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» Le remède à cela est plus facile à imaginer qu'il n'est facile de le rendre efficace : les ministres, grâce à leur illusoire responsabilité, sauront toujours couvrir leur inaction du voile de l'insubordination des pouvoirs, rejeter sur des sousordres les torts du gouvernement, et frayer un retour au despotisme en favorisant sous main l'anarchie. Mais enfin l'artifice a ses bornes, et le corps législatif ses moyens de le dévoiler; il faut donc par le projet de décret à intervenir réveiller le pouvoir exécutif et le retirer de sa léthargie, afin qu'à son tour il en tire tous les pouvoirs; affermissons ainsi un ordre public qui puisse également assurer à ceux des non sermentés qui sont paisibles une grande latitude de liberté sous la protection de la loi, et aux incendiaires un châtiment légal de leurs séditieuses manœuvres.

» Ce réveil des pouvoirs sommeillans est la seule mesuré qui reste à prendre elles sont faites par la dernière Assemblée les lois vengeresses des désordres dont on se plaint.

» Un de ses décrets veut impérieusement que des accusateurs publics, à peine d'être déchus de leurs fonctions, poursuivent les non sermentés qui auraient causé des troubles : c'est là, messieurs, tout ce que pouvait faire la prudence humaine, et quand vous aurez puissamment excité le pouvoir exécutif je ne vois pas ce que vous pourriez ajouter à cette mesure.

>> Gardons-nous surtout de confirmer des lois, de les renouveler ou même d'en ordonner l'exécution; ce serait en supposer l'instabilité ou la faiblesse : un despote confirme les lois de son prédécesseur; il renouvelle souvent l'ordre d'exécuter les siennes propres; cela doit être, la loi des despotes n'est jamais que la loi du moment; aussi est-elle d'autant plus versatile que le despote est plus absolu mais une nation libre et puissante fait des lois stables comme elle, et ne croit pas devoir à vingt fois les tirer du néant où elles n'ont pu tomber. (Applaudissemens.)

» 11 QUESTION. Quelle est la nature du mal politique dont on se plaint.N'équivoquons pas, messieurs, sur la nature du mal qu'il nous faut guérir; rien n'égare comme les erreurs dans le choix des remèdes.

» Ne pensez pas que la doctrine des non sermentés soit ici une de ces misérables guerres de controverse entre sectaires qu'il faille dédaigner comme n'étant qu'un ridicule ergotisme de l'école.

si elle ne

» Je sais que la doctrine des non sermentés roulait que sur des querelles purement théologiques, ne serait pour l'Etat d'aucune importance; le sage législateur devrait en détourner ses regards, et les éteindrait mieux par ses mépris qu'il ne les étoufferait par tout le poids de la force publique.

» Mais les erreurs des non sermentés ont cela de propre et de funeste au repos de l'Etat qu'elles tendent à décrier la constitution civile du clergé comme contraire aux lois divines et canoniques : ce ne sont pas ici deux docteurs aux prises sur des dogmes indifférens au législateur; c'est une partie notable du clergé de France qui, soutenue de tous les ennemis de la révolution, est aux prises avec les corps législatif; c'est un combat corps à corps d'une grande section nationale contre le souverain. Cette grande querelle est digne sans doute, messieurs, de toute votre attention, et les troubles, qu'elle a causés demandent une loi majeure, ou bien jamais loi ne fut nécessaire.

» Recherchons donc profondément la nature du mal : une erreur capitale serait de le voir où il n'est pas ; pour ne pas nous y tromper commençons par écarter tout ce qui pourrait en avoir la fausse apparence, et ne nous laissons pas induire à punir des délits chimériques.

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Gardons-nous par exemple de regarder les opiniâtres erreurs des non sermentés comme un vice politique auquel nous soyons tenus de remédier par nos décrets; de simples erreurs religieuses sont étrangères au législateur, et ne doivent pas trouver place dans le code pénal : c'est aujourd'hui une vérité politique usée, c'est dans cette tribune une espèce de lieu commun qu'en aucun genre erreur n'est crime; les murs de cet auguste sanctuaire savent aujourd'hui qu'en fait d'opinions religieuses toute sévérité du souverain tourne le dos à son but; que l'intolérance alimente le fanatisme, et l'irrite au lieu de l'amortir; que les sectes se propagent par la persé

cution; que l'oeil du souverain ou du gouvernement, fixé sur la controverse, l'enflamme davantage; que le sang des sectaires en répand des germes innombrables; que l'explosion religieuse est comme celle de la poudre, en raison des obstacles qui lui sont opposés, et que la seule manière dont une nation sage doive accueillir les querelles des prêtres est d'en détourner avec mépris son attention et ses regards. (Applaudissemens.) » Et certes ceux des non sermentés qui n'ont que de paisibles erreurs de quoi pourraient-ils être coupables aux yeux de la loi?

>> Serait-ce dé s'être refusés au serment? Mais la loi le propose simplement, et ne l'ordonne pas; en quittant ou en refusant des fonctions publiques plutôt que de prêter le serment le prêtre ne fait qu'accepter une alternative proposée la loi, et user d'un droit d'option qu'elle lui a déféré.

par

» Ici je crois entendre cent voix s'écrier : La loi l'a puni en réduisant son traitement, et la loi ne punit pas l'innocent... Erreur, messieurs, erreur; ce n'est pas à titre de peine que la loi a réduit à 500 livres le traitement des non sermentés; cette réduction ne suppose donc pas que se refuser au serment soit un délit politique.

