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dont la seconde édition fut publiée en 1722, et qui, dans le deuxième tome, renferme de précieux matériaux exposés sans critique ou appréciés avec un optimisme exagéré, et d'un Essai assez superficiel de M. Chaillou-Desbarres, couronné en 1818 par la Société d'agriculture de la Marne, et édité en 1820, dans les autres écrits que nous avons parcourus nous n'avons rencontré sur l'histoire de la législation des céréales que de rares généralités (1).

Cette étude n'offre-t-elle donc aucun intérêt? Ne peut-on tirer des anciens monuments législatifs, des faits qui les ont précédés, accompagnés ou suivis, des modifications introduites dans la législation, depuis son origine jusqu'à l'époque actuelle, aucun enseignement utile? L'étude de l'histoire, qui, pour d'autres points de notre législation, a eu de si bons résultats, serait-elle ici stérile? Nous ne le pensons pas.

L'auteur du Traité sur la législation et le commerce des grains émettait à cet égard une opinion que nous ne pouvons pas partager: «Dans cette succession de lois absolues et contradictoires données depuis plusieurs siècles sur le commerce des blés, disait Necker, comment pourrait-on tirer de l'expérience des arguments certains? Chaque parti peut recueillir aisément des anecdotes convenables au système qu'il soutient, ou contraires, du moins, à celui qu'il attaque, puisque la grande liberté et la gêne absolue ont dû produire l'une et l'autre des abus et des inconvénients. Il est vrai qu'il est une manière de

(1) En 1818, la Société d'agriculture de la Marne avait mis au concours la question suivante : « Quels sont les meilleurs moyens de prévenir, avec les seules ressources de la France, la disette des blés et les trop grandes variations dans leurs prix? » Un ancien préfet, M. Chaillou-Desbarres, qui prit part à ce concours, consacra la plus grande partie de son Mémoire à résumer à grands traits plusieurs monuments de la législation.

Il existe aussi, mais seulement pour la période de 1692 à 1789, une Analyse historique de la Législation des Grains, par Dupont de Nemours. Ce livre est très rare dans le commerce; nous n'avons pas pu nous le pro

curer.

Enfin, M. de Molinari a fait l'historique du régime de l'échelle mobile, dans son travail intitulé: Histoire du Tarif, les Céréales. Paris, Guillaumin, 1847.

présenter les faits qui les rend tous favorables à l'opinion qu'on a choisie »> (1).

Ce passage était à l'adresse des partisans du principe de la liberté commerciale.

Nous ne voulons pas examiner ici si ce reproche est fondé. Nous nous bornons à dire que ce serait assurément une fort mauvaise manière de faire l'historique d'une législation que de recueillir des faits dans le but de les présenter dans un sens exclusivement favorable à un système ou à un parti. Le premier et le principal devoir de celui qui se livre à un travail de la nature de celui-ci, c'est l'exactitude, l'impartialité, la bonne foi.

Il vaudrait mille fois mieux, en traitant de la législation des céréales, imiter le savant auteur avec lequel nous sommes en dissentiment, c'est-à-dire omettre toute la partie historique du sujet (2), plutôt que de tronquer les faits.

Si, en suivant cette voie, un publiciste parvenait à faire triompher un système erroné, l'avenir pourrait bien lui reprocher de n'avoir produit qu'un fantôme enfant de son imagination; mais la critique, assurée de la pureté de ses intentions, n'aurait pas du moins pour sa mémoire de plus dures paroles.

Dénaturer les documents dans le but de faire prévaloir une opinion est un procédé réprouvé par la conscience de tout honnête homme, et la loyauté bien reconnue des anciens défenseurs du principe de la liberté commerciale, des physiocrates, fait naître en nous la conviction qu'ils n'en ont jamais fait usage.

Il est vrai que les faits prennent souvent la teinte du système ou des préjugés de celui qui les décrit : « Sans altérer même un trait historique, dit Rousseau, en étendant ou res

(1) Législation et Commerce des Grains, 2o part., ch. 6, p. 292 et suiv. (2) Le traité de Necker ne contient sur ce point qu'un chapitre très court, le chapitre 8e de la 3e partie, dans lequel on lit seulement quelques lignes sur les institutions renouvelées par la loi de 1770.

serrant des circonstances qui s'y rapportent, que de faces différentes on peut lui donner! Mettez un même objet à divers points de vue, à peine paraîtra-t-il le même, et pourtant rien n'aura changé que l'œil du spectateur. Suffit-il, pour l'honneur de la vérité, de me dire un fait véritable, en me le faisant voir tout autrement qu'il n'est arrivé » (1) ?

