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SECTION II.

Législation du XVIe siècle, du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe.

Pendant la période que nous allons parcourir sous cette section, le principe de la libre circulation des grains à l'inté– rieur s'affermit de plus en plus, malgré de nombreuses résistances.

François Ier édicta les dispositions les plus favorables à ce principe, en dispensant les particuliers et en leur défendant mème, sous des peines assez graves, de prendre des congés ou permissions des gouverneurs, baillis ou sénéchaux, qui prétendaient toujours en accorder par faveur et moyennant finances. Les menaces que renferme l'ordonnance du 20 juin 1539 témoignent assez de la difficulté que le roi éprouvait pour faire cesser ces abus.

Presque tous les édits des règnes suivants décrétaient le même principe et renouvelaient aux officiers et gouverneurs la défense de troubler la libre circulation des grains (1).

Néanmoins, après avoir proclamé cette règle salutaire, Henri III y portait la plus grave atteinte, en imposant, sous le nom de traite domaniale, un droit à percevoir, concurremment avec celui de foraine, rêve et haut passage, sur les grains... transportés hors du royaume et dans les provinces non sujettes aux aides, par terre (2).

Henri IV et Sully firent tous leurs efforts pour maintenir la libre communication entre les provinces. Henri IV s'éleva avec force contre la défense que le Parlement de Toulouse avait faite, sans sa permission, relativement à la sortie des blés du Languedoc.

Un juge de Saumur, qui avait fait une semblable défense,

(1) Voy. édits du 4 février 1567; 27 novembre 1577; - lettres patentes du 30 septembre 1631.

(2) Edit de février 1577. — Saulnier, Recherches historiques sur le Droit de Douane, p. 91.

fut menacé de punition exemplaire: «Si chaque officier en faisait autant, disait Sully dans une lettre à Henri IV, votre peuple serait bientôt sans argent, et, par conséquent, Votre Majesté » (1).

Toutefois, en 1614, sous le règne de Louis XIII, le transport des grains dans plusieurs contrées était encore soumis à des droits exorbitants. Les cahiers du tiers-état portaient : << Bien que les droits de la traite foraine ne doivent être levés que sur les marchandises qui sortent du royaume pour être portées à l'étranger, ce qui est clairement établi par la signification du mot foraine, néanmoins, ces dits droits sont levés sur ce qui va de certaines provinces de votre royaume à autres de icelui, tout ainsi que si c'était en pays étrangers.........................

Encore que ce droit domanial ne se doive prendre par les dits établissements d'icelle que sur les bleds......... qui seront transportés de votre royaume à l'étranger, vos fermiers des dits droits, sous prétexte que leurs commis et bureaux ne sont établis en aucunes provinces et villes, ou qu'elles sont exemptes du dit droit, font payer pour marchandises qui y sont transportées comme si directement elles étaient portées à l'étranger; pour à quoi remédier, que deffenses soient faites d'exiger les dits droits sur ces bleds..... qui seront actuellement transportés dans votre royaume, pour la provision d'aucunes provinces, sous quelque prétexte que ce soit, à peine de concussion » (2). Ces vœux furent inutiles.

Cependant une réforme fut plus tard opérée par le célèbre tarif des cing grosses fermes, du 18 septembre 1664, qui avait pour but de faire disparaître les barrières qui séparaient les provinces, et de faire cesser la bigarrure des innombrables droits qui se percevaient sur les denrées et marchandises.

Les douze provinces qui acceptèrent le tarif n'étaient assujetties à aucun droit de sortie pour les transports de grains

(1) Forbonnais, Recherches sur les Finances, t. 1er, p. 68.

(2) Forbonnais, loc. cit., p. 144.

qu'elles effectuaient entre elles (1). Mais les provinces étrangères, c'est-à-dire celles qui n'avaient pas voulu adhérer au nouveau système de douanes, ou les provinces traitées comme pays étrangers à raison de la franchise de leur port, furent toujours soumises à des droits

Enfin, le transport des grains entre provinces était encore grevé d'une foule d'autres droits perçus par les villes, les communautés, les pays d'Etat, les seigneurs et les particuliers. C'est seulement dans les années de disette ou de cherté extraordinaire que les arrêts du Conseil en suspendaient la perception (2).

Pendant la première moitié du XVIe siècle environ, la législation sur le commerce intérieur des céréales resta ce qu'elle était auparavant (3).

Quelques ordonnances de François Ier reposent cependant sur le principe de la liberté ; c'est ainsi que l'ordonnance du 3 février 1535 permettait la vente et l'achat hors des marchés, en invoquant le motif suivant, qui mérite d'être remarqué: « Désirans par ce les (les sujets) relever de la perte, dépens et labeur qu'ils ont de porter et rapporter leurs bleds ès dits marchez. >> Les économistes modernes ne raisonnent ni mieux ni autrement (4).

(1) Voy. arrêt du 20 novembre 1703. (Delamare, t. 2, p. 292.)

(2) Voy. arrêts 22 septembre, 12 et 22 décembre 1693; 2 janvier, 23 mars, 29 juin 1694.

