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OBSERVATIONS

Sur la dix-neuvième lettre.

La révolution qui se préparoit depuis longtemps, étoit sur le point d'éclater. Cette lettre, au comte d'Artois, fut écrite la veille de ce jour mémorable, qui forme l'époque la plus importante de l'histoire moderne. Pour la mieux entendre, il est à propos de se retracer un peu la conduite que ce frère du roi avoit tenue, au milieu des grands événemens qui avoient, eu lieu pendant les deux mois qui venoient alors de s'écouler.

Quand on se fut convaincu que les notables que M. de Calonne avoit convoqués, ne vouloient,ou ne pouvoient pas remédier au désordre des finances, on rappela M. Necker au ministère, et on ordonna la convocation des Etatsgénéraux. L'assemblée des représentans du peuple excita, comme on devoit s'y attendre, beaucoup d'alarmes parmi les ordres privilégiés; mais, comme cette convocation étoit

indispensable, les parlemens, la noblesse et le clergé, formèrent différens projets pour diminuer leur influence, autant qu'il leur seroit possible. Le plus convenable fut de suivre le mode adopté dans la dernière convocation des Etats, en 1614, où les députés du Tiers étoient égaux, ou du moins peu supérieurs en

nombre à chacun des deux autres ordres. Les notables furent aussi de cette opinion, à l'exception du bureau dont le duc de la Rochefoucault étoit membre, et qui étoit présidé par le frère aîné du roi On ne faisoit point de mystère, à cette époque, des projets hostiles du comte d'Artois; mais la volonté du ministre, et les ordres du roi, anéantirent toutes les oppositions; et il fut déterminé que le nombre des députés du Tiers seroit égal à celui des deux ordres. Il restoit encore à décider la question bien plus importante du vote par ordres ou par têtes.

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La réception qui fut faite aux députés du Tiers-état, à l'ouverture des Etats-généraux, par la noblesse, le clergé et la cour, ne donna pas lieu de rien augurer de bon de cette réu

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nion. Les instructions données aux députés du peuple, par leurs constituans, étoient rem→ plies de griefs et de réclamations, qui excitèrent, tour-à-tour, la rage et le mépris des deux autres ordres. On parloit déjà de leur expulsion, comme d'une affaire déterminée; mais pour rendre cette mesure encore plus solennelle, le cointe d'Artois, à la tête des princes, à l'exception de Monsieur, son frère, et des ducs de Penthièvre et d'Orléans, présentèrent au roi un manifeste dirigé contre les députés du peuple. Un second manifeste, qui menaçoit d'une insurrection générale de la noblesse, suivit de près le premier. Il n'étoit pas difficile de conjecturer qui devoit en être le chef; et il ne l'étoit pas davantage de deviner qu'on saisiroit avidement la première occasion, de faire de ces manifestes des étendards de rebellion, aussitôt qu'on auroit pu rassembler, autour d'eux, un certain nombre de combattans.

La noblesse et le clergé persistèrent, dans leur refus, de se joindre au Tiers-état. Chaque ordre vérifia ses pouvoirs séparément ; et on

n'eut aucun égard aux invitations réitérées faites à la noblesse et au clergé, par les députés du peuple. Fatigués par l'opiniâtreté de ces refus, les membres du Tiers se constituèrent assemblée des communes, en se déclarant les représentans de la nation; et comme tels, ayant le droit de délibérer seuls, et d'opiner ainsi la régénération de la France, si les deux autres ordres persistoient dans leur refus.

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Cet acte de vigueur enhardit la minorité des deux autres ordres, qui désiroit la réunion, à se déclarer ouvertement; mesure que la majorité eut pour but de prévenir, en engageant le roi à tenir une séance royale, dans laquelle il annonceroit sa volonté suprême; et qui étoit destinée, par le parti qui l'avoit provoquée, à être le prélude de la dissolution immédiate des Etats.

Les députés du Tiers, à qui on avoit enjoint de suspendre leurs séances, sous le prétexte des préparatifs indispensables pour cette céré monie, se réunirent au jeu de paume de Versailles, où ils prêtèrent tous ce serment mémorable, que Bailli prononça le premier, de

ne se séparer jamais, jusqu'à ce qu'ils eussent effectué les réformes nécessaires.

Le peu de commodité du local les ayant engagés à se transporter à l'église de St.-Louis, ils y furent joints par la minorité des deux autres ordres, événement qui fit prendre l'assemblée des communes, le nom d'assemblée nationale.

Le 25 juin, jour fixé pour la séance royale, arriva enfin ; et l'accueil que reçurent les députés du peuple, leur annonça les intentions les plus hostiles. Le roi leur déclara très-séchement qu'il pouvoit faire, sans leur secours, ce qu'il y avoit à faire; et le reste de la cérémonie prouva que la représentation du peuple ne pouvoit compter que sur la grandeur de ses vues, et la justice de sa cause.

Les députés étant restés assemblés après que le roi se fut retiré, le grand-maître des cérémonies de la cour leur intima, au nom du roi, l'ordre de sortir de la salle. « La nation assemblée, lui répondit Bailli, n'a point d'ordres à recevoir. » Un nouvel ordre de se

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