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On détermine les heures auxquelles certaines catégories de personnes peuvent acheter (1): autre disposition que notre jurisprudence a conservée;

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Enfin on défend, sous peine de confiscation, de conserver les grains en grenier ou en magasin (2).

Telles sont, en résumé, avec les ordonnances de maximum, les prohibitions d'exportation, celles qui sont relatives aux brasseries, et dont nous parlerons ailleurs, les principales lois du moyen âge qui nous ont été transmises (3).

Toutes ces dispositions ne produisaient-elles pas évidemment un résultat contraire à celui que les législateurs se proposaient? Est-ce que toutes ces lois n'étaient pas autant de gênes imposées aux transactions, autant d'obstacles à la mise en présence de l'offre et de la demande, à l'essor de tout commerce?

Il y avait deux autres institutions qui gênaient singulièrement aussi les relations commerciales: nous voulons parler de l'institution des jurés-mesureurs et des porteurs.

Les offices de jurés-mesureurs et les droits qui y étaient attachés appartenaient primitivement aux rois, et ils les conservèrent dans la plupart de leurs domaines. Dans plusieurs autres lieux, ces offices et ces droits étaient la propriété des seigneurs ou des villes, d'après les concessions ou aliénations qui en avaient été faites à différentes époques (4).

(1) L'ordonnance du prévôt de Paris du 10 juin 1391 porte : « Que nuls marchands en détail ou revendeurs ne soient tant osez ni si hardys d'acheter en plein marché ou en greniers aucuns grains ou farines.... et jusqu'à ce que les bonnes gens qui seront au marché, qui en auront affaire pour leur vivre ou nécessité en auront pris et acheté ce qui leur en faudra, et jusqu'à ce que heure de midy soit passée. »

L'ordonnance de 1415 fixe l'heure à laquelle il sera permis aux revendeurs, hôteliers, boulangers et meuniers d'acheter dans les marchés (ch. 1, art. 18).

(2) Voy. ord. de février 1415 précitée.

(3) L'ordonnance du prévôt de Paris du 10 juin 1391 résume à peu près toutes les règles ci-dessus. On la trouvera à l'Appendice, lettre (a).

(4) Voy. ord. de saint Louis de 1258; ord. du 30 janvier 1350, chap. des jurés-mesureurs, art. 1 à 10, 13 et 14; ord. de février 1415. (Delamare, liv. 5, tit. 8, ch. 5, t. 2, p. 3 et suiv.)

Les droits perçus par ces mesureurs, sous les noms de mesurage, minage, roulage, se payaient soit en argent, soit en nature, selon les localités.

Il existait pour ces droits de très grandes inégalités entre les diverses provinces. Ainsi, tandis que dans certaines contrées le minage d'un muid, payé en argent, ne coûtait que 12 ou 15 sous pendant les années de cherté, il s'élevait jusqu'à 18 et 20 livres dans d'autres, où il se percevait en nature (1).

Cette inégalité faisait déserter les marchés dans lesquels ces droits exorbitants (2) étaient imposés; et, d'ailleurs, ils contribuaient évidemment à augmenter le prix des denrées.

Les porteurs de grains avaient le monopole du déchargement et du transport des grains des bateaux ou des voitures sur les ports, dans les marchés ou dans les greniers publics (3).

Outre les frais qui en résultaient, ce monopole engendrait des abus nombreux et des exactions commises soit par les titulaires, soit surtout par les personnes qu'ils se substituaient sous le nom de plumets (4).

Enfin, l'institution des moulins banaux et le droit de défendre la chasse ou la queste des blés (5), qui a pris naissance en même temps (6), étaient une autre cause de cherté, une

(1) Delamare, liv. 5, tit. 8, ch. 6, p. 121.

(2) Dans la ville de Provins le droit de minage était de cinq pintes pour un setier, c'est-à-dire environ la trente-deuxième partie de la marchandise vendue. (Delamare, loc. cit., p. 124.)

(3) Lettres patentes du 20 juillet 1410; ord. de février 1415.

(4) Delamare, loc. cit., p. 132.

(5) On entendait par là le droit que les seigneurs avaient de défendre aux meuniers de venir chercher, sur les terres ayant droit de banalité, les grains que les habitants désiraient faire moudre. Voy. sur ce droit Cout. Montdidier, Péronne et Roye, art. 14 et 16; Maizières, art. 5 et 6; Chopin, in Consuet. andegav., lib. 1, cap. 14, no 2, et cap. 15, no 5.

(6) L'origine de la banalité, selon les auteurs qui ont écrit sur le droit coutumier, daterait de la fin du Xe siècle ou du commencement du XIe. - Voy. Charondas sur l'art. 72 Cout. de Paris,

entrave de plus à la circulation, et une source d'abus, de désordres et de prévarications.

Il ne faudrait cependant pas attribuer à la législation seule du moyen âge sur les subsistances tous les désastres que l'histoire mentionne : les guerres intestines et extérieures, l'envahissement du pays par l'étranger, la dévastation des campagnes, les brigandages, tous ces fléaux qui se succédaient quelquefois sans interruption pendant un siècle, paralysaient la production et arrêtaient le jeu naturel des ressorts du commerce.