(3) Des lettres patentes de François Ier, du 28 octobre 1531, défendirent de vendre ou d'acheter ailleurs que dans les marchés, et obligèrent les marchands et les personnes qui faisaient des approvisionnements, à n'acheter qu'après les autres. Sous le règne du même roi, une ordonnance de police du Châtelet, du 23 novembre 1546, défendait aux pâtissiers, meuniers et boulangers de la ville et des faubourgs de Paris d'aller à la rencontre des voitures qui amenaient des grains dans cette ville, fixait l'heure à laquelle il leur était permis d'entrer au marché, et interdisait le commerce des regrattiers.

(4) « Considérez, dit Schmalz, la position d'un paysan qui, pour pouvoir vendre les productions de sa ferme ou de son champ, se voit dans la nécessité de les charrier lui-même à la ville, ou de les y faire transporter sur des hottes par les différents membres de sa famille. Il ne peut pas même choisir le jour qui lui conviendrait le mieux; il faut qu'il attende

Cependant cette disposition semblait frapper d'étonnement le savant Delamare : « Cette ordonnance, dit-il, qui est contraire aux anciens règlements, est unique; il ne s'en trouve point de semblables dans nos livres ni dans nos registres publics »> (1).

Si on rapproche cette ordonnance de celle qui permit la libre exportation et que nous rapporterons plus loin, si on se rappelle aussi avec quelle énergie François Ier chercha à faire triompher le principe de la libre circulation, on est tenté de penser que le principe de la liberté commerciale aurait fait plus de progrès sous ce règne assez fécond en améliorations et en conquêtes administratives, si la rigueur des saisons, le manque de récoltes pendant plusieurs années, le besoin de nourrir de grosses armées, et la cherté des vivres, qui en était la conséquence, n'avaient pas conduit François Ier à sacrifier aux anciens préjugés et à considérer les prohibitions comme le remède le plus efficace. Ses largesses ou ses 'prodigalités l'obligèrent aussi, on le sait, à plus d'une mesure fiscale.

La disette de 1567 avait éveillé l'attention du gouvernement. Le conseil de Charles IX, placé sous l'influence du chancelier de l'Hôpital, se livra alors à l'examen de toutes les lois précédemment rendues sur le commerce intérieur et extérieur des céréales, et inséra dans le célèbre règlement du 4 février 1567 de nombreuses dispositions sur cette matière.

celui du marché. Dès la veille il se prépare pour sa course, car il doit arriver de fort bonne heure au marché; il met en ordre ses denrées, et part de son village en chariot ou à pied. Il voyage toute la nuit, arrive de grand matin à la ville, y reste jusqu'au milieu du jour, et même plus tard pour effectuer sa vente, repart, et rentre chez lui le soir excédé de fatigue. Voilà deux jours entiers de perdus pour l'économie rurale, qui ne permettrait pas un seul moment de relâche, et qui réclame à tout instant l'exécution d'un travail utile. » (Economie polit., trad. par Henri Jouffroy, t. 2, p. 73.) Ne dirait-on pas que ce passage du traité de Schmalz est la paraphrase du préambule de l'ordonnance de 1535?

Toutefois, cette ordonnance fut abrogée par celle du 6 novembre 1544, qui renouvela la défense de vendre ailleurs qu'au marché, et défendit à toute personne d'acheter avant que le menu peuple fût pourvu.

(1) T. 2, liv. 5, tit. 14, ch. 18, p. 420.

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Les troubles qui survinrent ensuite ne permirent pas que ce règlement reçût toute son exécution.

Il fut renouvelé le 27 novembre 1577, sous Henri III, avec quelques légères modifications relatives à l'exportation, dont nous n'avons pas à parler sous cette section.

Selon ces règlements, ceux qui voulaient faire le commerce des grains étaient tenus d'en obtenir la permission des officiers du roi, de prêter devant eux le serment de bien et fidèlement se conduire et de garder les ordonnances; de faire enregistrer aux greffes leurs noms, prénoms, demeure, et la permission qu'ils avaient obtenue, sous menace de punition extraordinaire, de confiscation des denrées et de 200 livres parisis d'amende.

Les laboureurs, les personnes nobles, les officiers du roi, les principaux officiers des villes ne pouvaient obtenir de permission.

Ceux auxquels des licences étaient accordées étaient soumis à l'obligation de conduire des grains aux marchés publics de la ville de leur résidence une fois par mois au moins, et d'en avoir toujours dans cette ville une quantité suffisante pour l'accomplissement de cette obligation.

Ils devaient aussi faire la déclaration des lieux où ils s'approvisionnaient, sous peine de voir retirer leur licence et de 100 livres d'amende.

Défense leur était faite d'acheter des grains dans la circonscription de deux lieues de leur résidence, et de huit lieues s'ils habitaient Paris; d'aller à la rencontre des voitures qui conduisaient des blés dans les villes, sous peine de confiscation et d'amende; d'acheter des grains en vert ou de les arrher avant la cueillette, sous peine d'amende et même de punition corporelle.

Les marchands forains étaient tenus de conduire et de vendre eux-mêmes, ou par personnes de leur famille, leur marchandise, dans les halles et marchés. Il leur était défendu de la mettre en grenier sans la permission expresse des officiers de police.

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