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Dutertre avaient été atteints par de graves dénonciations faites contre eux au sein de l'Assemblée, et par elle accueillies; M. Tarbé ne laissait rien à dire sur sa gestion, mais il était mal vu pour ses principes politiques : tous trois néanmoins se maintinrent jusqu'au mois de mars, qu'ils furent contraints de donner leur démission. Le roi reçut en même temps celle de MM. Cahier-Gerville et Narbonne; ceuxci en quittant leurs fonctions emportèrent l'estime publique. Quant à M. Deless art il se trouvait alors décrété d'accusation, et traduit devant la haute cour nationale. Enfin le ministère, totalement renouvelé, se trouvait ainsi composé au mois d'avril 1792:

Affaires étrangères, M. Dumourier; Intérieur, M. Roland; Justice, M. Duranton; - Guerre, M. Degrave; Marine, M. Macoste ; Contributions, M. Clavières.

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Ce nouveau ministère était en quelque sorte du choix de l'Assemblée; il entra d'abord dans ses vues: il s'attacha à faire respecter la dignité de la nation; et la guerre était le seul moyen qui restât pour y parvenir. L'audace des émigrés s'était accrue; ils étaient hautement secourus et protégés; la coalition des puissances étrangères contre la France ne permettait plus aucun doute; la mort de Léopold, arrivée dans la nuit du 1er au 2 mars, n'avait amené aucun changement dans la conduite tortueuse du cabinet autrichien: la guerre était donc devenue indispensable. Bientôt elle sera déclarée, à la grande satisfaction du peuple, qui brûle de défendre et sa liberté et ses droits.

Le roi, accompagné de tous ses ministres, se rend à l'Assemblée nationale, et porte la parole en ces termes :

DISCOURS DU ROI. (Séance du 20 avril 1792.)

» Je viens, messieurs, au milieu de l'Assemblée nationale pour un des objets les plus importans qui doivent occuper l'attention des représentans de la nation. Mon ministre des affaires étrangères va vous lire le rapport qu'il a fait dans mon conseil sur notre situation politique.

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M. Dumourier prend immédiatement la parole. Le plus profond silence règne dans l'Assemblée.

RAPPORT du ministre des affaires étrangères, fait au conseil du roi le 18 avril 1792, et prononcé le 20 du même mois à l'Assemblée nationale.

Sire, lorsque vous avez juré de maintenir la Constitution qui a assuré votre couronne, lorsque votre cœur s'est sincèrement réuni à la volonté d'une grande nation libre et souveraine, vous êtes devenu l'objet de la haine des ennemis de la liberté. L'orgueil et la tyrannie ont agité toutes les cours; aucun lien naturel, aucun traité n'a pu arrêter leur injustice : vos anciens alliés vous ont effacé du rang des despotes, mais les Français vous ont élevé à la dignité glorieuse et solide de chef suprême d'une nation régénérée.

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>> Vos devoirs sont tracés par la loi que vous avez acceptée, et vous les remplirez tous! La nation française est calomniée ; sa souveraineté est méconnue; les émigrés rebelles trouvent un appui chez nos voisins; ils s'assemblent sur nos frontières; ils menacent ouvertement de pénétrer dans leur patrie, d'y porter le fer et la flamme : leur rage serait impuissante, ou peut-être elle aurait déjà fait place au repentir s'ils n'avaient pas trouvé l'appui d'une puissance qui a brisé tous ses liens avec nous dès qu'elle a vu que notre régénération changerait la forme de notre alliance avec elle, et la rendrait nécessairement plus égale.

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Depuis 1756 l'Autriche avait abusé d'un traité d'alliance que la France avait toujours trop respecté : ce traité avait épuisé depuis cette époque notre sang et nos trésors dans des guerres injustes que l'ambition suscitait, et qui se terminaient par des traités dictés par une politique tortueuse et mensongère, qui laissait toujours subsister des moyens d'exciter de nouvelles guerres.

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Depuis cette fatale époque de 1756 la France s'avilissait au point de jouer un rôle subalterne dans les sanglantes tragédies du despotisme: elle était asservie à l'ambition toujours inquiète, tonjours agissante de la maison d'Autriche, à qui elle avait sacrifié ses alliances naturelles.

Des que la maison d'Autriche a vu dans notre Constitution que la France ne pourrait plus être le servile instrument de son ambition elle a juré la destruction de cette œuvre de la raison; elle a oublié tous les services que la France lui avait rendus enfin, ne pouvant plus dominer la nation française, elle est devenue son ennemie implacable.

» La mort de Joseph 11 semblait présager plus de tranquillité de la part de son successeur Léopold, qui, ayant appelé la philosophie dans son gouvernement de Toscane, semblait ne devoir s'occuper que de réparer les calamités que l'ambition démesurée de son prédécesseur avait at irées sur ses états: Léopold n'a fait que paraître sur le trône impérial, et cependant c'est lui qui a cherché sans cesse à exciter contre nous toutes les puissances de l'Europe.

