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rait leur opposer les vieilles maximes de la tyrannie : son espérance a été trompée; une ligue a été formée contre son indépendance, et elle n'a eu que le choix d'éclairer ses ennemis sur la justice de sa cause, ou de leur opposer la force des armes. » Instruite de cette ligue menaçante, mais jalouse de conserver la paix, l'Assemblée nationale a d'abord demandé quel était l'objet de ce concert entre des puissances si longtemps rivales, et on lui a répondu qu'il avait pour motif le maintien de la tranquillité générale, la sûreté et l'honneur des couronnes, la crainte de voir se renouveler les événemens qu'ont présentés quelques époques de la révolution française.

» Mais comment la France menacerait-elle la tranquillité générale, puisqu'elle a pris la résolution solennelle de n'entreprendre aucune conquête, de n'attaquer la liberté d'aucun peuple; puisqu'au milieu de cette lutte longue et sanglante qui s'est élevée dans les Pays-Bas et dans les états de Liége entre les gouvernemens et les citoyens elle a gardé la neutralité la plus rigoureuse?

» Sans doute la nation française a prononcé hautement que la souveraineté n'appartient qu'au peuple, qui, borné dans l'exercice de sa volonté suprême par les droits de la postérité, ne peut déléguer de pouvoir irrévocable; sans doute elle a hautement reconnu qu'aucun usage, aucune loi expresse, aucun consentement, aucune convention ne peuvent soumettre une société d'hommes à une autorité qu'ils n'auraient pas droit de reprendre ; mais quelle idéè les princes se feraient-ils donc de la légitimité de leur pouvoir ou de la justice avec laquelle ils l'exercent s'ils regardaient l'énonciation de ces maximes comme une entreprise contre la tranquillité de leurs états?

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>> Diront-ils que cette tranquillité pourrait être troublée par les ouvrages, par les discours de quelques Français ? Ce serait alors exiger à main armée une loi contre la liberté de la presse, ce serait déclarer la guerre aux progrès de la raison; et quand on sait que partout la nation française a été impunément outragée ; que les presses des pays voisins n'ont cessé d'inonder nos départemens d'ouvrages destinés à solliciter la trahison, à conseiller la révolte; quand on se rappelle les marques de pro

tection ou d'intérêt prodiguées à leurs auteurs, croira-t-on qu'un amour sincère de la paix, et non la haine de la liberté, ait dicté ces hypocrites reproches!

>> On a parlé de tentatives faites par des Français pour exciter les peuples voisins à briser leurs fers, à réclamer leurs droits... Mais les ministres qui ont répété ces imputations sans oser citer un seul fait qui les appuyât savaient combien elles étaient chimériques; et, ces tentatives eussent-elles été réelles, les puissances qui ont souffert les rassemblemens de nos émigrés, qui leur ont donné des secours, qui ont reçu leurs ambassadeurs, qui les ont publiquement admis dans leurs conférences, qui ne rougissent point d'appeler les Français à la guerre civile, n'auraient pas conservé le droit de se plaindre; ou bien il faudrait dire qu'il est permis d'étendre la servitude, et criminel de propager la liberté, que tout est légitime contre les peuples, que les rois seuls ont de véritables droits; et jamais l'orgueil du trône n'aurait insulté avec plus d'audace à la majesté des nations!

» Le peuple français, libre de fixer la forme de sa Constitution, n'a pu blesser en usant de ce pouvoir ni la sûreté ni l'honneur des couronnes étrangères. Les chefs des autres pays mettraient-ils donc au nombre de leurs prérogatives le droit d'obliger la nation française à donner au chef de son gouvernement un pouvoir égal à celui qu'eux-mêmes exercent dans leurs états? Voudraient-ils, parce qu'ils ont des sujets, empêcher qu'il existât ailleurs des hommes libres ? Et comment n'apercevraient-ils pas qu'en se permettant tout pour maintenir ce qu'ils appellent la sûreté des couronnes ils déclarent légitime tout ce qu'une nation pourrait entreprendre en faveur de la liberté des autres peuples?

>> Si des violences, si des crimes ont accompagné quelques époques de la révolution française, c'etait aux seuls dépositaires de la volonté nationale qu'appartenait le pouvoir de les punir ou de les ensevelir dans l'oubli tout citoyen, tout magistrat, quel que soit son titre, ne doit demander justice qu'aux lois de son pays, ne peut l'attendre que d'elles. Les puissances étrangères, tant que leurs sujets n'ont pas souffert de ces événemens, ne peuvent avoir un juste motif ni de s'en plaindre ni de prendre des mesures hostiles pour en empêcher

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le retour. La parenté, l'alliance personnelle entre les rois ne sont rien pour les nations; esclaves et libres, des intérêts communs les unissent : la nature a placé leur bonheur dans la paix, dans les secours mutuels d'une douce fraternité; elle s'indignerait qu'on osât mettre dans une même balance le sort de vingt millions d'hommes et les affections ou l'orgueil de quelques individus. Sommes-nous done condamnés à voir encore la servitude volontaire des peuples entourer de victimes humaines les autels des faux dieux de la terre!

» Ainsi ces prétendus motifs d'une ligue contre la France n'étaient tous qu'un nouvel outrage à son indépendance. Elle avait droit d'exiger une renonciation à des préparatifs injurieux, et d'en regarder le refus comme une hostilité : tels ont été les principes qui ont dirigé les démarches de l'Assemblée nationale. Elle a continué de vouloir la paix ; mais elle devait préférer la guerre à une patience dangereuse pour la liberté ; elle ne pouvait se dissimuler que des changemens dans la Constitution, que des violations de l'égalité, qui en est la base, étaient l'unique but des ennemis de la France; qu'ils voulaient la punir d'avoir reconnu dans toute leur étendue les droits communs à tous les hommes; et c'est alors qu'elle a fait ce serment, répété par tous les Français, de périr plutôt que de souffrir la moindre atteinte ni à la liberté des citoyens, ni à la souveraineté du peuple, ni surtout à cette égalité sans laquelle il n'existe pour les sociétés ni justice ni bonheur !

