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où l'on nous annonçait des périls plus graves ou plus imminens; nous nous sommes transportés dans tous ces lieux aux premières annonces de trouble; nous avons constaté l'état des choses avec plus de calme et de réflexion, et après avoir, soit par des paroles de paix et de consolation, soit par la ferme et juste expression de la loi, calmé ce désordre momentané des volontés particulières, nous avons cru que la seule présence de la force publique pouvait suffire en ce moment pour prévenir tout attentat contre la liberté individuelle et la tranquillité publique. C'est à vous, messieurs, et à vous seulement, qu'il appartient de prendre des mesures véritablement efficaces sur un objet qui par les rapports où on l'a mis avec la Constitution de l'Etat, exerce en ce moment sur cette Constitution une influence beaucoup plus grande que ne pourraient le faire croire les premières et plus simples notions de la raison, séparée de l'expérience des faits.

» Dans toutes nos opérations relatives à la distribution de la force publique nous avons été secondés de la manière la plus active par un officier général bien connu par son patriotisme et ses lumières; à peine instruit de notre arrivée dansle département, M. Dumouriez est venu s'associer à nos travaux et concourir avec nous au maintien de la paix publique : nous allions être totalement dépourvus de troupes de ligne dans un moment où nous avions lieu de croire qu'elles nous étaient plus que jamais nécessaires; c'est au zèle, c'est à l'activité de M. Dumouriez que nous avons dû sur le champ un secours qui, vu le retard d'organisation de la gendarmerie nationale, était en quelque sorte l'unique garant de la tranquillité du pays.

» Nous venions, messieurs, de terminer notre mission dans le département de la Vendée lorsque le décret de l'Assemblée nationale du 8 août, qui, sur la demande des administrateurs du département des Deux-Sèvres, nous autorisait à nous transporter dans le district de Chatillon, nous est parvenu, ainsi qu'au directoire de ce département.

>> On nous avait annoncé à notre arrivée à Fontenai-leComte que ce district était dans le même état de trouble religieux que le département de la Vendée. Quelques jours avant la réception de notre décret de commission plusieurs citoyens, électeurs et fonctionnaires publics de ce district, vinrent faire

au directoire du département des Deux-Sèvres une dénonciation par écrit sur les troubles qu'ils disaient exister en différentes paroisses;ils annoncèrent qu'une insurrection était près d'éclater: le moyen qui leur paraissait le plus sûr et le plus prompt, et qu'ils proposèrent avec beaucoup de force, était de faire sortir du district dans trois jours tous les curés non assermentés et remplacés, et tous les vicaires non assermentés. Le directoire, après avoir longtemps répugné à adopter une mesure qui lui paraissait contraire aux principes de l'exacte justice, crut enfin que le caractère public des dénonciateurs suffisait pour constater et la réalité du mal et la pressante nécessité du remède ; un arrêté fut pris en conséquence le 5 septembre, et le directoire, en ordonnant à tous les écclésiastiques de sortir du district dans trois jours, les invita à se rendre dans le même délai à Niort, chef lieu du département, leur assurant qu'ils y trouveraient toute protection et sûreté pour leurs per

sonnnes.

» L'arrêté était déjà imprimé et allait être mis à exécution lorsque le directoire reçut une expédition du décret de commission qu'il avait sollicité; à l'instant il prit un nouvel arrêté par lequel il suspendait l'exécution du premier et abandonnait à notre prudence le soin de confirmer, modifier ou supprimer.

» Deux administrateurs du directoire furent par le même arrêté nommés commissaires pour nous faire part de tout ce qui s'était passé, se transporter à Chatillon, et y prendre de concert avec nous toutes les mesures que nous croirions nécessaires.

» Arrivés à Chatillon, nous fimes rassembler les cinquantesix municipalités dont ce district est composé; elles furent successivement appelées dans la salle du directoire. Nous consultâmes chacune d'elles sur l'état de sa paroisse : toutes ces municipalités énonçaient le même vœu ; celles dont les curés avaient été remplacés nous demandaient le retour de ces prêtres; celles dont les curés non assermentés étaient encore en fonctions nous demendaient de les conserver. Il est encore un autre point sur lequel tous ces habitans des campagnes se réunissaient; c'est la liberté des opinions religieuses, qu'on leur avait, disaient-ils, accordée, et dont ils désiraient jouir. Le même

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jour et le jour suivant les campagnes voisines nous envoyèrent de nombreuses éputations de leurs habitans pour nous réitérer la même prière. Nous ne sollicitons d'autre grâce, nous disaientils unanimement, que d'avoir des prêtres en qui nous ayons confiance. Plusieurs d'entre eux atlachaient même un si grand prix à cette faveur qu'ils nous assuraient qu'ils paieraient volontiers pour l'obtenir le double de leurs impositions.

» La très grande majorité des fonctionnaires publics ecclé siastiques de ce district n'a pas prêté serment, et tandis que leurs églises suffisent à peine à l'affluence des citoyens les églises des prêtres assermentés sont presque désertes : à cet égard l'état de ce district nous a paru le même que celui du département de la Vendée; là comme ailleurs nous avons trouvé la dénomination de patriòte et d'aristocrate complètement établie parmi le peuple, dans le même sens et peut-être d'une manière plus générale. La disposition des esprits en faveur deš. prêtres non assermentés nous a paru encore plus prononcée que dans le département de la Vendée; l'attachement qu'on a pour eux, la confiance qu'on leur a vouée ont tous les caractères du sentiment le plus vif et le plus profond; dans' quelques unes de ces paroisses des prêtres assermentés ou des citoyens attachés à ces prêtres avaient été exposés à des ménaces et à des insultes, et quoique là comme ailleurs ces violences nous aient paru quelquefois exagérées, nous nous sommes assuré (et le simple exposé de la disposition des esprits suffit pour en convaincre) que la plupart des plaintes étaient fondées sur des faits bien constans.

