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J'ai vu la reine après qu'elle vous a vu. Elle m'a paru fort affectée du sentiment inquiétude, bien juste, sur la guerre qui pourroit éclater, d'un moment à l'autre entre deux rivaux si près l'un de l'autre ; elle m'a parlé aussi de ce que vous n'aviez rien fait pour la prévenir. J'ai tâché de lui prouver que vous aviez fait ce qui étoit en vous; ct. que nous étions prêts à faire toute les démarches amicales que la cour de Vienne pourroit nous suggérer; mais en même-temps, je ne lui ai pas laissé ignorer le peu de fondement que je voyois aux acquisitions de la maison d'Autriche, et que nous n'étions nullement obligés à la secourir pour les soutenir; et de plus, je l'ai bien assurée que le roi de Prusse ne pourroit pas nous détourner de l'alliance; et qu'on pouvoit désapprouver la conduite d'un allié, sans se brouiller avec lui. Elle avoit très-peu reçu de l'empereur et de l'impératrice, ainsi que de M. de Mercy. Tout cela est pour votre instruction, afin que vous puissiez parler le même langage. Je pense bien, comme vous, qu'il ne faut pas faire des démarches qui

donneroient une sanction à l'usurpation de la cour de Vienne, et je ne vois pas d'inconvénient à ce que vous avez dit à M. de Mercy.

LOUIS.

OBSERVATIONS

Sur la quatorzième lettre.

CETTE lettre, qui a aussi été déjà publiće, est relative à l'alliance formée en 1783, entre le cabinet de Versailles et la maison d'Autriche, et aux projets de Joseph II surla Bavière, après le traité qui eut lieu à cette époque. On y a attaché beaucoup d'importance, en ce qu'elle découvre plusieurs faits qui n'étoient pas connus alors cette lettre montre ce que le roi pensoit lui-même de la conduite de son allié, et présente une peinture fidèle des rapports politiques de la France avec la cour de Vienne. Mais ce qui frappe le plus, c'est la grande influence que la reine avoit alors dans le

cabinet. Dix années de lutte continuelle 'entre cette princesse et son époux, s'étoient écoulées; et sa passion pour sa maison ne s'étoit point affoiblie. Il est infiniment curieux d'observer la secrète intelligence du monarque et du ministre, et le soin qu'ils prennent de s'accorder sur l'uniformité de ce qu'ils doivent lui dire.

Ces circonstances qui eurent, dans le temps, une influence considérable, quoique secondaire, sur les affaires de France, méritent de fixer l'attention de l'historien.

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LETTRE X V.

A M. de Malesherbes.

Versailles, 13 Déc., 1786.

J'AIME et j'estime les hommes, mon cher Malesherbes, qui, par des ouvrages utiles, prouvent qu'ils font un sage emploi de leurs lumières; mais je n'encouragerai jamais, par aucun bienfait particulier, les productions qui tendent à la démoralisation générale. Voltaire, Rousseau, Diderot et leurs pareils qui, un instant, ont obtenu mon admiration, que j'ai su priser depuis, ont perverti la jeunesse qui lit avec ivresse, et la classe la plus nombreuse des hommes qui lisent sans réflexion. Sans doute, mon cher Malesherbes, la liberté de la presse agrandit la sphère des connoissances humaines; sans doute, il est à désirer que les gens de lettres puissent manifester leurs pensées, sans l'assentiment d'une censure quelconque; mais les hommes sont toujours si au-delà du point

où la sagesse devroit les arrêter, qu'il faut non-seulement une police sévère pour les livres, mais une surveillance active envers ceux qui sont chargés de les examiner, pour que les mauvais livres aient le moins de publicité possible. Je le sais, toute inquisition est odieuse, mais il faut un frein à la licence; car sans ce moyen, la religion et les mœurs perdroient bientôt de leur pouvoir, et la puissance royale de ce respect dont elle doit être toujours environnée. Nos philosophes modernes n'ont exalté les bienfaits de la liberté, que pour jeter avec plus d'adresse dans les esprits, des semences de rebellion. Prenons-y garde, nous aurons peut-être un jour à nous reprocher un peu trop d'indulgence pour les philosophes et pour leurs opinions. Je crains qu'ils ne séduisent la jeunesse, et qu'ils ne préparent bien de troubles à cette génération qui les protége. Les remontrances du clergé sont en partie fondées ; je ne puis qu'applaudir à sa prévoyance. Vous avez promis en mon nom, dans l'assemblée du clergé, de poursuivre les mauvais livres, les livres

impies,

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