Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VI

Mesures d'administration générale prises soit avant, soit pendant les temps de disette ou de cherté.

Si nous voulions faire connaître tous les procédés, tous les moyens, tous les remèdes qui ont été imaginés par divers écrivains ou mis en pratique par plusieurs gouvernements étrangers pour atténuer les effets de la disette ou de la cherté, il faudrait ajouter à ce volume un autre volume sans doute plus considérable.

Heureusement, notre tâche est plus restreinte, car nous ne devons nous occuper que des mesures qui ont été prises en France, à diverses époques, par les gouvernements.

Nous en avons déjà mentionné quelques-unes dans l'exposé de la législation qui a fait l'objet des chapitres précédents. Nous n'y reviendrons pas.

Celles dont il nous reste à parler sont de deux sortes les unes ont été prises avant la disette ou la cherté; les autres pendant l'existence de la crise. Nous en parlerons dans les deux sections suivantes.

[merged small][ocr errors][merged small]

Les principales mesures prises par les gouvernements, pendant les années ordinaires, dans le but de pallier les effets de la disette ou de la cherté, sont le dépôt de réserves administratives dans des greniers publics, et les réserves imposées aux boulangers.

[merged small][ocr errors]

La création de greniers publics ou d'abondance renfermant des grains achetés avec des deniers publics, et conservés par

les soins des agents de l'administration, a été quelquefois tentée en France; mais elle n'a jamais eu de bien grands résultats.

Le règlement du 4 février 1567 portait : « Permet et néanmoins enjoint ledit seigneur aux officiers et magistrats des corps communs des bonnes villes, mêmement de la ville de Paris, de faire pourvoyance et réserve en greniers publics de telle quantité de grains qu'elle puisse servir de prompt secours en cas de nécessité, et suffire pour fournir les habitants desdites villes l'espace de trois mois pour le moins, et pour cet effet leur permet ledit seigneur prendre deniers à intérêt et y obliger tous leurs biens et revenus. >>

On sait que les troubles qui survinrent après ce règlement en empêchèrent l'exécution.

Cette disposition fut renouvelée dans le règlement du 27 novembre 1577; mais nous ne sachions pas qu'elle ait été mieux exécutée.

Ces réserves n'avaient déjà plus à cette époque l'utilité qu'elles pouvaient offrir au moyen âge, où le défaut de sécurité devait nécessairement obliger chaque ville à avoir ses magasins publics pour subvenir à la nourriture des habitants dans le cas de siège.

Après l'abondance des années 1686 et 1687, on pensa aussi à établir des greniers publics dans chaque province. On créa même 500,000 livres de rente, dont le capital était destiné à cette entreprise. Mais ce projet fut abandonné, et les fonds furent appliqués aux frais nécessités par les préparatifs de la guerre (1).

Forbonnais, qui nous fournit ce détail, s'exprimait ainsi sur ce projet : « Ces dépôts sont très coûteux au prince, soit pour l'établissement, soit pour l'entretien ; la moindre négligence emporte avec elle de grandes pertes, et si le trésor public n'est pas assez riche pour les supporter, l'expédient ordinaire est de les faire supporter au peuple. On ne peut y

(1) Forbonnais, Rech. sur les Fin., t. 2, p. 39 et suiv.

réussir sans monopole, ce qui détruit l'agriculture; et dans un pays où l'esprit du fise avait prévalu depuis tant de siècles, les hommes un peu prévoyants n'osaient se promettre qu'un jour il ne s'étendît sur cet objet délicat.

« On peut encore, ajoutait Forbonnais, y trouver un inconvénient plus considérable, c'est l'inutilité. Pourquoi faire entrer le monarque dans des dépenses que ses sujets sont prêts à faire, s'ils en ont la permission; dépenses que leur concurrence, si elle est animée et connue tout à la fois, poussera plus loin et avec plus de bénéfice, soit pour l'agriculture, soit pour le consommateur » (1).

Il est vrai qu'à l'époque dont parle Forbonnais on pouvait penser que le gouvernement, par les magasins publics qu'il voulait établir, n'aurait pas cherché à bénéficier sur les grains; on peut penser aussi qu'il aurait ouvert les greniers d'abondance lorsque les besoins de la nation l'auraient exigé, tandis que les accapareurs qui existaient, par suite du défaut de concurrence, conservaient longtemps l'espoir de vendre au-dessus du prix courant, et n'ouvraient souvent leurs greniers que lorsque les besoins étaient moins impérieux.

