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daient la sortie des blés et autres denrées de leur ressort. Ils abusèrent souvent de leur pouvoir (1).

Puis, lorsque des gouverneurs furent envoyés dans les provinces, il s'éleva de nombreux conflits entre eux et les baillis et les sénéchaux, qui prétendaient aussi avoir dans leurs attributions le droit d'accorder ou de refuser les permissions d'exporter.

Selon Delamare, ce serait François Ier qui se serait pour la première fois réservé exclusivement ce droit.

A son retour des guerres d'Italie, et dans la prévision de nouvelles luttes, François Ier aurait jugé nécessaire de ménager les approvisionnements dans ses Etats, et surtout dans les places de la Normandie, qui se trouvaient plus exposées aux excursions des ennemis. C'est pour ce motif qu'il aurait retiré les pouvoirs accordés aux baillis et aux autres officiers des provinces (2).

les

Le droit exclusif d'accorder des permissions de traites foraines était, selon nous, réservé par la royauté longtemps avant le règne de François Ier, comme on a pu le voir par ordonnances que nous avons citées; et si François Ier insista peut-être avec plus de fermeté que ses prédécesseurs pour résister aux prétentions des baillis et sénéchaux (3), ces officiers ne continuèrent pas moins, dans les règnes suivants, à enfreindre les défenses qui leur étaient faites.

Delamare pense aussi qu'il n'est fait aucune mention, sous les rois de la troisième race jusqu'à Charles V (1364), du droit

(1) Parmi les dispositions du règlement que fit saint Louis au retour de son voyage dans la Terre sainte, il en est une qui prescrit aux baillis et sénéchaux de ne prohiber l'exportation du blé et d'autres marchandises que dans le cas d'une nécessité bien reconnue. Une exception est faite à l'égard des ennemis de l'Etat, auxquels il est défendu de faire passer des vivres sans la permission du roi, durant le cours des hostilités. Cette défense n'est point étendue au temps des trèves. (Ord. de 1254, tit. 27 et 28; Fontanon, t. 1, liv. 2, tit. 1, p. 180; — Delamare, vol. 2, liv. 5, tit. 13, ch. 2, p. 268.)

(2) Vol. 2, liv. 5, tit. 13, ch. 2, p. 269.

(3) Voy. ord. de novembre 1539.

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de traites foraines, qui était en usage dès les premiers temps de la monarchie sous le nom de tributum transituræ (1). Charles V lui-même, en rétablissant le droit de traites foraines sur les marchandises exportées, en même temps qu'un droit d'aides sur les denrées consommées dans le royaume, pour subvenir aux besoins du trésor épuisé par suite des guerres étrangères et des autres évènements du règne de son père, en avait excepté, dit Delamare, les blés, les vins, le sel, et ce ne serait que Charles VIII qui aurait imposé ce droit sur toutes les denrées, et par conséquent sur les grains, par l'ordonnance du 18 décembre 1488 (2).

Les grains furent, en effet, retranchés de la taxe par l'ordonnance de Charles V du 14 juillet 1376 (3), portant règlement de l'imposition foraine sur les denrées et produits nationaux qui s'exportaient des pays d'aides à l'étranger ou dans les provinces qui n'étaient pas soumises aux aides.

Les séditions et les troubles civils qui tourmentèrent la France dans les années qui suivirent le règne de Charles V purent bien être aussi un obstacle au rétablissement du droit de traite foraine sur les grains.

Mais ce droit fut perçu à une époque antérieure au règne de Charles VIII. C'est ainsi qu'après l'ordonnance de Charlesle-Bel du 11 mai 1322, qui prohibait la sortie des grains sous

(1) « L'imposition foraine est un tribut que le roi prend de toutes les denrées et marchandises prises par manière d'achapt, ou chargées au royaume pour porter hors d'iceluy, soit pour les marchants étrangers ou régnicoles entrant ou sortant du royaume, et de toutes sortes de marchandises comme le bled, etc....., et pour ce, il n'y a de différence de ce tribut et imposition foraine aux autres aides qui se lèvent en France, sinon que l'un procède et se lève des choses qui de la France se transportent ailleurs, et les autres de la vente des choses faictes dans le royaume. » (Archives de l'Histoire de France, t. 9, 1re série, p. 364.)

(2) Delamare, loc. cit., p. 271. L'ordonnance du 18 décembre 1488 fixa le droit de traite foraine à six deniers par livre du prix des denrées qui se tiraient du diocèse de Paris, et à un sou par livre de celles qui se prenaient ailleurs. Ce tarif nécessitait des évaluations qui donnaient lieu à de nombreuses difficultés.

(3) Eontanon, liv. 2, tit. 3, p. 447.

les peines les plus sévères, ce prince, sur les instances des marchands étrangers, excepta de la prohibition plusieurs espèces de marchandises et denrées, et notamment les grains, sous la condition du paiement de certains droits à la sortie du royaume (1).

La prohibition d'exportation, si souvent renouvelée, était peut-être dictée par les exigences de l'état politique et social du moyen âge. Il ne faut pas trop se hâter de condamner. comme des erreurs les institutions anciennes, surtout lorsqu'elles ont été adoptées par plusieurs nations à une certaine période de leur existence (2). Il en est plusieurs qui peuvent bien être considérées comme défectueuses quand elles sont adaptées à un état de civilisation différent ou plus avancé ; mais elles ont pu, en leur temps, satisfaire à un véritable besoin.

