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(1) Page, & trois Valets-de-pied qui marchoient devant pour l'éclairer, fut investi par dix-huit hommes armés, à la tête defquels étoit un Gentilhomme de Normandie, nommé Raoul d'Ocquetonville: ce fcélérat, d'un coup de hache d'armes, lui coupala main dont il tenoit la bride de fa mule, & de deux autres coups lui fendit la tête. On prétend que le lendemain le corps de ce Prince, qu'on avoit porté dans l'Eglife des Blancs-Manteaux, jeta du fang (2), lorfque le Duc de Bourgogne

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(1) Ce Page, nommé Jacob de Merre, voulut le couvrir de fon corps, & fut tué fur lui.

(2) Il y a de la fympathie & de l'antipathie, même entre les Etres purement matériels. Le fang accoutumé, dit-on, à s'agiter violemment à la vue d'un homme qu'on hait avec fureur, peut contracter une antipathie affez forte, pour qu'à l'approche de cet homme, il s'agite encore un peu, quoique glacé par la mort.

«Ileft conftant, dit Mézeray*, que Richard, Coeur-de» Lion, étant venu à Chinon pour célébrer les funérailles de » Henri II, fon père, le corps de ce malheureux père, privé » de vie, & n'ayant plus la parole pour reprocher à ce fils » fon ingratitude & tous les chagrins qu'il en avoit effuyés, lança contre lui du fang en abondance par le nez & par » la bouche, comme s'il fe fût efforcé de lui dire : Saouletoi de ce fang dont tu paroiffois altéré ».

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M. de Thou ** rapporte que Garcias-Médicis ayant poignardé fon frère, Cofine, Grand-Duc de Florence, leur

*Tome 2, page 127.

** Liv 32.

qu'on ne connoiffoit point encore pour l'auteur de cet affaffinat, & qui vouloit faire bonne contenance, (1) fe préfenta pour lui donner l'eau bénite.

Ce Louis I, Duc d'Orléans, joignoit à beaucoup d'efprit la figure la plus féduifante. C'étoit un grand débaucheur de Dames de la Cour & des plus grandes, dit Brantôme: un matin en ayant une (2) couchée

père fit approcher Garcias du corps du mort, dont les plaies jetèrent à l'inftant du fang.

Il fort, avec agitation*, une grande abondance de corpufcules du corps d'un homme qui fait des efforts pour se défendre ils s'attachent au meurtrier, & à ses vêtemens ; ils font attirés vers leur fource naturelle, lorsqu'il approche de celui qu'il a tué; c'est leur aimant : ils entrent dans les plaies, & donnent affez de mouvement au fang, pour en faire couler quelques gouttes.

L'épreuve, ou le jugement de Dieu par le cercueil, a été long-temps en ufage en Allemagne./Lorfqu'un Affaffin, malgré les informations, reftoit inconnu, on dépouilloit entièrement le corps de l'Affaffiné; on le mettoit fur un cercueil; & tous ceux qui étoient foupçonnés d'avoir eu part à l'affaffinat, étoient obligés de le toucher. Si l'on remarquoit quelque mouvement, quelque changement dans les yeux, la bouche, les mains, les pieds, ou quelque autre partie de ce corps; fi la plaie faignoit, celui qui le touchoit dans l'inftant de ce mouvement extraordinaire, étoit regardé comme coupable.

(1) Becmanni differt. de prod. fanguinis.

(2) Dames galantes.

*Vallemont. Baguette divinatoire.

avec lui, dont le mari vint par hafard pour lui donner le bon jour, il cacha la tête de cette Dame, & lui découvrit tout le corps, la faifant voir & toucher nue à ce mari à fon bel aife, avec défense, sous peine de la vie, d'ôter le linge du vifage. ... & le bon fut que le mari étant la nuit d'après couché avec fa femme, lui dit que M. d'Orléans lui avoit fait voir la plus belle femme nue qu'il eût jamais vue; mais quant au visage, qu'il n'en favoit que dire, ayant toujours été caché fous le linge. Cette Dame s'appeloit Mariette d'Anghien, & fon mari le Sire de Canni de Varennes : de ce petit commerce, ajoute Brantôme, fortit ce brave & vaillant bátard d'Orléans, Comte de Dunois, le foutien de la France & le fléau des Anglois.

