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CHAPITRE PREMIER

De la circulation et du commerce intérieur des céréales
avant la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Ce chapitre sera divisé en deux sections : dans la première, nous parlerons des lois du moyen âge; dans la seconde, de la législation qui a régi la circulation et le commerce intérieur des céréales pendant les XVIe et XVIIe siècles et la première partie du XVIII®.

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La législation du moyen âge doit être le point de départ de cette étude, car on rencontre dans cette législation l'origine de plusieurs institutions qui se sont perpétuées dans les siècles suivants, et sur l'utilité desquelles les opinions sont encore aujourd'hui partagées.

Nous n'avons pas cru devoir nous arrêter à l'époque antérieure à Charlemagne ni au règne de ce monarque, dont les lois ne renferment sur notre sujet que de rares dispositions qui trouveront leur place ailleurs, et dont quelques-unes sont empreintes des idées les plus superstitieuses (1).

Nous dirons seulement ici que sous Charlemagne la circulation était déjà entravée par plusieurs péages établis sur les grands chemins et à l'abord de certaines routes.

Nous mentionnerons aussi l'édit de 806, qui défendait l'achat des grains et des vins, au moment de la récolte, et dans le but de faire un gain que cet édit déclarait illégitime (2).

(1) Dans un de ses Capitulaires, Charlemagne attribue la cherté de 794 à des esprits malfaisants qui avaient dévoré les récoltes, annonas a dæmonibus devoratas; et il recommande, comme remède à ce mal, l'accomplissement du devoir de payer la dime. (Capit. Reg. franc., Baluze, I, 267.)

(2) Quicumque enim tempore messis, vel vindemiæ, non necessitate, sed

Lorsque la grande organisation de Charlemagne a disparu pour faire place à des associations turbulentes et faibles; lorsqu'on ne voit plus que des guerres, des dévastations produisant l'abandon des cultures, l'anéantissement du commerce, la famine, il faut parcourir plusieurs siècles avant de rencontrer sur notre matière quelque monument digne de fixer l'attention.

Depuis la fin du Xe siècle (987) jusqu'à la fin du règne de Louis-le-Gros, aucune relation commerciale ne pouvait, pour ainsi dire, avoir lieu entre les provinces, qui étaient sous une domination particulière, le plus souvent hostile à la royauté.

Au commencement de ce règne, c'était à peine si les quelques villes dont se composait au fond le domaine royal pouvaient correspondre entre elles les voyageurs et les messagers du roi eux-mêmes étaient plus d'une fois arrêtés ou rançonnés, lorsque, sur la route, se trouvait quelque château féodal.

D'un autre côté, les rapports commerciaux entre les provinces restées fidèles à la couronne étaient peu nombreux et fort restreints.

Cependant, à partir du règne de Philippe-Auguste (1180) la puissance territoriale de la royauté se développe, et le commerce de Paris, notamment, reprend quelque activité. L'agrandisement de cette ville est tel que les provinces voisines ne peuvent plus fournir tous les grains nécessaires à son approvisionnement (1).

C'est seulement dans la législation du XIIIe siècle et des deux siècles suivants que l'on trouve les monuments les plus importants, et encore tous les actes législatifs de ces temps, presque tous ceux qui précèdent la seconde moitié du XVIe siècle, ne renferment le plus souvent que des règles décrétées à des

propter cupiditatem, comparat annonam vel vinum, verbi gratia de duobus denariis comparat modium unum et servat usque dum iterum veuundari possit contra denarios quatuor aut sex, hoc turpe lucrum dicimus. (Capit. Reg. franc., I, 454.)

(1) Delamare, Traité de la Police, liv. 5, tit. 5, ch. 1er, p. 56.

intervalles plus ou moins rapprochés, nées des circonstances, et la plupart applicables à la ville de Paris.

Néanmoins il est bon de faire observer que presque toutes les anciennes ordonnances sur la police des vivres étaient, en général, suivies dans les autres villes (1).

Au moyen âge, la circulation était souvent entravée par les magistrats eux-mêmes. Les moyens de transport étaient, d'ailleurs, très imparfaits, les routes plus d'une fois interceptées.

On comprend, dès lors, combien était grande la difficulté de mettre l'offre et la demande en présence.

Il arrivait souvent que peu de temps avant la moisson on éprouvait dans les années ordinaires une véritable disette.

La division du travail n'étant guère développée, ce que l'on produisait pour le marché n'était pas considérable; aussi les écarts dans les prix étaient-ils énormes. Selon Herbert, le setier de froment valait 30 livres 9 sous en 1361, tandis qu'il était de 4 livres en 1356 (2). Or, ces écarts dans une denrée de première nécessité étaient extrêmement nuisibles, tantôt au producteur, tantôt au consommateur.

Toute personne pouvait être blatier (3) et se livrer, à Paris, au commerce des grains, en payant certains droits. «< Quiconque veut estre blatier, c'est à sçavoir vendeur de bled et de toutes autres manières de bons grains, à Paris, estre le peut franchement par payant le tonlieu et la droiture que chacun des grains doit. » Telle est la disposition de l'un des statuts

(1) Plusieurs ordonnances portent même formellement que les autres villes doivent être régies par les dispositions édictées pour Paris, ou du moins s'y conformer autant que possible.-Voy. notamment lettres-patentes de Charles V, du 25 septembre 1372.

(2) Essai sur la police générale des Grains.

(3) On appelait autrefois blatiers tous les marchands de blé. Ils furent, sous le règne de saint Louis, érigés à Paris en communauté, et ils reçurent des statuts comme les autres corps de marchands. Plus tard ce nom s'appliqua à certains petits marchands forains vendant à la petite mesure, et transportant avec des chevaux ou des ânes les blés qu'ils livraient aux commerçants pour l'approvisionnement des grandes villes. (Delamare, liv. 5, tit. 6.)

donnés par le prévôt de Paris, Etienne Boileau, sous le règne de saint Louis.