Si on se rappelle quelles étaient la distribution et l'administration du pays au moyen âge, on comprendra que la défense d'exportation ait été décrétée non pas à titre de représailles, ainsi que l'a écrit un savant plubliciste (3), mais comme une conséquence nécessaire de la situation économique de cette époque.

Les plus grandes quantités de grains produites par plusieurs années d'abondance se trouvaient entre les mains d'un petit nombre de détenteurs. Cette concentration des produits en devait faciliter la sortie. Les riches propriétaires du moyen âge, malgré leurs habitudes guerrières, malgré la simplicité de leurs mœurs, étaient assez accessibles aux

(1) Lettres du 13 décembre 1324 : « Ces lettres sont l'avis des choses sur quoi imposition se pourrait faire, et de combien et de comment qui seront transportez hors du royaume. TARIF: ..... 2o froument, poës et fèves pour chascun sextier, douze deniers, et est à entendre que tout ce est au sextier de Paris, et à ce sextier tout sera évalué; — 3o avoine et tout autre grain, chascun sextier, six deniers. » (Saulnier, Rech. hist. sur le Droit de Douane, p. 42.)

(2) La prohibition d'exportation a été permanente en Angleterre jusqu'en 1436.

(3) M. Blanqui, Hist. de l'Econ. polit., t. 1er, p. 213.

séductions du luxe, et assez souvent entraînés à conclure des marchés avec les commerçants étrangers qui leur offraient en échange des objets destinés à satisfaire leurs caprices ou leur orgueil.

Enfin, le commerçant régnicole devait préférer l'exportation au commerce intérieur, qui, nous l'avons vu, était entravé par de trop nombreuses prohibitions. Sur la mer le marchand avait au moins quelque liberté.

SECTION II.

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De l'exportation des céréales pendant le XVIe siècle et le XVIIe, jusqu'au ministère de Colbert.

Dans l'intervalle qui sépare le règne de François Ier de celui de Louis XIV, la législation sur le commerce extérieur se compose d'une série d'ordonnances permettant l'exportation, lorsque l'abondance existait dans le royaume, puis la défendant sous les peines les plus graves, dès que la France était menacée de la disette.

Ainsi, François Ier, par son ordonnance du 20 février 1534, levait les défenses de traites foraines portées par les ordonnances des 23 février et 12 mars 1515, et permettait l'exportation en franchise de tous droits. Mais, dès le 20 novembre 1538, cette permission générale était révoquée; des droits considérables à la sortie étaient établis (1); des contrôleurs des traites étaient nommés le 8 mars suivant.

Sous Henri II, l'exportation était de nouveau permise. Les lettres patentes du 29 août 1558, qui accordaient cette permission, étaient motivées, comme presque toutes les permissions générales de traites foraines accordées auparavant, sur l'abondance qui régnait dans le royaume au moment de la publication.

On se hâtait de faire écouler les réserves, sauf à renouveler les prohibitions lorsque la cherté reparaissait.

(1) Un écu sol par tonneau, c'est-à-dire par six setiers pesant 1,300 livres.

Le législateur n'avait aucune pensée de prévoyance.

Une réforme assez importante eut cependant lieu sous le règne de François II.

Il fut établi à Paris un bureau de huit commissaires révocables, chargé d'accorder des permissions pour la sortie des grains à l'étranger, jusqu'à concurrence de la quantité fixée par lettres royales au commencement de chaque année (1). « Nous avons, porte l'édit, proposé et délibéré de donner et octroyer tous les ans, traite de bleds et de vins, selon la quantité qui se trouvera que dans les provinces de nostre royaume pourront porter, sans incommoder nostre dit peuple, et afin que par le moyen et sous prétexte des dites traites, il ne soit plus fait les abus qui, par le passé et jusques ici, se sont faits grandement préjudiciables, non-seulement à nos droits, mais à nostre dit peuple et sujets, lesquels quelquesfois, pour avoir esté tiré trop grande quantité desdits bleds, s'en sont trouvez, avant que de venir à la nouvelle récolte, en grande nécessité, et d'autres fois pour avoir tenu trop serrées les dites traites, leurs bleds et vins sont demeurez sur les bras, comme inutiles, sans en faire leur leur profit.»

Le droit exigé pour l'expédition de chacune des lettres de traite, congé et permission fut fixé à un écu, quelle que fût la quantité de grains portée dans ces lettres.

Cet édit soumettait à plus de régularité la délivrance des permissions d'exportation, et remédiait aux abus résultant du grand nombre de personnes (2) qui, auparavant, accordaient ces permissions.

Il annonçait, en outre, l'intention de prendre en considération l'état d'abondance dans lequel se trouveraient les provinces pour permettre ou prohiber l'exportation. Toutefois, les commissaires ne pouvaient pas obtenir facilement des

(1) Edit du 20 décembre 1559.

(2) Telles que les lieutenants généraux, gouverneurs, amiraux, viceamiraux.

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