Page images
PDF
EPUB

des devoirs de la charité, si mal remplis par la froide bienfaisance, quelle ample matière les lettres et l'instruction publique n'offriroient-elles pas au zèle des religieux? Que de découvertes à faire, que d'obscurités à éclaircir dans la littérature ancienne, dans l'histoire moderne, dans celle des peuples du Nord, et dans nos propres annales? La raison et l'expérience démontrent que les sciences d'érudition sont le partage exclusif des moines. Les gens du monde ne peuvent se livrer avec assez d'ardeur à des travaux arides qui ne leur promettent ni gloire ni fortune. La seule suppression de la savante congrégation de Saint-Maur prive les lettres de plusieurs grandes entreprises, de plusieurs collections importantes auxquelles ce corps travailloit dans le silence de la retraite, et que nous n'avons plus d'espérance de voir terminer.

Et qui sait jusqu'à quel point l'esprit humain auroit rétrogradé, s'il avoit suivi long-temps encore la funeste impulsion qui lui étoit donnée depuis vingt ans? Déjà les premiers symptômes de la barbarie s'étoient déclarés: un nouvel Attila menaçoit l'Europe entière; chaque jour le caractère et les mœurs nationales s'altéroient visiblement encore une génération écoulée sous l'influence d'un pareil régime, et nous perdions peut-être tout ce que l'imprimerie ne nous conservoit pas. Quelle reconnoissance n'aurions-nous pas due alors à des hommes qui se seroient réunis pour sau yer une seconde fois l'Europe d'un tel avilissement ! Pendant des temps si malheureux, quelques amis. de la religion et des lettres ont entretenu parmi nous la tradition des mœurs de nos pères. Rendons grâce surtout à ceux qui ont veillé à l'éducation de la jeunesse. Mais en louant leurs efforts, observons les obstacles qui bien souvent se sont opposés à leurs succès.

et

Ne peut-il pas être permis de faire remarquer ce qu'il y a nécessairement de défectueux dans les études dirigées par des laïcs isolés, et même par les ecclésiastiques séculiers, qui ne sont point astreints à une règle commune; voyons enfin quels avantages elles ont perdu, lorsque les écoles ont cessé d'être soumises à des corps. Cette question sera peut-être de quelque intérêt, pourra mériter l'attention du gouvernement, dans un moment où l'on veut réparer les erreurs du passé. Déjà on a remarqué avec intérêt que dans la chambre des Députés, un orateur judicieux, après avoir fait l'éloge d'un de ses confrères, ancien doctrinaire, a émis son vœu pour le rétablissement de ces anciennes congrégations formées au nom de la religion, et qui, consacrées à l'éducation, n'étoient pas moins utiles à l'Etat qu'à l'Eglise. Nous pourrons une autre fois donner quelques idées sur ce sujet.

Assurément l'abbé de Torné n'étoit ni prophète ni enfant de prophète. Le ciel n'avoit pas, on peut le croire, favorisé de ce don merveilleux un homme dont on loua toujours plus les talens que la piété, et qui se déshonora depuis complétement par le rôle impie et abject qu'il joua dans la révolution. Il se livra avec fureur au parti dominant, se traîna dans les clubs, devint évêque constitutionnel du Cher, donna le premier, dans l'Assemblée législative, le scandale de renoncer au costume ecclésiastique, se maria enfin, et se souilla de toute la fange révolutionnaire. Il fut trouvé mort dans son lit, à Tarbes', le 12 mars 1797, étant alors âgé de 70 ans; ce qui rend ses écarts plus ridicules et moins excusables encore. Tel est le prédicateur dont nous allons citer quelque chose. On pourra s'é

tonner que nous allions fouiller dans ses écrits. Mais le passage que nous avons à rapporter de lui, nous a paru si précis, que nous avons cru pouvoir passer par-dessus l'opprobre dont l'auteur s'est couvert. On jugera de lui, si l'on veut, comme de l'ânesse de Balaam, que Dieu force à lui rendre un hommage étonnant et inattendu. Le passage en question se trouve dans le sermon du dimanche des Rameaux, sur l'humanité des souverains. Il y a plusieurs morceaux qui s'appliquent fort bien à l'ambitieux étranger qui dominoit sur nous il y a peu; mais la plupart de ces morceaux sont plutôt raisonnables et sensés que frappans. Nous nous bornerons donc à ce dernier, qui

nous a semblé avoir ce dernier mérite.

« Ce n'est pas que je prétende ici justifier ces conquérans odieux qui sont nés pour le malheur de l'humanité, que la fureur d'étendre leur empire a rendus les fleaux de la terre, et qu'un amour ardent de la gloire a comme altérés du sang humain. Ce sont des monstres dans la religion, dans la saine politique et dans la nature. Si quelque nation, éblouie de leur fausse grandeur, se passionne pour leurs succès, et envie de tels maîtres, exaucez-la, ô mon Dieu, dans votre fureur. Mais puisse le Dieu protecteur de la France, préserver à jamais cet empire d'un souverain né avec une valeur bouillante, qui ne respire que les combats, qui ne désire que les conquêtes, qui n'aime que l'art de la guerre, dont l'ambition se trouve trop resserrée dans les limites de ce vaste empire, et dont l'impétuosité ne juge pas d'entreprise impossible! O ma patrie, je vous présage alors une foule de calamités. Ce règne belliqueux sera le règne des misères publiques (1) ».