C'est là une faute contre laquelle on doit se tenir en garde, et que plusieurs historiens n'ont pas toujours su éviter.

Quoi qu'il en puisse être, il nous semble que l'on peut se livrer à une étude plus sérieuse, plus féconde que celle dont parle l'auteur du Traité sur la législation et le commerce des grains. Au lieu de recueillir quelques anecdotes sur les temps anciens, il est permis de rechercher les principes économiques qui, aux diverses époques, ont pu présider à la rédaction des monuments législatifs sur la circulation, le commerce intérieur et extérieur des céréales, dans les années ordinaires, et aux mesures d'administration prises dans les moments de disette ou de cherté (2). On peut étudier les faits politiques et sociaux, ceux du domaine de la pensée, qui ont eu de l'influence sur la législation; examiner, avec les secours que les progrès de la science ont mis à notre disposition, les idées des anciens législateurs; rechercher les causes, apprécier les résultats, sans parti pris d'avance, et dans le seul but de découvrir la vérité.

Sans doute, il y a plusieurs règles, plusieurs mesures, plusieurs détails dont le tradition ne nous est point parvenue; sans doute encore, cette matière tient à de grands principes dont les conséquences sont multipliées et souvent assez difficiles à saisir; mais il est un ensemble de faits, de rapports, de dispositions que l'esprit peut coordonner et juger.

Les textes qui nous ont été transmis sont, d'ailleurs, assez

(1) Pensées, t. 2, p. 73, édit. Londres.

(2) Ce point de vue est indiqué dans le programme que l'Académie de législation de Toulouse a publié sur le sujet qu'elle a mis au concours pour l'année 1859.

nombreux; les lois se succèdent même pendant des siècles avec une telle uniformité dans leurs dispositions principales, qu'il est bien facile de saisir la pensée fondamentale qui les a dictées. La lecture attentive du préambule des anciens édits la révèle suffisamment.

En somme, on peut aussi bien dans cette matière que dans plusieurs autres qui sont aujourd'hui parfaitement élucidées, suivre la filière des institutions, constater les modifications qu'elles ont subies par suite d'exigences nouvelles nées de rapports nouveaux ou mieux appréciés, et reconnaître l'influence du passé sur le présent : « Toujours dans le droit, comme dans la vie, on sent que le présent a ses racines dans le passé. La vie de l'individu tient à celle de ses aïeux par mille liens invisibles, et néanmoins elle a un caractère et une essence propres. Il en est de même du droit de chaque peuple et de chaque siècle. Il n'y a pas de principe général qui n'y prenne une forme particulière, et on distingue aisément en toute législation humaine l'action des idées et l'influence du passé » (1).

Ces paroles sont aussi vraies pour la législation des céréales que pour toute autre partie de notre droit moderne. Dans cette législation, le progrès s'est opéré lentement. L'ère de l'empirisme et de la routine a précédé longtemps celle de la science et de la raison. Plus d'une fois même, sous l'influence de l'ignorance, de l'intérêt bien ou mal entendu, la législation a visiblement rétrogradé au lieu de se perfectionner. Mais, en définitive, nous découvrirons d'assez nombreuses améliorations, et il sera peut-être possible, après avoir expliqué le sens dans lequel tous ces divers amendements ont eu lieu, après avoir reconnu la tendance de la législation et exposé les progrès de la science, de formuler une conclusion exacte et irréprochable.

Les six chapitres suivants seront consacrés à cette étude : Les deux premiers feront connaître les règles qui ont régi

(1) M. Laboulaye, Revue historique, t. 1er, p. 3.

la circulation, le commerce intérieur et extérieur des céréales sous l'ancienne monarchie jusqu'à la deuxième partie du XVIIIe siècle;

Dans le troisième, nous parlerons de la législation de cette dernière époque;

Le quatrième traitera des lois rendues pendant le XIX siècle;

Le cinquième renfermera des observations sur la législation actuellement en vigueur;

Enfin, nous rechercherons et nous apprécierons, dans le sixième, plusieurs mesures d'administration qui ont été prises, à diverses époques, soit avant, soit pendant les temps de disette ou de cherté extraordinaire.

Chacun de ces chapitres sera subdivisé en autant de sections que le nécessitera l'importance ou la diversité des monuments et des faits que nous aurons à étudier.

Ce cadre est celui qui nous a paru le plus convenable pour faciliter l'explication et l'intelligence des phases les plus remarquables de la législation, de ses vicissitudes, de ses modifications successives.

Nous donnerons ensuite notre conclusion.

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