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par l'ignorance, toléré par la Religion, encouragé par la Politique, il ne trouvoit par-tout que des efclaves foumis aveuglément à fon empire. A fa voix le Laboureur quittoit fon champ; l'Artifan, les inftrumens de fon travail; le Militaire, fon pofte; le Courtifan, fon Prince; le Prêtre même quelquefois fon Autel, pour s'égorger fur l'arène. Les uns y cherchoient la Gloire, d'autres la Vérité, plufieurs l'Innocence. Le préjugé aveugloit tellement les efprits, que quelquesuns ne désespéroient pas d'y rencontrer la piété; & l'on vit plus d'une fois le Vainqueur, en retirant fon épée des entrailles de fon Rival, offrir à la Religion une Victime, qu'il venoit d'immoler à la fureur. Le père expirant laiffoit à fon fils le foin de venger une mort, qui fouvent ne précédoit que de quelques inftans celle du Vengeur. L'Ami vouloit immoler, fur le tombeau de fon Ami, celui qui lui en faifoit pleurer la perte. Le plus fort étoit toujours le moins criminel; & fouvent la querelle d'un feul ne finissoit qu'avec le fang de toute une famille.

Dans la fréquentation des deux Sexes, je ne vois plus aucune trace de cette ancienne & célèbre galanterie, qui donne une fi belle opinion de nos Ayeux à ceux qui ne les connoiffent que Tome III.

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par les Romans. L'amour n'eft plus ce commerce religieux de refpects & d'adorations, toujours uni au defir de plaire, qui faifoit jadis une partie effentielle de nos mœurs. Un coup-d'œil, une légère préférence de la part de l'objet aimé, étoient des faveurs ineftimables, qui infpiroient aux Amans les chofes les plus ingénieufes & les plus tendres. En aiguifant les plaifirs des fens les illufions de l'amour propre, on arrivoit, par une gradation délicieufe, par une efpérance foutenue, par des defirs flattés & animés, au terme du fouverain bonheur. Ils ne font plus, ces beaux temps de la galanterie Françoise, où des Chevaliers, ornés de rubans & des chiffres de leurs Maîtreffes, combattoient en champ clos, pour mériter de plaire à la Beauté; où la fidélité se mêloit au courage, le fentiment à la gloire, le respect aux defirs; où l'amour, toujours inséparable de l'honneur, changeoit les hommes en Héros, les femmes en divinités, & la volupté en une forte de culte.

L'Ile-Marivaut, un des plus braves Gentilshommes de l'armée du Roi, ayant rencontré Marolles qui fervoit dans l'armée de la Ligue, lui demanda s'il n'y avoit pas quelqu'un de fon une lance parti, qui voulût rompre une

pour

l'amour

des Dames. Il y en a mille, lui répondit Marolles; mais il n'en faut point d'autre que moi feul. "Vous êtes donc Vaillant & Amoureux, lui dit » Marivaut? Je vous en eftime davantage; & cela » fuffit. La partie fut remife au lendemain; & le combat fe fit avec grand appareil. Les deux armées & toutes les Dames furent témoins de la victoire de Marolles. Il enfonça le fer de sa lance dans l'œil de fon Adverfaire; & Marivaut tomba mort de ce coup. Le Vainqueur fut ramené à Paris au milieu des fanfares & des acclamations publiques. Les Dames couronnèrent fa victoire ; & le Peuple qui fe preffoit, dans les rues, pour le voir paffer, en fit le foir des feux de joie. Les Prédicateurs de la Ligue difoient en Chaire, que le jeune David avoit tué le Philiftin Goliath. Les Beaux-Efprits composèrent des vers en fon honneur, & firent cette Anagramme de fon nom : Claudius de Marolles, adfum in duello clarus.

Dans les premiers fiècles de l'Églife, on n'admettoit pas l'accufation d'impuissance; on répondoit au Plaignant, qu'il n'étoit pas poffible de féparer ce que Dieu avoit uni. Cette discipline a changé; & peu-à-peu on a reçu les accufations d'impuiffance, tant de la femme contre le mari, que du mari contre la femme. Lorsque l'on com

mença à les admettre en France, on s'en rapportoit au ferment du Mari feul; on exigea dans la fuite celui de la femme, & de plus le témoignage de fept perfonnes de la famille ou du voifinage, qui atteftoient que les parties avoient dit la vérité. Quand la femme, fe prétendant Vierge, venoit dire à l'Églife : « Je veux me retirer dans un » Cloître pour me confacrer à Dieu; foit frigi» dité de corps, foit froideur de cœur, mon mari » ne s'eft point montré mari envers moi ». Si le mari reconnoiffoit la virginité de fa femme, on n'exigeoit point d'autre preuve; mais s'il foutenoit le mariage confommé, alors, outre la déclaration de la femme, on demandoit le témoignage des Matrones, qui affuraffent l'avoir vifitée & trouvée Vierge.

Toutes ces preuves étant reconnues fautives, on crut, en France, en trouver une plus réelle & plus pofitive par le Congrès. Mais on jugea bientôt que ce moyen de nouvelle invention n'avoit, au-deffus des autres, que plus d'obfcénité. Le même fiècle, qui le vit admettre dans nos Tribunaux, l'en vit bannir. On ne peut en effet rien concevoir de plus infâme, de plus contraire à l'honnêteté publique, que l'impureté de cette épreuve, & dans fon appareil, & dans fon exécu

tion. Comment vouloir d'ailleurs qu'une conjonction ordonnée par les Juges, entre deux perfonnes aigries par le procès, poffédées de haine & de fureur, opère en eux ce que fait, dans les perfonnes bien concordantes, l'union des cœurs & des volontés, feule capable d'animer celle des corps. De dix hommes, les plus vigoureux & les plus puiffans, à peine en a-t-on trouvé deux qui foient fortis avec fuccès de ce honteux combat.

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J'ai lu quelque part qu'un Religieux, prêchant fur l'Enfer, & voulant ménager la délicateffe de fes Auditeurs, leur difoit : « Si vous perfiftez » dans vos défordres, vous courez rifque d'ha» biter éternellement dans un lieu que la bien» féance m'empêche de vous nommer ». Nos Prédicateurs ne pouffent pas encore fi loin les égards; mais ils traitent déjà les matières les plus terribles d'une façon fi agréable, qu'on n'en eft plus effrayé.

D'où vient que dans la foule, prefque innombrable, de ces Prédicateurs qui fe firent écouter autrefois avec tant de plaifir, il en eft fi peu, dont la lecture foit aujourd'hui fupportable ? Pourquoi, parmi ceux-mêmes qu'on lit, ne s'en trouve-t-il que deux ou trois, qui aient réuni conftamment

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