La plupart des Hiftoriens font entendre que, tandis que la fille d'un marchand de chevaux, très-gaie & très-jolie, tenoit auprès de Charles VI la place de la Reine à l'Hôtel Saint-Paul, le Duc d'Orléans tâchoit de défennuyer cette Princeffe à l'Hôtel Barbette; il venoit de fouper avec elle, lorfqu'il fut affaffiné. Le bruit

pas

couroit auffi que dans un bal mafqué, derrière une tapifferie, la Ducheffe de Bourgogne ne lui avoit été cruelle; qu'il avoit entrepris de s'en faire aimer, en partie par haîne contre fon mari ; & qu'il eut l'indifcrétion de chanter devant lui, dans un fouper, une

chanfon qu'il avoit faite pour cette Princeffe, & où elle étoit défignée par la beauté de ses cheveux noirs. La chronique ajoute qu'il avoit un cabinet. où étoient les portraits de toutes les Dames dont il avoit eu les faveurs, & que le Duc de Bourgogne a yant fçu que le portrait de fa femme y étoit, réfolut de se venger par cet infâme & lâche affaffinat.

Ce Duc de Bourgogne étoit fils de Philippe de France, qui fut fait prifonnier à la bataille de Poitiers, & emmené à Londres avec le Roi Jean fon père. Un jour que le Roi Jean & le Roi d'Angleterre foupoient ensemble, Philippe donna un foufflet au Maître-d'Hôtel en lui difant : où as-tu appris à fervir le Roi Anglois avant le Roi de France, lorfqu'ils font à la même table? Vraiment, mon coufin, lui dit Edouard fans fe fâcher, vous êtes Philippe-le-hardi. Le courage avec lequel ce jeune Prince avoit combattu à la ba taille de Poitiers, n'ayant que quatorze ans, lui avoit mérité ce furnom de hardi; mais je ne conçois pas pourquoi l'on donna le furnom de Jean fans peur au Duc de Bourgogne fon fils, dont le cœur inacceffible aux remords, étoit fans ceffe agité par la crainte qu'on n'attentât fur fa vie. Après l'affaffinat du Duc d'Orléans, il fit bâtir, à

la

fon (1) Hôtel de Bourgogne, une tour, & dans cette tour une chambre fans fenêtre, & dont la porte étoit très-baffe; il la fermoit le foir (2), & l'ouvroit le matin avec toutes les précautions que frayeur inspire aux fcélérats. Il ne fe familiarifoit qu'avec les (3) Bouchers; le Bourreau (4) étoit un de fes courtisans, alloit à fon lever & lui touchoit dans la main. Les maffacres que cet indigne Prince fit commettre dans Paris, fes trahifons envers la France, & fes liaisons avec l'Anglois, rendront à jamais fa mémoire exécrable.

QUAI DES THÉ ATIN S.

Le Cardinal Mazarin, en 1644, fit venir de Rome des Théatins, leur donna cent mille écus pour former leur établissement dans Paris; ils

(1) L'Hôtel de la Comédie Italienne en fait partie. (2) Monftrelet.

(3) Choift, Hift.

(4) Il fe nommoit Capeluche, & fut condamné à mort pour plufieurs crimes. Etant fur l'échafaud, &, voyant que celui qui devoit lui couper le cou, s'y prenoit mal, il fe fit délier, arrangea lui-même le billot, regarda fi le coutelas étoit bien tranchant, tout comme s'il eût voulu, dit le Journal, faire ledit office à un autre; enfuite il cria merci à Dieu, & fut décollé par fon Valet. Journal de Paris, 21 Août, 1413.

n'y

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