Mais la liberté accordée pour l'exercice de cette profession était assez stérile sous l'empire d'une législation qui paralysait toutes les transactions.

Presque toutes les lois sur les céréales rendues pendant le moyen âge, qui nous sont parvenues, semblent dictées par la nécessité de remédier aux maux de la disette ou de la cherté; presque toutes ont pour but, dans l'intention des législateurs, soit de faire baisser les prix, soit d'augmenter l'offre.

On oblige les détenteurs des denrées à vendre ce qui excède la quantité nécessaire à la nourriture de leur famille (1);

On défend d'acheter pour revendre (2);

(1) Les Etablissements de saint Louis (chap. 49) permettaient aux seigneurs de contraindre les habitants de leurs terres à ne conserver que les denrées nécessaires à la subsistance de leur famille pour l'année, et à vendre le surplus au prix courant du marché, « car trop mieux vaut que l'on secoure au quemun pourfit, que à la volenté de chaux qui vuelent le tans enchiérir. >>

Une ordonnance de Philippe-le-Bel, du mois de février 1304, dans le but de rassurer le public, de prévenir ses craintes et les accaparements, ordonne au prévôt de Paris d'envoyer dans toutes les villes et dans les villages de la vicomté de Paris, pour faire la statistique des approvisionnements de grains, connaître la quantité nécessaire pour la subsistance des habitants jusqu'à la récolte et pour semer. La même ordonnance prescrit ensuite de faire porter aux marchés l'excédant, non pas tout ensemble, mais petit à petit. Voy. aussi l'ordonnance du prévôt de Paris du

10 juin 1391.

(2) Les lettres patentes de l'an 1305 portent : « Que nul n'achète bled ni grain autre pour le revendre le jour du même marché. »

Une ordonnance, rappelée dans l'arrêt du Parlement de 1306, défendait à tous marchands de grains, sous peine de saisie de corps et de biens, d'acheter d'autres marchands pour revendre : « Cum fuisset proclamatum publice per villam parisiensem ex parte nostra tempore retroacto propter caristiam bladi et alterius grani in dicta villa existentem sub pœna amissionis averi et corporis, ne mercator bladum vel aliud granum emere ultra suam necessitatem ab alio mercatore. »

Enfin l'ordonnance du 19 septembre 1439 défendait à tous les blatiers, regratiers et vendeurs de farines d'acheter eux-mêmes, ou à l'aide de prête-noms, des grains à Paris, soit pour les revendre ou les convertir en farines destinées à être revendues, sous peine de confiscation de ces denrées et d'amende arbitraire.

On défend de vendre dans d'autres lieux que les marchés (1) disposition souvent renouvelée dans les siècles suivants, et dont on retrouve la trace dans notre législation moderne;

On limite la quantité que l'on peut acheter; le prix (2), le temps, les lieux de la vente (3);

(1) Les lettres patentes de 1305 portent : « Item nous commandons et ordonnons que toutes denrées soient vendues et amenées en plein marché, et deffendons estroitement que nul ne soit si hardy qu'il achète ni vende denrées, vivres ni vituailles ailleurs qu'en plein marché. » — ord. du prévôt de Paris du 20 avril 1393, et ord. de juillet 1482.

Voy. aussi

(2) L'ordonnance précitée de juillet 1482 défendait sous peine de confiscation et d'amende arbitraire d'acheter du blé au-delà de ce qui était nécessaire pour la provision de la famille.

-Les lettres patentes de 1305 portent : « Item nous voulons et ordonnons que de toutes denrées venant à Paris, puisqu'elles seront affoirées (mises sur le marché), tout le commun en puisse avoir, au prix, comme les grossiers (marchands en gros) les achèteront. >>

(3) Selon l'ordonnance de février 1415, les marchands étaient obligés de vendre leurs grains et farines au prix du troisième marché, quand même il était inférieur au prix des marchés précédents. — Voy. aussi ord. du prévôt de Paris du 27 mai 1473.

— Dans le règlement général sur la police de Paris, publié le 30 janvier 1350, après la terrible famine de 1338, suivie de dix années de cherté environ, il existe une disposition qui défend aux personnes qui ont amené des grains ou farines sur le marché, de les conduire le même jour dans un autre pour les vendre, sous peine de confiscation de la marchandise. - Voy. aussi ord. précitée de février 1415.

Une ordonnance du prévôt de Paris, du 20 avril 1393, défend à tous marchands forains qui auront amené des vivres et denrées quelconques, et qui se trouveront dans un rayon de quatre lieues autour de Paris, de les conduire dans d'autres villes, sous peine de confiscation et d'amende volontaire; elle défend aussi, sous les mêmes peines, aux marchands d'aller dans la même circonscription à la rencontre des vivres et denrées pour les acheter. Parmi les motifs énoncés dans cette ordonnance on lit : << Et si ont esté et sont en ce les hallages, tonlieu, coutume et autres droits de l'ancien domaine du roi, nostre dit seigneur, et les impositions et autres choses ordonnées pour le fait de la guerre du royaume, recelez et péris, au préjudice et dommage dudit seigneur, de ses fermiers et de son peuple. » C'était, on le voit, avant tout, une pensée fiscale qui dictait ces règlements.

Enfin une autre ordonnance du 3 mars 1396 enjoint à tous les marchands qui ont chargé sur les rivières des denrées et vivres à destination de Paris, de les y amener dans le plus bref délai, sous peine de confiscation.

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