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» Jusqu'où enfin, me direz-vous, ira cette étrange tolé→ rance? Ce ne sera pas sans doute jusqu'à permettre aux non sermentés l'administration des sacremens... Jusqu'où enfin, vous dirai-je à mon tour, porterez-vous la manie de mutiler la tolérance et d'enrayer la liberté? (Applaudissemens.) Ce n'est pas sans doute le moment de donner aux temples des non sermentés des fonts baptismaux, d'y opérer l'union conjugale, d'y placer des confessionaux ; il faut que la loi civile ait auparavant déterminé le mode de constater les naissances des enfans qu'on y baptisera, les mariages qu'on y célébrera, les décès et les inhumations des morts qu'on y aura présentés ; quand la loi aura rempli ce préliminaire urgent quelle raison pourrait empêcher que ces temples nouveaux ne jouissent de la plénitude des droits attachés à nos temples? Quand la loi permettra sur les deux autels le même sacrifice par quelle inconséquence n'y laisserait-elle pas couler aussi la vertu des mêmes sacremens?

» Prenez y bien garde, messieurs; ce ne serait pas seulement restreindre dans les prêtres non sermentés les droits du sacerdoce, ce serait encore attenter à la liberté du peuple dans le choix de son culte. Par quel paradoxe la loi empêcherait-elle un père sectateur des non sermentés de leur donner son enfant à baptiser, pendant qu'elle permettrait à ce même père de le faire circoncire par un rabin? Pourquoi la loi repousserait-elle un mariage célébré dans un temple quel. conque, pourvu qu'il portât le caractère d'un contrat civil regulièrement fait?

» On m'opposera pour dernière ressource les alarmes du peuple sur les abus que fera de ces églises particulières l'esprit de parti; là, dit-on, se réuniront nécessairement et se coaliseront les ennemis de la révolution, et dans ces foyers d'aristocratie se prépareront des explosions violentes contre la Constitution et la liberté...

» Terreurs puériles; la sombre défiance voit tout en noir, et, comme l'œil timide de celui qui voyage dans les ténèbres de la nuit, les objets les plus indifférens paraissent à l'homme ombrageux des monstres qui le glacent d'effroi.

» Je veux au contraire par vingt traits serrés démontrer et

qu'il n'y a rien à craindre et qu'il y a tout à espérer du culte séparé des non sermentés.

» Ces temples seront ouverts des provocations au peuple de s'armer contre la Constitution ou de résister à la loi ne pourraient s'y faire dans les ombres du mystère ; l'accusateur public aurait les yeux toujours ouverts sur les discours tendant à la sédition ou à la révolte; les séditieux seraient punis sans avoir la gloire d'être persécutés pour cause de religion; il n'y aurait alors à espérer pour ces séditieux ni palme du martyre ni ce culte que toute classe de croyans rend aux confesseurs de sa foi; ce ne serait que le châtiment d'un malfaiteur à subir et de l'opprobre à dévorer: ainsi contenus par la police, qui ferait toute grâce aux opinions, aucune aux attentats, les consciences seraient libres, et l'Etat serait tranquille.

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Qui ne voit d'ailleurs que la liberté d'un tel culte doit énerver insensiblement l'esprit d'insurrection, tempérer l'effervescence religieuse, et éteindre graduellement la secte? Ne craignez pas du moins qu'elle acquière jamais de la prépondérance; le culte salarié par l'Etat a sur tous les autres un ascendant qui le rend de plus en plus dominant. Probablement cette classe des non sermentés s'éteindra avec les prêtres qui l'ont formée; si la secte peut avoir une succession clandestine de ministres de son culte, combien le lien qui les unirait aux races futures serait plus faible que celui qui unit aujourd'hui les prêtres déchus de leurs cures avec leurs anciens paroissiens! Un culte salarié par des individus s'affaiblit constamment; on se familiarise par l'habitude avec l'obéissance à la loi qu'on improuvait le plus dans son principe. La Constitution française est de nature à multiplier sans cesse le nombre de ses partisans et de ses amis; les plaies qu'elle a faites étant une fois cicatrisées, il n'y aura plus qu'une voix dans le royaume pour la maintenir et l'améliorer. Eh! qui ne voit que la scission des non sermentés doit décliner en raison des progrès que fera la Constitution dans l'opinion publique et dans le cœur des Français! (Applaudissemens.)

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Que vos décrets sur la liberté des cultes soient donc purgés de toute entrave qui ne sera pas impérieusement commandée par de graves considérations d'ordre public; un reste d'habi

tude de l'ancien régime nous laisse malheureusement comme malgré nous je ne sais quelle pente pour les lois prohibitives, très indécente dans une assemblée de restaurateurs de la liberté : ainsi conservent encore une certaine gêne dans les mouvemens ceux qui ont longtemps gémi dans les fers.

» Le célèbre arrêté (1) pris le 11 avril par le département de Paris n'est pas entièrement exempt de cette rouille prohibitive, quoique des génies créateurs de la Constitution y aient eu la plus grande part. Pourquoi fermer au public des églises non nationales, mais nécessaires encore à quelques restes de corporations? Pourquoi condamner ainsi les non sermentés à un culte clandestin, même dans des lieux auparavant publics?

(1) Cet arrêté, inséré dans le Moniteur du vendredi 15 avril 1791,' donna lieu à un décret sur le même objet.