(1) Sermons de Torné, en 3 volumes, 1765, tone....... page 362.

NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES.

PARIS. Les journaux ont annoncé la mort de M. Charles Palissot, conservateur de la bibliothèque Mazarine. Il est décédé à Paris, la semaine dernière, à l'âge de 84 ans. Il a conservé jusqu'au dernier moment une tête saine et un jugement parfait. Averti du danger de son état, il a senti se réveiller en lui cette foi dont il avoit reçu autrefois les premiers principes, mais que le tourbillon du monde et la séduction des mauvaises doctrines lui avoient peut-être un peu fait perdre de vue. M. Palissot avoit combattu autrefois les philosophes, sans être fort religieux lui-même. Par une inconséquence qu'il n'a sentie que tard, il se moquoit des principes pernicieux de ces écrivains, sans avoir lui-même des principes bien sûrs. On voit avec chagrin, par ses ouvrages, qu'il étoit indécis et indifférent sur les grandes questions qui importent le plus à l'homme et à la société, et son langage se ressent trop de l'esprit général de son siècle. Quoi qu'il en soit, l'âge et la réflexion l'ont ramené, dans ses derniers jours, à des pensées plus justes et plus sérieuses. Il a senti le besoin de la religion, et lui a consacré du moins la fin de sa longue carrière. Réconcilié avec Dieu et avec lui-même, il a demandé les sacremens. Son curé, qui l'a administré, et qui lui a adressé les exhortations convenables, a été touché de la vivacité de la foi de ce vieillard, qui l'a remercié de ce dernier service de la manière la plus affectueuse. Les confrèreset les amis du mourant, qui ont assisté à cette cérémonie, ont admiré sa religieuse résignation. Nous donnons comme très-authentiques ces particularités édifiantes, que nous tenons de la bouche même du pasteur qui a vu M. Palissot dans ses derniers jours. On peut publier aujourd'hui de semblables détails, et on n'a plus à craindre. de choquer celui qui ne vouloit pas qu'on parlât des dispositions chrétiennes des mourans. Il est permis de citer ceux sur qui la religion reprend son empire. Un peu ayani M. Palisso, étoit mort aussi un autre homme de

VI

DEPT

lettres qui avoit joui quelque temps d'une sorte de célé→ brité, et chez qui la foi s'est aussi réveillée. M. Mercier, l'auteur du Tableau de Paris et de plusieurs autres ouvrages, où il y a plus d'originalité et d'imagination que de goût et même de raison; M. Mercier, à qui ses para doxes avoient donné quelque renommée, est aussi revenu, dans sa vieillesse, à des sentimens chrétiens. Il n'a pas même attendu, pour cela, ses derniers jours; et à une époque où il n'avoit rien perdu de ses facultés, il s'est jeté dans les bras de la religion avec cette vivacité, cette franchise et cette effusion de coeur qui tenoient à son caractère. Il mettoit dans ce retour l'expression animée de l'enthousiasme, et il a rempli tous ses devoirs avec zèle, mais sans ostentation. Nous aimons à consigner ici cés détails consolans pour les ames pieuses, et honorables pour la religion. Elles se plairont à la voir ainsi reprendre son ascendant sur les consciences, et faire entendre sa voix puissante à ceux qui l'avoient oubliée. Nous pourrions même citer d'autres faits de ce genre, qui ne sont ni moins éclatans, ni moins sûrs. L'année dernière, mourut à Paris un homme qui avoit aussi fait quelque bruit par ses ouvrages. L'abbé Soulavie avoit été éditeur de beaucoup de compilations. Il avoit publié, sur les deux derniers siècles, des Mémoires qu'il mettoit sans façon sur le compte des noms les plus célèbres. Les Mémoires du duc de Richelieu, du duc d'Aiguillon, de Massillon, etc., sont dans ce genre. Ces ouvrages sont mauvais de tous points. On n'y trouve ni goût, ni style, ni intérêt, ni jugement, ni exactitude. Ce sont de misérables recueils où l'ignorance, l'ineptie, la fausseté se disputent la palme. L'auteur avoit la manie d'écrire, et le besoin le portoit à rédiger à la hâte ces compilations informes. Ce ne fut même pas là le seul de ses torts. La révolution l'égara comme tant d'autres. Prêtre, il oublia son état, et contracta des engagemens scandaleux, et sa conduite participa, comme ses écrits, au délire du temps. On voit que nous ne dissimulons pas ses fautes. Mais du moins nous dirons, avec plaisir, qu'il les reconnut. Averti par

« PreviousContinue »