>> Un moment d'attention, et vous ne douterez plus, messieurs, que ce traitement même réduit ne soit une faveur de l'Etat au lieu d'un châtiment.

» En toute rigueur l'Etat ne doit plus aucun traitement aux fonctionnaires publics dont l'exercice est expiré.

» A plus forte raison l'Etat ne doit aucun traitement aux citoyens qui ont volontairement abdiqué leurs fonctions quand l'Etat les invitait à les continuer.

» Considéré sous ce point de vue, le traitement fait aux non sermentés, bien loin d'être un châtiment de la loi par sa modicité, en est un bienfait par sa nature, quelque faible qu'il puisse être par sa quotité.

» Sur ce fondement on a osé, messieurs, proposer aux représentans d'une nation grande et généreuse de révoquer ce bienfait! Encore si l'on ne vous eût proposé ce honteux dépouillement que contre ceux qui seraient convaincus de trouble porté à l'ordre public; ce n'eût été qu'une barbarie

dans le code penal; mais étendre cette féroce mesure sur une multitude de citoyens, même sur ceux qui n'auraient que de douces et paisibles erreurs, ce serait un opprobre en législation, ce serait en morale une horreur! (Applaudissemens. Retirer un bienfait sans autre cause que l'avarice finir par condamner à la faim des hommes ci-devant fortunés qu'on venait de condamner à l'indigence serait une basse et cruelle parcimonie : en rigueur elle n'aurait que la dureté du corsaire sans avoir l'iniquité du vol; mais en serait-elle moins pour cette législature une tache éternelle ? Tout ce qui n'est pas inique en rigueur est-il pour cela honnête et décent? Ce n'est là une question ni pour l'homme de loi ni pour l'honnête homme quelle vertu, bon Dieu, que celle qui aimerait à s'approcher du vice de très près, et à se tenir sur ses bords! Serait-ce, je vous le demande, être un homme d'honneur que de se permettre en sentimens et en procédés tout ce qui en rigueur ne serait pas de l'infamie?

par

»On me dira peut-être que si le non sermenté n'est coupable ni le refus du serment qui en est l'erreur ni par la suite il l'est du moins par le trouble que sa doctrine porte nécessairement à l'ordre public....

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» Mais c'est une erreur de penser qu'une simple doctrine, parce qu'un trouble public en a été la suite, soit en elle-même un trouble public; à quoi se réduirait en ce cas la liberté des opinions, même religieuses? Ne les manifestez pas en factieux; n'ajoutez pas la sédition à l'erreur, la violence aux écarts, et vous n'excéderez pas les droits de l'homme.

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Mais la scission scandaleuse des non sermentés avec le clergé constitutionnel n'est-elle pas un délit politique, et le schisme peut-il être aussi innocent que l'erreur?...

"

» Tout de même; car il est évident que le schisme est la suite nécessaire de l'erreur, et, la cause devant être impunie, qui croirait pouvoir en punir l'effet nécessaire?

» Disons-le une fois pour toutes, rien de ce qui concerne les opinions religieuses, les différences de culte et les querelles des sectaires n'est du ressort de la loi pénale.

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Faudra-t-il encore leur pardonner la ténébreuse administration des sacremens qu'ils se permettent dans le secret

VIII.

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des familles en rabaissant le Dieu des chrétiens au niveau de ces dieux domestiques que les païens révéraient au coin de leurs foyers?...

>> Vaine déclamation! Le législateur laisse à Dieu le soin de venger sa gloire s'il la croit outragée par un culte indécent; que vous importe et qu'importe au public qu'il se fasse ou qu'il ne se fasse pas dans une maison particulière des cérémonies religieuses, pourvu qu'elles ne donnent pas lieu à des attroupemens suspects et dangereux par leur grande masse? Ne serait-ce pas là une inquisition domestique comparable à celle qui ne souffrirait pas dans la maison d'un citoyen des festins, des concerts, des spectacles, des jeux permis ou des évocations magiques? Pourquoi un culte domestique serait-il prohibé quand la loi n'a pas encore pourvu à la liberté de tout culte, ou quand le peuple s'y oppose par un zèle faussement religieux, ou quand le clergé constitutionnel fomente par ses alarmes l'aversion du peuple pour la rivalité des autels? Voilà, voilà les vrais coupables du culte clandestin, si ce culte est un crime; les menaces populaires forcent toujours les sectes à couvrir leurs pratiques religieuses du voile du mystère, et la clandestinité d'un culte est toujours l'odieux effet de la persécution.

» Si l'on peut établir une sorte de culte domestique sans encourir l'animadversion de la loi, peut-on du moins impunément porter le trouble et la division dans le sein des familles, en divisant d'opinion le père et les enfans, l'époux et l'épouse, les frères entre eux ?...

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Répondez-moi, argumentateur infatigable: ces divisions et ces troubles ne sont-ils que l'effet des opinions contraires, et ces opinions contraires ne sont-elles que l'effet de l'enseignement religieux sans mélange de conseils violens ou de suggestions incendiaires? Hé bien, dans ce cas là le prêtre non sermenté qui a la rage de propager sa doctrine use des droits de l'homme (murmures); celui de la famille qui l'adopte use de la libre faculté de son jugement, et je ne vois ici de coupable que le parent ou l'époux intolérant qui pour une diffé– rence d'opinions hait le parent ou l'épouse qu'il aimait.

» Mais patience; les sentimens de la nature, étouffés pour

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