» C'est lui qui a tracé dans les conférences de Padoue, de Reichenbach, de La Haie et de Pilnitz les projets les plus funestes contre nous, projets qu'il a couverts, Sire, du prétexte avilissant d'une fausse compassion pour Votre Majesté, pendant que vous déclariez à tout l'univers que vous étiez libre, pendant que vous déclariez que vous aviez accepté franchement et que vous soutiendriez de tout votre pouvoir la Constitution! C'est alors que, calomniant la nation dont vous êtes le réprésentant héréditaire, et vous faisant l'outrage de feindre de ne pas croire à votre liberté et à la pureté de vos intentions, ce prince employait tous les ressorts d'une politique sombre et astucieuse pour grossir le nombre des ennemis de la France, sous les prétextes les moius faits pour autoriser une ligue aussi menaçante.

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C'est Léopold, qui, lié depuis longtemps avec la Russie pour partager les dépouilles de la Pologne et de la Turquie, a détaché de notre alliance ce roi du nord dont l'inquiète activité n'a pu être arrêtée que par la mort, au moment où il allait devenir l'instrument de la fureur de la maison d'Autriche !

» C'est Léopold qui a animé contre la France ce successeur de l'immortel Frédéric, contre lequel, par une fidélité à des traités imprudens, nous avions depuis près de quarante ans défendu la maison d'Autriche !

» C'est Léopold qui s'est déclaré le chef d'une ligue qui tend

au renversement de notre Constitution; c'est lui qui, dans des pièces officielles que l'Europe jugera, invite une partie de la nation française à s'armer contre l'autre, cherchant à réunir sur la France les horreurs de la guerre civile aux calamités de la guerre extérieure !

» Tels sont les attentats de l'empereur Léopold contre une nation généreuse, qui même depuis sa régénération respectait ses traités, quelque désavantageux et quelque funestes qu'ils lui fussent.

>> Il est nécessaire de rapporter à Votre Majesté une note officielle du 18 février, du prince de Kaunitz, parce que cette note est la dernière pièce de négociation entre l'empereur Léopold et Votre Majesté.

» C'est dans cette note officielle du 18 février surtout que ses projets hostiles sont à découvert : cette note, qui est une véritable déclaration de guerre, mérite yn examen réfléchi.

» Le prince de Kaunitz, qui est l'organe de son maître, commence par dire que jamais intention impartiale et pacifique n'a été plus clairement énoncée el constatée que celle de sa majesté impériale dans l'affaire des rassemblemens au pays de Trèves.

» A la vérité la cour de Vienne avait alors fait sortir des Pays-Bas les émigrés armés, de peur que le ressentiment des Français ne les portât à entrer dans les provinces belgiques, où s'étaient faits les premiers rassemblemens; où les rebelles tiennent encore un état major d'officiers généraux en uniforme et avec la cocarde blanche, à la cour même de Bruxelles ; où, contre les capitulations et cartels, on recevait et l'on reçoit encore journellement des bandes nombreuses, et même des corps entiers avec armes et bagages, officiers, drapeaux et caisses militaires, donnant ainsi une injuste protection à la désertion la plus criminelle, accompagnée de vols et de trahison.

» Dans le même temps la cour de Vienne, sur la demande irrégulière de l'évêque de Bâle, établissait une garnison dans le pays de Porentruy pour s'ouvrir une entrée facile dans le departement du Doubs,violant par l'établissement de cette garnison le territoire du canton de Bâle, violant les traités qui

mettent la pays de Porentruy sous la garantie de ce canton et de la France.

» Dans le même temps la cour de Vienne augmentait considérablement ses garnisons dans le Brisgaw.

» Dans le même temps la cour de Vienne donnait des ordres au maréchal de Bender de se porter avec ses troupes dans l'électorat de Trèves au cas où les Français s'y porteraient pour dissiper les rassemblemens de leurs rebelles émigrés. A la vérité la cour de Vienne semblait prescrire à l'électeur de Trèves de ne plus tolérer ces rassemblemens; à la vérité aussi ce prince ecclésiastique semblait pour un moment être dans l'intention de dissiper ces attroupemens : mais tout cela n'était qu'illusoire; on cherchait à abuser votre ministre à Trèves par des mensonges, et à l'intimider par des outrages. Les attroupemens ont recommencé à Coblentz en plus grand nombre, leurs magasins sont restés dans le même état, et la France n'a vu dans toute cette affaire qu'un jeu perfide, des menaces et de la violence.

» M. Kaunitz ajoute que la nature et le but légitime des propositions de concert faites par l'empereur au mois de juillet 1791; aussi bien que la modération et l'intention amicale de celle qu'il fit au mois de novembre suivant, n'ont t pu échapper à la connaissance du gouvernement français.

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» Cet aveu du prince de Kaunitz confirme les desseins hostiles de la cour de Vienne; il prouve qu'au mépris de son alliance elle provoquait les autres puissances de l'Europe à former contre la France une ligue offensive, qui n'est que suspendue la lettre circulaire du prince de Kaunitz du 12 novembre. » M. de Kaunitz dit ensuite que toute l'Europe est convaincue avec l'empereur que ces gens notés par la dénomination de parti jacobin, voulant exciter la nation d'abord à des armemens, et puis à sa rupture avec l'empereur, après avoir fait servir des rassemblemens dans les états de Trèves de prétexte aux premiers, cherchent maintenant à amener des prétextes de guerre par les explications qu'ils ont provoquées avec sa majesté impériale d'une manière et accompagnées de circonstances calculées visiblement à rendre difficile à ce prince de concilier dans ses réponses les inten◄

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