, des soins touchans et infatigables d'une épouse..... Ce nom m'avertit qu'il est temps que je m'arrête. Tout avide qu'est cette veuve inconsolable de ce qui peut nourrir sa douleur, je dois la respecter; qu'elle trouve au moins une sorte de consolation dans les longs souvenirs des élèves, des collègues, des amis de son époux, dans l'estime et les regrets des de lettres et des ames sensibles. gens

Il y aura peut-être des renommées plus brillantes, des noms plus entourés d'éclat et de gloire; mais on dira de Leblanc :

« C'étoit un écrivain laborieux, savant, énergique, » un professeur plein de zèle, de lumières et même de » bonhomie, un ami tendre et constant, un époux loyal et reconnoissant, et surtout un homme de

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COMPAGNON ON des travaux de Demoustier, et son ami, c'étoit à moi peut-être qu'il appartenoit le moins de vous entretenir de sa vie et de ses ouvrages. Mais après les jours de douleur profonde et muette, mais lorsqu'elle s'est soulagée par des pleurs, il vient un temps où l'on se sent en état de parler de l'ami que l'on a perdu, où c'est même une douceur que d'épancher ses regrets. Tel est le sentiment que l'on éprouve, en rendant compte de ses ouvrages : c'est encore Demoustier. Aussi, dans cette notice, je confondrai souvent l'homme et l'écrivain; car ses écrits sont tous puisés, ou dans cet esprit délicat qui le rendoit si aimable dans la société, ou dans ce cœur loyal et pur qui lui mérita tant d'amis, d'amis inconsolables.

Charles-Albert Demoustier naquit à Villers-Cotterets,

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en 1762. Il aimoit à rappeler que, par son père, il remontoit jusqu'à Racine, et jusqu'à La Fontaine par sa mère. Il est bien naturel de s'honorer de tels ancêtres ; et, sans abuser du droit que l'historien et sur-tout l'ami ont toujours cru avoir d'exagérer, si la grace du style et la délicatesse des sentimens, même en annonçant un air de famille, laissoient encore Demoustier bien loin de ces deux grands maîtres, il étoit digne au moins de descendre d'eux par la noblesse de l'ame et par la candeur.

Je ne suivrai point ses progrès dans le collége d'où je sortois quand il y entra, et où, sans annoncer dès lors ce qu'il a été depuis, dès lors doux, sincère, aimable, il se fit des amis qu'il a conservés jusqu'au dernier soupir. Lysieux!..... maison antique et chère, qui rappelle à ses élèves quelques peines et tant de plaisirs, où l'on montroit encore le donjon de Boileau, qui étoit pour nous le Parnasse; Lysieux, jadis Beauvais, école sévère, mais paternelle, consacrée par le souvenir toujours présent du vénérable Rollin, et de Coffin son digne successeur, et où les palmes plus récentes des Thomas, des Dupuis, des Delille, nous réveilloient en sursaut, comme les trophées de Miltiade! Peu de colléges ont produit autant de sujets célèbres; et pour n'en citer que trois, rivaux dans les classes comme sur le théâtre, si l'on peut, d'après leurs ouvrages et leurs succès, deviner quelles furent, dans leur première jeunesse, les études favorites de ces trois poètes aimables, il est trèsprobable que, dans le même temps et dans la même

enceinte, Legouvé se pénétroit des beautés d'Euripide, Picard lisoit et relisoit Plaute, et que Demoustier se formoit à l'école d'Ovide.

Aussi, jeune encore, il débuta par son plus brillant ouvrage, et qui seul auroit fait la réputation d'un écrivain distingué, les Lettres à Émilie sur la mythologie. Je ne répéterai point ce qui a été dit : l'éloge de ce livre est dans le grand nombre des éditions qui en ont paru, et dans la rapidité avec laquelle elles ont été épuisées. Il étoit impossible d'y semer plus de traits fins, de transitions ingénieuses, de saillies gracieuses ou piquantes. Il n'y avoit qu'un reproche à faire à l'auteur, et on ne le lui a pas épargné; c'étoit d'avoir été trop prodigue de tous ces agrémens: mais il falloit lui rendre cette justice, que ce style spirituel et fleuri étoit peutêtre de l'essence du sujet, que la mythologie, qui prête peu au sentiment, éveille l'imagination, appelle les graces, commande la galanterie, et qu'enfin Émilie étoit toujours là.

Je m'arrête ici un moment pour laisser parler à ma place l'auteur d'une touchante Élégie aux manes de Demoustier, le chantre d'Abel et du Mérite des femmes, notre collègue Legouvé : il me pardonnera de répéter ses vers; pourquoi les fait-il si aisés à retenir? C'est à propos des Lettres sur la mythologie, dont il a parlé en poète, que Legouvé ajoute :

Et sous quel jour piquant il offre encor ses fables!

Il fuit des érudits la grave pesanteur,

Pour la légèreté de nos savans aimables :

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