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Maurepas se rendit aussitôt chez le roi, et lui rendit compte de la conversation qu'il venoit d'avoir avec .M. de Malesherbes. Le roi se décida aussitôt en faveur de M. de SaintGermain ; recommanda le plus grand secret; lui écrivit une lettre, et ordonna aux deux ministres de l'envoyer, sur-le-champ, en Alsace, par un homme de confiance. On en trouva un qui avoit suivi le général dans toutes les circonstances de sa vie. Lorsqu'il arriva chez lui, il trouva ce nouveau Cincinnatus occupé à planter un poirier. M. de Saint-Germain le reconnut aussitôt. «Est-ce vous, lui dit-il? au nom du ciel qui est-ce qui peut vous avoir amené dans ma solitude? » Une affaire d'importance, lui répondit-il; mais finissez de planter votre arbre, et nous entrerons chez vous. « Parlez toujours, j'aurois assez de temps pour planter. » Je viens, lui dit alors l'étranger, par ordre de sa majesté. «Quoi! est-ce que le roi a été encore prévenu contre un de ses plus fidèles serviteurs, qui n'a d'autre regret que de ne pouvoir plus lui être utile? Me faut-il boire encore le calice jusqu'à la lie? Celui-ci, M. le comte, ne sera pas amer: voici la dépêche; lisez-la.... M. de

Saint-Germain baisa la lettre avec transport, et balbutia quelques expressions de gratitude. « Qui est-ce qui a engagé sa majesté à songer à moi?» Le messager lui dit qu'il étoit chargé de le presser de partir à l'instant. « Mais comment? je n'ai ni habits, ni équipages pour paroître à la cour. » « Comme que vous soyez, vous serez bien venu; partons. >>

Nous ne pouvons donner aucun détail sur l'ordre de Mars, qui est le sujet de la lettre du roi, puisque les mémoires du temps n'en ont fait aucune mention. Il paroît que Louis avoit été enthousiasmé, pour le moment, de l'établissement de cette noblesse militaire, pour récompenser le courage et la vertu ; et que le ministre vouloit probablement opposer, comme un contrepoids, à cette noblesse ordinaire, qui ne fonde pas ses distinctions sur des qualités aussi accidentelles. Comme on ne connoît de cette institution que ce que nous en voyons dans la lettre du roi, il y tout lieu de croire que les habitués de la cour réussirent à faire abandonner une innovation aussi romanesque.

LETTRE IV.

A M. de Malesherbes.

Versailles, 17 Avril, 1776.

Je n'ai pu vous exprimer assez dans notre dernier entretien, mon cher Malesherbes, tout le déplaisir que me causoit votre résolution bien prononcée de vous démettre de votre ministère maintenant que j'ai réfléchi avec quelque maturité sur cet objet, je vais vous ouvrir mon cœur, et je transmets mes idées sur le papier, pour qu'elles ne s'échappent point de ma mémoire.

Entouré, comme je le suis, d'hommes qui ont intérêt à égarer mes principes, à empêcher que l'opinion publique ne parvienne jusqu'à moi; il est de la plus haute importance, pour la prospérité de mon règne, que mes yeux de temps en temps se reposent avec satisfaction sur quelques sages de mon choix, que je puisse appeler

timent, j'ai applaudi intérieurement à votre courage, et j'ai senti que vous aviez des droits à ma reconnoissance.

Nos entrevues, où Maurepas étoit en tiers pour nous juger tous deux, ajoutèrent à mon estime, et je vous donnai le département de ma maison, vacant, par la démission de la Vrillière vous balançâtes long-temps à venir respirer à ma cour un air qui convenoit peu à la touchante simplicité de vos moeurs; mais Turgot vous fit entendre qu'il ne pouvoit pas, sans vous, opérer un bien durable: il vous décida, et je l'en estimai davantage.

Vous avez commencé votre ministère avec une vigueur qui ne contrarioit pas mes principes: on se plaignoit des lettres de cachet, dont votre prédécesseur disposoit au gré de ses favorites, et vous avez refusé d'en faire usage. La Bastille regorgeoit de prisonniers, qui, après plusieurs années de détention,' ignoroient quelquefois leurs crimes; et vous avez rendu à la liberté tous les hommes à

qui on ne reprochoit que d'avoir déplu à ces messieurs en faveur, et tous les coupables qui avoient été trop punis.

Vous avez entrepris des réformes utiles dans ma maison militaire, mais bien de gens ont conçu des alarmes; je devois appréhender que le mécontentement n'entraînât des troubles pareils à ceux de la Ligue et de la Fronde; et alors j'ai été obligé de renvoyer à des temps plus heureux, le moment si cher à mon coeur, où, bannissant une vaine

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pompe, je n'aurai plus d'autre maison que les hommes de bien, tels que vous, qui m'entourent; et pour gardes, les cœurs des Français.

C'est dans cette circonstance orageuse, mon cher Malesherbes, que vous me demandez votre retraite : non, je ne vous l'accorderai pas, vous êtes trop nécessaire à mon service; et quand vous aurez lu cette lettre en entier, je connois assez votre ame sensible, pour croire que vous cesserez de ane la demander.

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