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la moindre espérance de parvenir au but qu'il s'étoit proposé; mais on sait que l'espérance est trompeuse, et on peut pardonner à M. le baron de s'être trompé, lorsqu'une infinité d'autres, bien plus près que lui du lieu de l'action, se sont entièrement aveuglés sur ses conséquences.

LETTRE II.

4 M. de Vergennes.

2 Avril, 1775.

Je vous renvoie, monsieur, la dépêche 'de M. de Saint-Priest. Je ne crois pas que la maison d'Autriche entende son intérêt, en ne voulant pas demander la liberté du commerce de la mer Noire; toutes les démarches que son cabinet fait depuis quelque temps, sont bien obscures et bien fausses. Je crois qu'il est embarrassé de ses nouvelles usurpations en Moldavie, et qu'il ne sait comment se les faire adjuger : la cour de Russie les désapprouve, et la Porte ne consentira jamais à les céder à l'empereur. Je ne crois nullement à ce nouvel accord entre ces cours co-partageantes; je les crois plutôt en observation vis-à-vis les unes des autres, et se défiant d'elles mutuellement. L'avis de M. de me confirme dans ma pensée. Pour ce qui

est

est de l'invasion que les troupes de l'empereur ont faite dans l'Etat de Venise, je n'y vois nulle raison; mais la loi du plus fort est toujours la meilleure, elle dénote bien le caractère ambitieux et despote de l'empereur, dont il ne s'est pas caché au baron de Breteuil. Il faut croire qu'il a su fasciner absolument les yeux de sa mère; car toutes ses usurpations n'étoient point de son goût, et elle l'avoit bien déclaré au commencement. La dépêche que reçut M. Thugut, prouve bien que M. de Kaunitz désapprouve tout ce qui se passe, et a eu la main forcée. C'est sûrement du Lascy; nous n'avons rien à faire dans ce moment, que de tout voir et nous tenir sur nos gardes sur ce qui nous viendra de Vienne. Honnêteté et retenue doivent être notre marche. Mais M. de Saint-Priest peut toujours tâter le terrain à Constantinople sur la navigation libre de la mer Noire. Je me trompe fort, si les trois cours ne prendront pas querelle à-la-fois ; et gare l'incendie !

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OBSERVATIONS

Sur la seconde lettre.

APRÈS les usurpations de l'Autriche dans la Moldavie, et les projets continuels d'agrandissement, on ne pouvoit s'étonner de voir cette puissance demander hardiment à la Porte la liberté de naviguer dans la mer Noire; mais il est plus difficile de concevoir pourquoi la France n'en sollicita pas le privilége exclusif pour elle-même. L'avantage immense qu'elle en auroit retiré pour son commerce et ses approvisionnemens, étoit évident; les liaisons entre ces deux empires seroient devenues plus étroites, et son cabinet y auroit trouvé des moyens de s'opposer, avec toute son influence et ses ressources aux projets bien connus de la Russie sur la Turquie d'Europe.

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Quoique le roi n'eût pas encore acquis beaucoup d'expérience dans l'art de gouverner, il en savoit assez pour s'apercevoir, qu'avec certaines institutions, la puissance fait le droit;

puisque, comme il l'observe avec une espèce d'ironie, «La loi du plus fort est toujours la meilleure ». Louis sentoit l'injustice de ces usurpations, contre lesquelles il se récrie ; et déploroit, comme homme, ce qu'il ne pouvoit empêcher comme prince. Il est très-probable cependant, que si la guerre de l'Amérique n'étoit pas survenue, et bientôt après celle de la révolution française, les trois puissances, qui se sont partagées la Pologne, n'auroient pas resté d'accord bien long-temps. La révolution française a bouleversé entièrement la diplomatie des cabinets du Nord. Le sort de l'empire ottoman est encore en suspens; et il est bien peu d'hommes qui osassent fixer l'époque précise de sa dissolution; mais s'il ne se soutient que par la jalousie mutuelle des puissances de l'Europe, les amis des progrès de la civilisation, et de la propagation des lumières, désireroient, peut-être, qu'ils pussent parvenir à s'entendre un peu mieux.

M. le baron de Thugut paroît encore de nouveau sur la scène; et il ne s'y montre pas disposé à favoriser l'agrandissement de la maison d'Autriche. Tout homme est forcé de

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