En outre, l'altération et la variation des monnaies, les excès de l'usure, contribuaient nécessairement à maintenir la cherté relative des subsistances. L'annonce d'une réduction future de valeur numéraire faisait resserrer les denrées de première nécessité; c'est ainsi qu'après le mandement du 22 août 1343, le préambule de l'ordonnance du 26 octobre suivant portait : « Depuis ce, par la grand clameur de nostre pueple, soit venu à notre cognoissance que pluseurs gros marcheanz et autres qui sont garniz de blez et vivres et d'autres marchandises, recellent leurs diz blez et vivres, et ne les veulent exposer à vendre au fuer de la monnoye courant à présent, en attendant que nos dites monnoyes fussent venues à leur droit cours et abaissiées. »

Les prix des subsistances augmentaient bientôt dans la proportion de l'affaiblissement des espèces monnayées; les gouvernants eux-mêmes le reconnaissaient : « Sommes plainement enformez, porte l'ordonnance du 25 novembre 1356, que toutes manières de vivres... sont si chères que bonnement ne peult souffire que les gens ayent à faire leur labourage et querre leur nécessitez. » Cette augmentation résultait de la force même des choses.

Malgré l'exactitude de ces observations, il n'en est pas moins vrai que la législation du moyen âge sur les grains, par ses mesures coercitives, ses prohibitions rigoureuses, ses peines excessives, produisait elle-même la plus grande partie des maux que les législateurs voulaient prévenir.

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Législation du XVIe siècle, du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe.

Pendant la période que nous allons parcourir sous cette section, le principe de la libre circulation des grains à l'intérieur s'affermit de plus en plus, malgré de nombreuses résistances.

François Ier édicta les dispositions les plus favorables à ce principe, en dispensant les particuliers et en leur défendant même, sous des peines assez graves, de prendre des congés ou permissions des gouverneurs, baillis ou sénéchaux, qui prétendaient toujours en accorder par faveur et moyennant finances. Les menaces que renferme l'ordonnance du 20 juin 1539 témoignent assez de la difficulté que le roi éprouvait pour faire cesser ces abus.

Presque tous les édits des règnes suivants décrétaient le même principe et renouvelaient aux officiers et gouverneurs la défense de troubler la libre circulation des grains (1).

Néanmoins, après avoir proclamé cette règle salutaire, Henri III y portait la plus grave atteinte, en imposant, sous le nom de traite domaniale, un droit à percevoir, concurremment avec celui de foraine, rêve et haut passage, sur les grains... transportés hors du royaume et dans les provinces non sujettes aux aides, par terre (2).

Henri IV et Sully firent tous leurs efforts pour maintenir la libre communication entre les provinces. Henri IV s'éleva avec force contre la défense que le Parlement de Toulouse avait faite, sans sa permission, relativement à la sortie des blés du Languedoc.

Un juge de Saumur, qui avait fait une semblable défense,

(1) Voy. édits du 4 février 1567; 27 novembre 1577; du 30 septembre 1631.

lettres patentes

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fut menacé de punition exemplaire: « Si chaque officier en faisait autant, disait Sully dans une lettre à Henri IV, votre peuple serait bientôt sans argent, et, par conséquent, Votre Majesté » (1).

Toutefois, en 1614, sous le règne de Louis XIII, le transport des grains dans plusieurs contrées était encore soumis à des droits exorbitants. Les cahiers du tiers-état portaient : << Bien que les droits de la traite foraine ne doivent être levés que sur les marchandises qui sortent du royaume pour être portées à l'étranger, ce qui est clairement établi par la signification du mot foraine, néanmoins, ces dits droits sont levés sur ce qui va de certaines provinces de votre royaume à autres de icelui, tout ainsi que si c'était en pays étrangers.....................

Encore que ce droit domanial ne se doive prendre par les dits établissements d'icelle que sur les bleds......... qui seront transportés de votre royaume à l'étranger, vos fermiers des dits droits, sous prétexte que leurs commis et bureaux ne sont établis en aucunes provinces et villes, ou qu'elles sont exemptes du dit droit, font payer pour marchandises qui y sont transportées comme si directement elles étaient portées à l'étranger; pour à quoi remédier, que deffenses soient faites d'exiger les dits droits sur ces bleds..... qui seront actuellement transportés dans votre royaume, pour la provision d'aucunes provinces, sous quelque prétexte que ce soit, à peine de concussion » (2). Ces vœux furent inutiles. Cependant une réforme fut plus tard opérée par le célèbre tarif des cinq grosses fermes, du 18 septembre 1664, qui avait pour but de faire disparaître les barrières qui séparaient les provinces, et de faire cesser la bigarrure des innombrables droits qui se percevaient sur les denrées et marchandises.

Les douze provinces qui acceptèrent le tarif n'étaient assujetties à aucun droit de sortie pour les transports de grains

(1) Forbonnais, Recherches sur les Finances, t. 1er, p. 68.

(2) Forbonnais, loc. cit., p. 144.

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