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et mûrement réfléchi, avant que je me sois déterminé à lui adresser mes édits et déclarations. Mais mon parlement a dû voir que toutes ces lois (jurandes) ont eu pour objet d'assurer l'abondance dans ma bonne ville de Paris, de délivrer le commerce d'une gêne qui lui étoit préjudiciable, et de pourvoir au soulagement de ceux de mes sujets qui ne subsistent que par le travail, et sont les plus exposés à l'indigence (corvées); mon intention n'est pas de confondre les conditions, ni de priver la noblesse de mon royaume des distinctions qu'elle a acquises par ses services, dont elle a toujours joui sous les rois mes prédécesseurs, et que je maintiendrai toujours. Il ne s'agit point ici ( taille) d'une taxe humiliante, mais d'une simple contribution à laquelle chacun doit se faire honneur de contribuer, puisque j'en ai moi-même donné l'exemple, en contribuant à raison de mes domaines. Je veux bien croire que mon parlement n'a été conduit que par son zèle; et je ne supposerai jamais qu'il veuille s'écarter de la soumission qu'il me doit; mais, à présent que j'ai bien voulu lui expliquer moi-même les motifs qui m'engagent à persister dans ma

résolution, j'entends qu'il ne diffère pas à procéder à l'enregistrement pur et simple de mes édits et déclarations. Il doit être assuré que si je trouvois dans la suite, que quelques-unes des dispositions contiennent des inconvéniens que je n'ai pu prévoir, mon amour pour mes peuples m'engageroit à y remédier aussitôt. »

Le parlement persista dans son refus; et le roi tint, peu de jours après, un lit de justice dans lequel il fit enregistrer tous les édits de M. Turgot. « Il n'y a personne, disoit le roi, qui aime le peuple que moi, et M. Turgot. » Le monarque n'agissoit pas, en ce moment, par enthousiasme; c'étoit le résultat d'une détermination calme et réfléchie. Le parlement avoit fait des remontrances; la noblesse, les courtisans, toutes les castes de privilégiés de toutes les classes; les hommes titrés et les riches s'étoient mis en insurrection contre le ministre ; le roi avoit pesé leurs objections; il avoit examiné le but et les effets des réformes de M. Turgot, et il avoit résisté seul à l'orage avec le ministre. Ce triomphe ne fut cependant que de bien courte durée, Le roc, sur lequel M. Turgot s'appuyoit, avoit

été à la fin miné. « Maurepas, sur-tout, qui m'aime véritablement », dit le roi, « demande son renvoi. >>

Si le commencement de l'administration de ce ministre nous donne lieu de croire qu'il pouvoit être sincère dans les réformes qu'il approuva, quoiqu'il eût des vues plus modérées que les autres ministres qu'il avoit présentés au roi; après un examen plus approfondi, il paroît que M. de Maurepas n'étoit qu'un courtisan plus fin et plus dangereux que les princes n'en rencontrent ordinairement. Deux années auparavant, il avoit chassé Maupeou et son parlement, que celui-ci avoit composé des plus vils et des plus lâches suppôts de la couronne ; et il avoit rétabli un parlement rebelle et des ministres réformateurs. Ces instrumens lui étoient nécessaires pour affermir son pouvoir. Lorsqu'il eut acquis, sur le monarque, l'empire auquel il aspiroit, il en fait usage pour éloigner ces hommes en qui il craint de trouver des rivaux; et alarmé des progrès rapides que les principes libéraux et philosophiques avoient fait sur l'esprit du roi, il met aussitôt un frein à un penchant si dangereux, et avec autant d'autorité

d'autorité que ce Mentor, dont on lui avoit donné le nom, il demande le renvoi du ministre.

Demander le renvoi du ministre ! Il étoit possible, il est vrai, de l'éloigner du monarque; mais pouvoit-il l'être d'effacer du coeur des peuples le souvenir de ses vertus, de ses actes de bienfaisance, de ses vues grandes, nobles et généreuses, de cette entreprise glorieuse et honorable qu'il avoit formée de donner une existence politique à toute une nation? Vaine illusion! Des principes immortels avoient pris profondément racine! On avoit entendu proclamer du haut du trône cette maxime éternelle, que les priviléges ne sont que comme de la poussière dans une balance, lorsqu'ils sont contraires aux intérêts et à la félicité des peuples. Cette doctrine avoit pris un corps, une substance, une forme indestructible, impérissable. Bien différente des vaines hypothèses d'un visionnaire, il y avoit dans tous les plans du vertueux Turgot, cette bienveillance générale et pratique qui part du cœur " et qui va au coeur. Son ame vaste embrassoit l'universalité de son pays, l'ensemble VOL. L

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du monde. C'étoit l'amour du genre humain qui le dévoroit, le consumoit. La cour pouvoit disgracier Turgot, mais son pays conservera toujours sa mémoire avec la plus profonde vénération; et tous les peuples qui porteront leurs regards sur son administration et sur son influence, honoreront en lui l'ami du genre humain, et le bienfaiteur du monde.

Il ne s'est écoulé encore que bien peu d'années les parlemens, la noblesse, Maurepas, le monarque et la monarchie ont disparu. Que reste-t-il? Le souvenir consolant des vertus de Turgot, et ce monument immense et imposant dont il jeta les fondemens; les grands, les immortels principes de la révolution française !

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