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que celles qu'il lui présenteroit ; qu'il ne resteroit en place qu'aussi long-temps qu'il le jugeroit convenable; et que sa majesté ne s'opposeroit, en aucune manière, à ce qu'il se retirât.

En acceptant le ministère, il avoit cédé aux sollicitations de M. Turgot, qui étoit alors entièrement occupé de réformes, que Louis favorisoit, quoiqu'il pût en penser comme monarque. M. de Malesherbes croyoit alors à sa sincérité, et donna publiquement cette opinion comme un des principaux motifs de son acceptation. Il semble, cependant, qu'une connoissance plus intime lui avoit fait changer d'opinion; et que voyant l'orage se former sur l'horizon, il avoit résolu de se mettre à l'abri en temps opportun. Il étoit président de la cour des aides, lorsque Louis XV se décida à supprimer les parlemens. De quelque nature que fût l'opposition de ces corporations judiciaires contre l'autorité royale, la convocation des Etats-généraux, proposée par M. de Malesherbes, pour y remédier, ne pouvoit guère la diminuer. Il avoit raison d'observer que des cours de judicature ne sont

que des organes imparfaits de la volonté publique; mais la représentation nationale admise dans les Etats-généraux, ne pouvoit offrir beaucoup d'appui au pouvoir arbitraire. L'histoire de la révolution française a prouvé combien ce plan de M. de Malesherbes lui a été funeste, lorsque vingt ans après il fut mis à exécution. C'est sa probité sévère et intacte comme administrateur, et ses grandes connoissances comme financier, dont le roi parle, en cette occasion, avec tant d'éloges. « La nature vous avoit donné, lui dit le roi, une ame citoyenne. » Cette expression fait honneur au monarque qui l'a employée, et encore plus à l'homme vertueux à qui elle est adressée. Le roi montre beaucoup de jugement, comme roi, dans la critique qu'il fait des maximes philosophiques répandues dans les remontrances dont il s'agit. Il ne lui dissimule point qu'il n'ignore pas ses principes démocratiques et anti-catholiques; mais il lui dit, en même temps, qu'il sait faire une juste distinction entre l'ami sincère de son pays, et l'ennemi secret de l'autel, et peut-être même le tiède partisan du trône.

De toutes les parties de l'administration qui lui avoit été confiée, aucune n'occupa davantage M. de Malesherbes, que la destruction des abus des lettres de cachet. Il observe au roi, dans un mémoire qu'il lui présenta, que le plus grand nombre des prisonniers de la Bastille et de Vincennes, y avoient été détenus depuis plus de quinze ans ; et que la perte de leur raison, que cette longue détention avoit occasionnée, empêchoit qu'on les rendît à la société. Il est difficile de se peindre l'horreur qu'une pareille découverte dut exciter; mais c'étoit moins la vue de ces infortunées victimes, que le pouvoir d'en faire de pareilles, qui occasionna ces émotions. « Je frissonnois, s'écrie ce ministre humain et bienfaisant, en entrant au ministère, lorsque je me vis assis à mon bureau, avec un seul secrétaire, et maître absolu de prononcer arbitrairement et sans appel, des jugemens si terribles. >>

Toute cette lettre, qui fut communiquée à l'éditeur par M. de Malesherbes, présente le roi sous le point de vue le plus intéressant

et le plus honorable. Il paroît désirer de former une sainte fédération avec des hommes vertueux et éclairés, contre tous ceux qui l'environnoient, et qu'il peint comme intéressés à le tromper et à lui cacher la vérité. Il parle de la sagesse de Maurepas et de l'intrépidité de Turgot, comme s'il estimoit autant ces vertus, que ces hommes si rares dans lesquels il les a trouvées; et ce seroit manquer à la candeur, que de douter de la sincérité de ces sentimens, au moment où il les exprime avec tant de force. Il n'y a pas de doute qu'il n'en sentît alors toute l'influence. La jeunesse est l'âge de l'ingénuité : le roi parloit, à cette époque, comme il sentoit; mais la jeunesse est aussi l'âge de l'inconstance, et ce défaut étoit constitutionnel dans Louis XVI. Ceux qui l'accusent d'hypocrisie à cet âge, connoissent bien peu le coeur humain ; et ce n'est pas avec plus de justice qu'on attribueroit l'inflexible persévérance de M. de Malesherbes, dans la résolution qu'il avoit prise de se démettre de sa place, malgré les expressions affectueuses avec lesquelles le roi termina sa lettre, à tout autre motif, qu'à la certitude

'qu'il avoit du triomphe prochain des ennemis de toute réforme, et probablement de cette disposition naissante sur laquelle Louis s'aveugloit sans doute lui-même; et qui devoit le livrer entre les mains de ces mêmes hommes qu'il représentoit à son ministre, comme ses plus dangereux ennemis.

Nous avons fait quelques légères observations sur trois des ministres qui composoient, à cette époque, l'administration qui étoit sous la direction de M. le comte de Maurepas qu'on a nommé et regardé comme le Mentor du jeune monarque.

M. de Maurepas fut appelé par Louis XVI à la direction suprême des affaires, après un exil de vingt-cinq ans, sous le règne de son grand-père Louis XV. Ce prince qui venoit de mourir des suites, et au milieu de ses débauches, avoit hérité de tous les vices de son prédécesseur, et n'avoit montré aucune du petit nombre de vertus qui l'avoient distingué. Quoique doué de peu de talens pour gouverner, et livré aux jouissances les plus dé

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