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D'ailleurs, ce n'est pas au moment que vous êtes obligé de céder aux circonstances, qu'il convient que vous donniez votre démission. La cour vous croiroit en disgrace; et ce mot, quand il s'agit d'un sujet aussi recommandable que vous, ne doit jamais m'échapper.

Je vous attends demain chez Maurepas; comptez sur mon estime et sur mon amitié.

LOUIS.

OBSERVATIONS

Sur la quatrième lettre.

M. de Malesherbes est tellement au-dessus de tous les éloges, qu'on ne peut pas craindre de s'exposer à la censure, en lui en donnant. Cet homme célèbre étoit secrétaire d'Etat depuis neuf mois, lorsque cette lettre fut écrite, ayant remplacé M. le duc de la Vrillière, au mois de juillet précédent. Sous Louis XV il

avoit occupé une place inconnue dans plusieurs pays civilisés, et qu'on nommoit alors en France, directeur de la librairie, ce qu'on pourroit traduire, inspecteur de la presse. Il paroît qu'il avoit rempli cette place à la satisfaction générale de tous ceux qu'il étoit chargé de persécuter et d'enchaîner; et le geolier en titre de l'esprit humain, avoit mérité celui d'ami de la liberté et de la philosophie, et de protecteur de tous les hommes éclairés.

Il semble même que M. de Malesherbes étoit non-seulement le protecteur de la philosophie et de la littérature, mais qu'un héroïsme encore plus sublime le guida dans ses fonctions, et lui fit placer au même niveau le tribunal de la justice et celui des lettres, en recevant ses décisions comme des lois. Ce fut sous son administration qu'on vit s'élever ce pouvoir formidable qu'on nomme opinion publique; et qui étoit destiné non-seulement à servir de barrière contre le despotisme, mais même à l'abattre et à l'anéantir un jour.

En réfléchissant sur les effets rapides et irrésistibles de ce pouvoir, il n'y a que trop VOL. I.

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de raisons de croire que les hommes illustres et vertueux qui le créèrent, et qui ont partagé, depuis, si cruellement le sort de Socrate, comme ils s'étoient si justement associés à sa gloire, ont péri victimes d'une vengeance secrète et raisonnée, qui dirigeoit invisiblement, mais sûrement, les aveugles instrumens dont elle se servoit pour satisfaire ses vues criminelles; et faire exécrer, en même temps, la liberté. En jetant un regard de douleur sur le trop nombreux catalogue des infortunés, qui furent sacrifiés, si cruellement, au nom de lapatrie éplorée ; en y voyant les noms justement révérés des Malesherbes, des Bailly, des RabautSaint-Etienne, des Condorcet; en apercevant toutes ces pages ensanglantées, presque remplies des noms de ceux qui avoient concouru avec eux, ou comme eux, au développement des lumières, à la chute de toutes les tyrannies, au rétablissement des droits imprescriptibles de l'humanité ; en observant la continuité et la persévérance des efforts indirects, mais non moins réels, que les anciens maîtres du monde ne cessent de faire pour reprendre un empire qui leur a été si heureusement arraché; on ne peut que se con

firmer dans une idée que l'histoire fidèle achevera de justifier; en découvrant un jour ces manoeuvres sourdes, ce machiavélisme profond qu'on n'a cessé d'employer, pour égarer les esprits, pour les soulever contre une saine philosophie, et faire réléguer, non-seulement, ses vues bienfaisantes parmi les chimères mais les faire regarder encore comme les fléaux du monde, et les ennemis les plus réels du bonheur, et de la vertu, qui peut seule le procurer et le rendre durable. Il est à désirer que ses amis, ses défenseurs ne perdent aucune occasion de mettre cette vérité dans tout son jour; et de justifier ainsi la nature et la raison des aspersions calomnieuses et funestes des préjugés, de l'erreur et de la perfidie.

M. de Malesherbes étoit un disciple ou plutôt un apôtre de la doctrine de la perfectibilité de l'esprit humain; doctrine qui comptoit alors les hommes les plus célèbres et les plus éclairés parmi ses sectateurs; et ce fut cette douce et consolante théorie, et cette forte et active conviction qu'elle ne peut que produire dans des ames pures, dans des têtes bien organisées, qui motivèrent les nombreuses ré

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formes qui eurent lieu en France, dans l'ad ministration, à l'avènement de Louis XVI. Ce prince étoit naturellement trop juste pour n'en pas sentir et reconnoître la nécessité; mais, malheureusement, il n'avoit ni la force d'ame indispensable pour les diriger; ni la persévérance nécessaire pour les soutenir. Aussi, on ne voit, en quelque façon, M. de Malesherbes paroître sur la scène, que pour nous faire regretter sa perte; on ne découvre pas cependant les motifs immédiats qui le déterminèrent à former une résolution aussi positive que celle dont il est parlé au commencement de cette lettre. Ce n'avoit été qu'avec la plus grande répugnance, et après plusieurs entrevues avec le roi, que ce monarque étoit parvenu à lui faire accepter la place de son ministre; et il avoit fait, en même temps, ses conditions. Mais ces conditions n'étoient pas, comme c'est l'ordinaire dans ces sortes d'occasions, des conditions intéressées et pour son avantage personnel; c'étoit des stipulations de bienveillance et de compassion pour des infortunés. Avant d'entrer en fonction, il reçut la parole du roi qu'il ne signeroit aucune lettre de cachet,

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