L'arrêté du département de Paris avait été dénoncé à l'Assemblée constituante, qui en avait renvoyé l'examen à son comité de constitution; le 7 mai suivant M. Talleyrand, après un rapport fait au nom de ce comité, présenta un projet de décret qui fut amendé par M. Syeyes et adopté en ces termes :

« Art. 10. L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport ‹ de son comité de constitution sur l'arrêté du 11 avril du directoire du département de Paris, déclare que les principes de liberté religieuse qui l'ont dicté sont les mêmes que ceux qu'elle a reconnus et proclamés dans sa Déclaration des Droits; en conséquence elle décrète que le défaut de prestation du serment prescrit par le décret du 28 novembre 1790 ne pourra être opposé à aucun prêtre se présentant dans une église paroissiale, succursale et oratoire national seulement pour y dire la messe.

» Art. 2. Les édifices consacrés à un culte religieux par des sociétés particulières, et portant l'inscription qui leur sera donnée, seront fermés aussitôt qu'il y aura été fait quelque discours contenant des provocations directes contre la Constitution, et en particulier contre la Constitution civile du clergé : l'auteur du discours sera, à la requête de l'accusateur public, poursuivi criminellement dans les tribunaux comme perturbateur du repos public. »

Le rapport de M. Talleyrand et l'opinion de M. Syeyes, prononcés dans la séance du 7 mai 1791, sont utiles à consulter en matière de liberté religieuse; ils se trouvent dans le tome 54 des procès-verbaux de l'Assemblée constituante. Un décret ordonna l'impression et l'envoi à tous les départemens du rapport de M. Talleyrand.

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Pourquoi ce silence de l'arrêté sur la libre administration des sacremens par des hommes qui en étaient naguère les administrateurs à quelques pas de là dans d'autres églises de la même ville ? Pourquoi gêner la confiance du peuple quand elle se partage entre différens ministres du même culte ou entre les ministres de cultes différens ? Pourquoi forcer, principalement dans les campagnes, les non sermentés et leurs pauvres sectateurs à acquérir des églises à grands frais plutôt que de leur offrir en frères d'alterner avec nous dans nos églises? Combien d'exemples n'en offrent pas les églises d'Allemagne! Voyez en Virginie plusieurs classes de croyans se succéder dans les mêmes temples, comme nous nous succédons les uns aux autres pour assister à des messes successivement célébrées : quel a été l'effet de ces sages alternats? Les différentes sectes, déjà rapprochées par cette communauté de local, après avoir ainsi fait fraterniser leur culte, ont fini par fraterniser entre elles hors du sanctuaire qui leur était commun.

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Cependant, messieurs, n'allez pas croire que mon vœu soit qu'on donne tête baissée dans l'exécution prompte de ces nouvelles mesures; elles sont si étranges pour un peuple nourri jusqu'à ce moment dans les maximes perverses et dans la cruelle habitude de l'intolérance, qu'il faut lui présenter une à une ces sages nouveautés, et l'y accoutumer lentement comme on accoutume lentement au grand jour des yeux longtemps malades, et aux alimens un convalescent qui revient des portes de la mort; il faut surtont éclairer le peuple avec patience, et lui faire goûter la loi avant de l'y soumettre quand elle heurte étrangement ses préjugés: on ne met pas brusquement un frein au cheval indompté. Le retour à la liberté dans tous les genres a ses gradations nécessaires comme l'a eu l'établissement de la servitude; malheur à la loi qui violente la soumission; avant d'avoir obtenu les suffrages du peuple ! La lumière doit être le grand précurseur de la loi quand c'est le souverain qui la fait ; laissons au despote l'odieuse politique de préparer par l'ignorance ses esclaves à ses commandemens,.. (Applaudissemens.)

» Il faut surtout que par l'instruction émanée du législateur le peuple soit préparé à la hardiesse de la loi et amené lente

ment à sa paisible exécution quand, au lieu de ne régler que ses intérêts temporels ou ses actions civiles, elle doit parler à sa conscience et changer ses habitudes religieuses; c'est alors surtout qu'il faut l'éclairer avant de mettre sa docilité à de trop fortes épreuves; au lieu de lui fournir brusquement un sujet d'émeute et d'insurrection, épargnons-lui des fautes par de sages morosités dans l'exécution des lois qui l'étonnent.

» Dans les circonstances présentes îl est de l'intérêt même des non sermentés de ne point précipiter la jouissance d'une liberté de culte encore mal assurée; il est de l'intérêt de tous de n'exposer ni le peuple au crime de l'émeute, ni les sectateurs d'une culte protégé par la loi aux dangers d'un attentat populaire. La municipalité de Paris, par sa modération en de telles conjonctures, doit servir de modèle au reste du royaume, et a la plus grands droits aux hommages publics.

» Dans toute la suite de ce discours je ne vous ai rien dit messieurs, qui ne vous soit familier; mais j'ai du moins prouvé ce qu'on ne croit peut-être pas assez : c'est qu'en matière de tolérance religieuse la doctrine d'un évêque pénétré du véritable esprit de la religion ne s'éloigne pas de la doctrine du philosophe, et que le zèle pastoral se trouve ici parfaitement d'accord avec la modération du législateur.

» Voici mon projet de décret. » (Il contenait la rédaction en quatorze articles des principes établis par l'opinant. )

Ainsi qu'il était arrivé pour l'évêque du Calvados, mais dans un sens.inverse, l'impression du discours de M. Torné fut demandée et combattue.

M. Ducos. « Le discours qui vient d'être prononcé contient de grands principes de tolérance et de liberté ; il est de notre devoir d'en faire jouir nos concitoyens. Je demande l'impression de ce discours en expiation du discours intolérant dont l'impression a été décrétée hier...» (Quelques applaudissemens; nombreux murmures; à l'ordre, à l'ordre !)

M. Ramond. « Si vous rappelez M Ducos à l'ordre vous y rappellerez les deux tiers de l'Assemblée. ») Bruit; à l'ordre, à l'ordre!)

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