» En même temps que nous recommandions aux juges et aux administrateurs la plus grande vigilance sur cet objet nous ne négligions rien de ce qui pouvaît inspirer au peuple des idées et des sentimens plus conformes au respect de la loi et aux droits de la liberté individuelle.

» Nous devons vous dire, messieurs, que ces mêmes hommes, qu'on nous avait peints comme des furieux, sourds à toute espèce de raison, nous ont quittés l'âme remplie de paix et de' bonheur lorsque nous leur avons fait entendre qu'il était dans les principes de la Constitution nonvelle de respecter la liberté des consciences; ils étaient pénétrés de repentir et d'affliction pour les fautes que quelques uns d'entre eux avaient pu com

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mettre; ils nous ont promis avec attendrissement de suivre les conseils que nous leur donnions, de vivre en paix malgré la différence de leurs opinions religieuses, et de respecter le fonctionnaire public établi par la loi; on les entendait en s'en allant se féliciter de nous avoir vus, se répéter les uns aux autres tout ce que nous leur avions dit, et se fortifier mutuellement dans leurs résolutions de paix et de bonne intelligence. Le jour même ou vint nous annoncer que plusieurs de ces habitans des campagnes, de retour chez eux, avaient affiché des placards par lesquels ils déclaraient que chacun d'eux s'engageait à dénoncer et à faire arrêter la première personne qui nuirait à une autre, surtout au prêtre assermenté.

» Nous devons vous faire remarquer que dans ce même district, troublé depuis longtemps par la différence des opinions religieuses, les impositions arriérées de 1789, et de 1790, montant à plus de 700,000 livres, ont été presque entièrement payées : nous en avons acquis la preuve au directoire du district.

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Après avoir observé avec soin l'état des esprits et la situation des choses nous pensâmes que l'arrêté du directoire ne devait pas être mis à exécution, et les commissaires du département, ainsi que les administrateurs du directoire de Chatillon, furent du même avis.

» Mettant à l'écart tous les motif de détermination que nous pouvions tirer et des choses et des personnes, nous avions examiné si la mesure adoptée par le directoire était d'abord juste de sa nature, ensuite si elle serait efficace dans l'exécution.

» Nous crûmes que des prêtres qui ont été remplacés ne peuvent pas être considérés comme étant en état de révolte contre la loi parce qu'ils continuent à demeurer dans le lieu de leurs anciennes fonctions, surtout lorsque parmi ces prêtres il en est qui de notoriété publique se bornent à vivre en hommes charitables et paisibles, loin de toute discussion publique et privée ; nous crûmes qu'aux yeux de la loi on ne peut être en état de révolte qu'en s'y mettant soi-même par des faits précis, certains et constatés; nous crûmes enfin que les actes: de provocation contre les lois relatives au clergé et contre toutes les lois du royaume doivent, ainsi que tous les autres délits, être punis par les formes légales.

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» Examinant ensuite l'efficacité de cette mesure, nous vímes que si les fidèles n'ont pas de confiance dans les prêtres assermentés ce n'est pas un moyen de leur en inspirer davantage qué d'éloigner dé cette manière les prêtres de leur choix; nous vîmes que dans des districts ou la très grande majorité des prêtres non assermentés continuent l'exercice de leurs fonctions, d'après la permission de la loi, jusqu'à l'époque du remplacement, ce ne serait pas certainement dans un tel système de répression diminuer le mal que d'éloigner un si petit nombre d'individus lorsqu'on est obligé d'en laisser dans les mêmes lieux un très grand nombre dont les opinions sont les mêmes.

» Voilà, messieurs, quelques unes des idées qui ont dirige notre conduite dans cette circonstance, indépendamment de toutes les raisons de localité qui seules auraient pu nous obliger à suivre cette marche : telle était en effet la disposition des esprits, que l'exécution de cet arrêté fût infailliblement devenue dans ces lieux le signal d'une guerre civile. fo >> Le directoire du département des Deux-Sèvres, instruit d'abord par ses commissaires, ensuite par nous, de tout ce que nous avions fait à cet égard, a bien voulu nous offrir l'expres sion de sa reconnaissance par un arrêté du 19 du mois dernier. Nous ajouterons, quant à cette mesure d'éloignement des prêtres non assermentés qui ont été remplacés, qu'elle nous a été constamment proposée par la presque unananimité des citoyens du département de la Vendée qui sont attachés aux prêtres assermentés, citoyens qui forment eux-mêmes, comme vous l'avez déjà vu, la plus petite portion des habitans: en vous transmettant ce vœu nous ne faisons que nous acquitter d'un dépôt qui nous a été confié.

>>> Nous ne vous laisserons pas ignorer non plus que quelques uns des prêtres assermentés que nous avons vus ont été d'un avis contraire; l'un d'eux (1), dans une lettre qu'il nous a adressée le 12 septembre, en nous indiquant les mêmes causés des troubles, en nous parlant des désagrémens auxquels il est chaque jour exposé, nous observe que le seul moyen de remédier à tous ces maux est (ce sont ses expressions)

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(1) « M. Tallerye, curé de la chapelle Saint-Laurent, district de Chatillon. »

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