Mais sous l'empire d'une législation qui oppose la puissance de la libre concurrence aux accaparements, le moindre défaut des greniers publics c'est évidemment d'être une șuperfétation.

Plus tard, la Convention, par un décret du 9 août 1793, ordonna aussi l'établissement de greniers d'abondance dans chaque district.

La trésorerie nationale devait tenir 100 millions à la disposition du Conseil exécutif, sous la surveillance immédiate des Comités de salut public et des finances, pour l'achat des grains.

Cette somme devait être prise dans la caisse à trois clefs, sur la réserve de 498,200,000 livres décrétée le 6 juin 1793. Les citoyens étaient invités à acquitter en nature, dans les

(1) Loc. cit., p. 39.

greniers d'abondance, les contributions publiques arriérées ou courantes, en totalité ou en partie.

Mais ce décret resta, comme les autres règlements dont nous avons parlé, sans exécution.

D'ailleurs, le système des greniers publics n'est vraiment pas praticable dans un grand Etat et lorsqu'il s'agit d'une population aussi nombreuse que celle de la France.

« En évaluant, dit J.-B. Say, au tiers le déficit d'une mauvaise récolte, il ne s'élèverait pas en France à moins de 20 millions d'hectolitres, dont la valeur moyenne est de 18 francs; ce qui fait 360 millions pour la valeur des blés qu'il faudrait toujours avoir en magasin, sans compter la valeur des édifices, des manipulations et des ustensiles nécessaires pour loger et soigner cette immense provision » (1).

Non-seulement les frais d'entretien de semblables réserves seraient considérables, mais à combien de chances de détérioration et de pertes ne seraient-elles pas exposées !

Nous avons passé sous silence la déclaration de 16 avril 1737, qui prescrivit l'établissement, en la maison de Salpétrière, d'un grenier contenant au moins dix mille muids de blé. Cette déclaration était applicable à la ville de Paris seulement.

D'autres dépôts de cette nature furent aussi mis en pratique pour la ville de Paris, sous le Consulat et sous l'Empire. Ainsi, depuis 1803, il fut formé, par les soins du ministère de l'intérieur et de l'administration de Paris, un approvisionnement assez considérable, qui fut encore augmenté en 1805.

Nous avons vu ailleurs comment et dans quelles circonstances cette réserve fut, en 1811, mise à la disposition de l'administration des vivres.

On ne refit point cet approvisionnement en 1812, 1813, 1814, 1815, ni pendant la disette des premières années de la Restauration.

Voy. aussi

(1) Cours d'Econ. polit., t. 2, p. 182, 2e édit. Guillaumin. ce que dit le marquis de Mirabeau dans ses Lettres sur le Commerce des Grains, p. 275 et suiv.

On le renouvela ensuite, et on le maintint jusqu'en 1830, époque à laquelle on renonça à cette mesure, en présence des critiques nombreuses dont elle avait été l'objet et des inconvénients assez graves qui avaient été signalés.

[merged small][ocr errors][merged small]

Dans son traité de la Législation et du Commerce des Grains, Necker conseillait, comme mesure importante, un approvisionnement de blé par l'entremise des boulangers dans les villes et dans les gros bourgs, mais seulement pendant une partie de l'année. Cette réserve devait être équivalente au débit des boulangers pendant un mois, sauf à augmenter encore, disait-il, cette quantité dans la suite, après les conseils de l'expérience.

Mais Necker ne croyait cet approvisionnement nécessaire que du 1er février jusqu'au 1er juin dans les climats de la France où la moisson se fait dans le mois de juillet, et, proportion gardée, dans les provinces du Midi.

Il pensait qu'au 1er juin les boulangers devaient avoir la libre disposition de cette réserve, vu qu'alors, disait Necker, la vente graduelle de cette même provision et ensuite l'abondance des nouveaux blés suffiraient parfaitement pour préserver de toute inquiétude. Il ajoutait : « Il me paraît raisonnable d'éviter tout amas constant de blés qui n'est pas nécessaire, puisque c'est un capital rendu inutile et un moyen même de renchérir la denrée » (1).

Les deux époques de février et de juin fixées par Necker avaient pour but d'inviter les boulangers à former leur provision dans l'intervalle, c'est-à-dire pendant les mois où les grains sont à meilleur marché.

Cette idée de Necker n'a pas été suivie par les gouvernements qui se sont succédé en France, ou du moins elle n'a

(1) 4e partie, ch. 4, p. 334 et suiv., édit. Guillaumin.

« PreviousContinue »