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>> Reprocherait-on aux Français de n'avoir pas assez respecté les droits des autres peuples en n'offrant que des indemnités pécuniaires soit aux princes allemands possessionnés en Alsace, soit au pape?

» Les traités avaient reconnu la souveraineté de la France sur l'Alsace, et elle y était paisiblement exercée depuis plus d'un siècle. Les droits que ces traités avaient réservés n'étaient que des priviléges ; le sens de cette réserve était donc que les possesseurs des fiefs d'Alsace les conserveraient avec leurs anciennes prérogatives tant que les lois générales de la France souffriraient les différentes formes de la féodalité : cette réserve signifiait encore que si les prérogatives féodales étaient enveloppées dans une ruine commune la nation devrait un dédom→

magement aux possesseurs pour les avantages réels qui en étaient la suite; car c'est là tout ce que peut exiger le droit de propriété quand il se trouve en opposition avec la loi, en contradiction avec l'intérêt public. Les citoyens de l'Alsace sont Français, et la nation ne peut sans honte et saus injustice souffrir qu'ils soient privés de la moindre partie des droits communs à tous ceux que ce nom doit également protéger. Dira-t-on qu'on peut pour dédommager ces princes leur abandonner une portion de territoire? Non, une nation généreuse et libre ne vend point des hommes; elle ne condamne point à l'esclavage, elle ne livre point à des maîtres ceux qu'elle a une fois admis au partage de sa liberté.

» Les citoyens des comtats étaient les maîtres de se donner une Constitution; ils pouvaient se déclarer indépendans : ils ont préféré d'être Français, et la France ne les abandonnera point après les avoir adoptés. Eût-elle refusé d'accéder à leur désir, leur pays est enclavé dans son territoire, et elle n'aurait pu permettre à leurs oppresseurs de traverser la terre de la liberté pour aller punir des hommes d'avoir osé se rendre indépendans et reprendre leurs droits. Ce que le pape possédait dans ce pays était le salaire des fonctions du gouvernement : le peuple, en lui ôtant ses fonctions, a fait usage d'un pouvoir qu'une longue servitude avait suspendu, mais n'avait pu lui ravir, et l'indemnité proposée par la France n'était pas même exigée par la justice.

» Ainsi ce sont encore des violations du droit naturel qu'on ose demander au nom du pape et des possessionnés d'Alsace! C'est encore pour les prétentions de quelques hommes qu'on veut faire couler le sang des nations! Et si les ministres de la maison d'Autriche avaient voulu déclarer la guerre à la raison 'au nom des préjugés, aux peuples au nom des rois, ils n'auraient pu tenir un autre langage!

>> On a fait entendre que le vœu du peuple français pour le maintien de son égalité et de son indépendance était celui d'une faction... Mais la nation française a une Constitution; cette Constitution a été reconnue, adoptée par la généralité des citoyens; elle ne peut être changée que par le voi du peuple, et suivant des formes qu'elle-même a prescrites: tant qu'elle

subsiste les pouvoirs établis par elle ont seuls le droit de manifester la volonté nationale, et c'est par eux que cette volonté a été déclarée aux puissances étrangères. C'est le roi qui, sur l'invitation de l'Assemblée nationale, et en remplissant les fonctions que la Constitution lui attribue, s'est plaint de la protection accordée aux émigrés, a demandé inutilement qu'elle leur fût retirée; c'est lui qui a sollicité des explications sur la ligue formée contre la France; c'est lui qui a exigé que cette ligue fût dissoute; et l'on doit s'étonner sans doute d'entendre annoncer comme le cri de quelques factieux le, vœu solennel du peuple, publiquement exprimé par ses représentans légitimes. Quel titre aussi respectable pourraient donc invoquer ces rois qui forcent des nations égarées à combattre contre les intérêts de leur propre liberté et à s'armer contre des droits qui sont aussi les leurs, à étouffer sous les débris de la Constitution française les germes de leur propre félicité et les communes espérances du genre humain!

» Et d'ailleurs qu'est-ce qu'une faction qu'on accuserait d'avoir conspiré la liberté universelle du genre humain? C'est donc l'humanité tout entière que des ministres esclaves osent flétrir de ce nom odieux!

» Mais, disent-ils, le roi des Français n'est pas libre..... Eh! n'est-ce donc pas être libre que de dépendre des lois de son pays? La liberté de les contrarier, de s'y soustraire, d'y opposer une force étrangère ne serait pas un droit, mais un crime !

» Ainsi, en rejetant toutes ces propositions insidieuses, en méprisant ces indécentes déclamations, l'Assemblée nationale s'était montrée dans toutes les relations extérieures aussi amie de la paix que jalouse de la liberté du peuple; ainsi la continuation d'une tolérance hostile pour les émigrés, la violation ouverte des promesses d'en disperser les rassemblemens, le refus de renoncer à une ligue évidemment offensive, les motifs injurieux de ces refus, qui annonçaient le désir de détruire la Constitution française, suffisaient pour autoriser des hostilités qui n'auraient jamais été que des actes d'une défense légitime ; car ce n'est pas attaquer que de ne pas donner à notre ennemi le temps d'épuiser nos ressources en longs préparatifs, de tendre

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