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triciens, et avoit élevé la République au plus haut degré de grandeur.

Il seroit superflu de s'arrêter plus longtemps sur les réformes de M. Turgot, puisqu'elles ont été mises en évidence de tant de manières, et entièrement réalisées par la révolution. La lettre du roi est d'autant plus intéressante, qu'elle nous fait connoître les véritables sentimens du roi, à cette époque, et sur M. Turgot, et sur ses opérations. Nous ignorons de quel mémoire veut parler le roi. Il semble seulement qu'il avoit rapport à quel que grand projet de réforme proposé par le ministre. Aussi long-temps que le roi persista dans la même façon de penser, il mérita sans doute le surnom de Titus que Voltaire lui avoit donné; mais la lettre suivante nous montre quel fut le sort du moderne Sully.

LETTRE VI.

A M. de Malesherbes.

Versailles, 7 Mai, 1776.

TURGOT, mon cher Malesherbes, ne convient plus à la place qu'il occupe; il est trop entier, même dans le bien qu'il croit faire. Le despotisme, à ce que je vois, n'est bon à rien, dût-il forcer un grand peuple à être heureux. Le parlement, la noblesse, Maurepas sur-tout, qui m'aime véritablement, demandent sa retraite, et je viens de la signer; je ne vois pas pourquoi cet acte de rigueur, nécessaire à la tranquillité publique, entraîneroit votre démission : vous avez les talens de Turgot, mais non l'aspérité de son caractère; vous êtes tolérant sans être foible, et le bien que vous désespérez de faire aujourd'hui, vous avez la sagesse de le renvoyer au lendemain.

Restez au ministère, mon cher Malesherbes; votre franchise m'est nécessaire encore, et vous la devez à votre ami, si vous ne la devez pas à votre roi.

LOUIS.

OBSERVATIONS

Sur la sixième lettre.

M. Turgot étoit parvenu, en ce moment, à la fin de sa carrière ministérielle. Il avoit réussi à se faire des ennemis dans toutes les

réformes qu'il avoit proposées; et comme, à l'exception de sa conscience et de la rectitude de ses vues il n'avoit d'autre soutien que l'approbation du roi, il devoit tomber natu

rellement, aussitôt que cet appui viendroit à lui manquer.

Deux ou trois jours avant

que

le roi pro

nonçât son renvoi, M. Turgot observa au

monarque que cet événement ne pouvoit pas être éloigné. Il lui avoit fait connoître sa façon de penser à cet égard, dans quelques lettres antérieures ; et, convaincu de l'incertitude d'un emploi qui dépendoit entièrement de la faveur du roi et de sa persévérance, il lui avoit observé, avec une sorte de sévérité prophétique, que le sort des princes foibles devoit ressembler à celui de Charles Ier. d'Angleterre, ou Charles IX de France.

C'est à M. de Malesherbes que le roi fait part de sa détermination. C'est à l'ami et au collègue du ministre qu'il veut disgracier, qu'il s'adresse pour l'accuser. « Turgot, lui dit-il, mon cher Malesherbes, est..... >> Quoi? Un ministre ambitieux, négligent, prodigue?... Non. Il est trop entier dans le bien qu'il veut faire. » Trop juste, trop inflexible....... Quel ministre ! Quelle accusation !.... « Le despotisme, dit le roi, n'est bon à rien; dût-il même forcer le peuple à être heureux. » Cette idée, prise abstractivement, est juste; elle est sublime même, sortant de la bouche d'un puissant monarque; mais la phrase qui suit en présente le commentaire, et l'excuse da ministre.

«Les parlemens, la noblesse, Maurepas sur-tout, qui m'aime, demandent son renvoi, et je viens de le signer. » Ce sont là les torts du ministre. Il avoit en sa faveur son inflexibilité dans le bien, les suffrages de tous les hommes sages et vertueux, les bénédictions de tout un grand peuple. Mais ceci est un sujet trop sérieux pour se livrer à de pures déclamations. Examinons, dans un document authentique, cette armée d'ennemis que le roi lui oppose lisons sa défense, non dans des apologies écrites par lui-même ou par ses amis, mais dans un acte public et solennel du monarque, qui confirme les grandes réformes que Turgot avoit projetées.

Cet acte est la réponse du roi aux remontrances que lui fit le parlement au sujet de l'enregistrement des édits sur la suppression des jurandes, des corvées et de la généralisation de la taille. Cette réponse fut faite environ six semaines avant le renvoi de M. Turgot,

« J'ai examiné, dit le roi, avec grande attention les remontrances de mon parlement; elles ne contiennent rien qui n'ait été prévu

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